En Afrique, l’Internet gratuit grâce à Facebook, mais à quel prix ?

Facebook a récemment dépassé les 2 milliards d’utilisateurs « actifs » sur son réseau planétaire. Le géant américain entend bien étendre davantage sa communauté notamment en Afrique. Sur le continent, il permet aux internautes souscrivant à son service Freebasics, d’accéder gratuitement au web notamment à travers son application Facebook. Quelles sont les conséquences de cette utilisation d’Internet ? Explications. 
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Internet en Afrique
Le géant américain développe des services rendant gratuit l'accès à Internet dans 23 pays d'Afrique. 
©Diego Cervo / iStock
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Facebook… philanthrope ? Le réseau américain s’est donné une « mission » au travers de son service "Free Basics" : « Connecter le monde ». Le géant américain qui prône l’Internet pour tous et qui ne veut « laisser personne de côté », s’érigerait presque en humanitaire du web : « Imaginez à quel point un bulletin météo précis peut aider un agriculteur qui sème des céréales, ou tout le savoir que pourrait apporter une encyclopédie à un écolier qui n’a pas de manuel. Maintenant, réfléchissez à ce qu’ils pourraient apporter au monde quand ils pourront faire entendre leurs voix. Plus nous serons nombreux à être connectés, mieux ce sera. » 

19% des Africains connectés

« Mieux ce sera » aussi pour Facebook aux velléités hégémoniques. Le réseau social qui compte déjà plus de deux milliards d’utilisateurs entend ainsi connecter à Internet - et à son réseau au passage - tous ceux qui ne le sont pas encore.

La logique paraît imparable : pour collecter de nouveaux utilisateurs, ces derniers doivent être connectés à Internet. Le géant se targue déjà d’avoir « amené en ligne plus de 25 millions de personnes qui autrement n’y seraient pas ». En tout ce serait 53 pays dont 23 en Afrique où Facebook donnerait gratuitement accès à Internet par son service "Free Basics".

internet.org
Sur son site "Internet.org", Facebook détaille ses initiatives visant à "connecter le monde" comme Free Basics ou encore Express Wifi. 
©capture d'écran


L'Afrique reste le continent le moins pourvu en réseau et qui enregistre pourtant une forte croissance démographique promettant de nombreux futurs utilisateurs.   

Selon l’Union international des télécommunications (UIT), il existe encore de grandes disparités d’accès à Internet entre les pays sur le continent. Le pourcentage de personnes utilisant Internet reste nettement inférieur dans la plupart des États africains par rapports aux pays occidentaux. Ainsi 19% des Africains utilisent Internet contre plus de 34% pour l’Asie-Pacifique et près de 75% pour l’Europe. (Voir l'encadré ci-dessous)

Pourcentage de personnes utilisant Internet en Afrique 

Guinée, Madagascar :  4%
Mali : 10,34%
Gabon : 23,5%
Sénégal : + 21%
Soudan : + 26%
Nigeria : + 47%
Afrique du Sud : près de 52%
Maroc : + 57%

Et ailleurs dans le monde

Plus de 74% aux États-Unis, 85% en Belgique, plus de 87% en Suisse, plus de 88% au Canada et de 84% en France. 
Les Emirats arabes unis battent tous les records plus de 91% connectés.

En quoi consiste le service Free Basics

En téléchargeant gratuitement l'application Free Basics sur leurs téléphones équipés du système Androïd « les utilisateurs n’ont pas accès à tout Internet, explique Julie Owono directrice exécutive d'ISF d’Internet sans frontièresL’application Free Basics permet d’accéder à certains sites sélectionnés par Facebook. C'est une fraction tellement minime d’Internet .» Sur quels critères est fait ce choix ? Pourquoi privilégier un site plutôt qu’un autre ? Nous avons essayé de joindre le service Free Basics, sans succès. 

En théorie, tous les développeurs peuvent soumettre leurs sites Internet à ce service gratuit à condition de remplir certaines spécificités techniques. Facebook place ensuite son propre serveur Internet.org entre les téléphones et les serveurs des sites web connectés à ce service. Les connexions à ces "partenaires" ne sont ensuite pas facturées par l'opérateur téléphonique. 

Ainsi, un utilisateur peut-il naviguer sur Internet gratuitement à condition d'utiliser soit l'application Facebook soit celles d'autres sites qui font partie de l'offre "Free Basics" relevant souvent plus de services : météo, transport, santé, emploi,...

Les plus pauvres ne mériteraient donc qu’un Internet bas de gamme, ne donnant accès qu’à quelques sites.

 Julie Owono (Internet sans frontières)

Mais si les autres sites Internet accessibles gratuitement représentent moins d’intérêt, il est naturel que les internautes passant par Free Basics utiliseront d’autant plus l’application Facebook offrant une plus grande diversité de contenus et est prisée par les jeunes. 

> Lire les témoignages d'utilisateurs malgache, ivoirien et congolais.

« Celui qui a les moyens de se payer du crédit, souligne Julie Owono. Il ne va pas utiliser Free Basics parce qu’il sait très bien qu’il n’aura pas accès à tout Internet. Il n’aura ainsi pas accès à Wikipédia par exemple ou bien à Google, évidemment puisque c’est un concurrent de Facebook ! C’est là que l’on parle de discrimination. Les plus pauvres ne mériteraient donc qu’un internet bas de gamme, ne donnant accès qu’à quelques sites. Et comme tout est disponible par Facebook ça laisse penser aux gens que tout l’Internet se résume à Facebook. »

Un blogueur congolais a cependant fait le test et pouvait, semble-t-il, avoir accès au site de la BBC par exemple ou encore Wikipédia. (Voir ci-dessous)

Exemple Freebasics
Un blogueur congolais a décidé de tester pour ses lecteurs l'application Free Basics qui lui donne accès à Internet. 
©Capture d'écran

Si l’ONG Internet sans frontières dit avoir déjà demandé plus de transparence sur le contenu des contrats signés entre Facebook et les opérateurs africains, elle n’a jamais obtenu de réponse. 
 

Un service gratuit ? 

Selon elle, sous des dehors de gratuité, ce service a bien un coût : les données personnelles. « Avec Free Basics, la politique de confidentialité liée à l’utilisation des données personnelles est complètement opaque. La personne qui accepte ce service, accepte de vendre ses données personnelles », assure Julie Owono.  

Ce que réfute Facebook dans une mise au point sur son site intitulée « Mythe et réalité ». Etant donné que les sites acceptés par Free Basics passent par le serveur d’Internet.org, Facebook peut récolter des données « relatives à la navigation (...) ainsi que le volume de données (...) utilisé lorsque vous accédez à ce service ou l’utilisez » mais « Facebook ne stocke aucune donnée de navigation personnelle provenant du service au-delà de 90 jours. Nous ne partageons aucune donnée personnelle avec nos partenaires de contenu. »

Facebook téléphone
©iStock


Mais alors qui paye les opérateurs pour cette connexion, l’utilisateur ne paye rien ? « Aucune somme n’est versée à Facebook, lit-on sur le site Internet.org, aux développeurs ou aux partenaires de télécommunication. Facebook ne reçoit pas d’argent de la part des développeurs, des partenaires de télécommunication ou de qui que ce soit d’autre pour leur participation au programme Free Basics, et inversement. »

Quid de la neutralité du net ? 

Outre l'opacité, selon l'ONG Internet sans frontières, autour du financement de Free Basics, cette initiative révèle d'autres problématiques. Ce service remet en cause un principe fondamental : la neutralité du net.

« Ce principe veut qu’Internet soit un réseau qui permette à toutes les informations de circuler sans frein, sans discrimination. Peu importe ce que vous cherchez, l’opérateur qui vous donne la connexion, peu importe le terminal que vous utilisez, vous devriez pouvoir recevoir l’information qui circule sur internet de la même manière », insiste Julie Owono.
 

Internet ce n’est pas une denrée privée qui appartiendrait à des opérateurs, c’est un bien public. 

Julie Owono, Internet sans frontières

Sur son site Facebook répond aussi à cette critique : « Facebook soutient la neutralité du Net (...). La neutralité du Net a pour objectif de veiller à ce que les opérateurs réseau ne limitent pas l’accès aux services que les gens souhaitent utiliser. Le programme Free Basics a, quant à lui, pour vocation de permettre à plus de gens d’accéder à Internet. » Mais en restreint l'accès malgré tout en choisissant à quels sites les utilisateurs peuvent avoir gratuitement accès.

Est-ce vraiment à une seule entreprise privée de pourvoir le continent africain en Internet pour tous ? « Internet ce n’est pas une denrée privée qui appartiendrait à des opérateurs, c’est un bien public, un bien commun. Qui est chargé de gérer les biens publics ? C’est l’État​ ! », s’indigne Julie Owono. 

D'autres initiatives que Facebook

Face au géant américain, d’autres initiatives existent. C’est le cas de Be-Bound, une entreprise française co-fondée en 2012 par Yazid Chir. Leur principe est le suivant : des développeurs intègrent leur technologie à leurs applications sous Androïd. « Quand il y a Internet, notre technologie permet d'utiliser moins de bande passante et quand il n'y a plus d'internet, la connexion se fait par le biais du réseau téléphonique qui couvre 95% de la population contre 20% d'Internet dans les pays émergents ». 

Ils sont déjà présents en Algérie, au Vietnam, au Laos, en Inde, en Tanzanie et en Côte d'Ivoire où ils travaillent avec le service postal national. « On veut connecter les 4 milliards de personnes qui utilisent leurs mobiles mais qui ne peuvent pas utiliser Internet », assure Yazid Chir qui privilégie, pour l'instant, des collaborations  « avec de grandes entreprises qui veulent améliorer la vie des gens dans des pays émergents ».

Leur différence avec le géant Facebook ? Leur modèle commercial dans lequel chacun est rémunéré. Par exemple avec la poste ivoirienne, à chaque transaction auprès de clients, facilitée donc par la technologie développée par Be-Bound, un pourcentage est reversé à la poste, à l'opérateur mobile et à l'entreprise française. Yazid Chir assure que son objectif à terme est de « générer des revenus conséquents » auprès des opérateurs pour qu'ils veuillent davantage étendre les connections Internet dans les pays. Tout le monde connecté, pour bientôt ?  

Se faire une place dans les pays émergents

Facebook a déjà voulu offrir ses services en Inde. En vain. « Cela n’a pas été possible parce que la société civile s’est très bien mobilisée, nous explique Julie Owono directrice exécutive de l’ONG Internet sans frontières. Les intellectuels comme les entrepreneurs, les chercheurs, ou encore les représentants de communautés ont tous fait bloc pour dire que c’était un leurre. Ils ont saisi l’autorité de régulation des télécoms, lancé une campagne monstre. Pourtant le gouvernement était prêt à signer et Zuckerberg avait fait plusieurs voyages. » 

Facebook trouve cependant la parade pour connecter plus d'internautes. En mai 2017, le groupe a lancé "Express wifi" en Inde après son échec avec Free Basics. L'idée est de travailler avec les opérateurs pour offrir une connexion à bas coût. 

Dans les pays émergents, le géant américain a aussi lancé une version allégée de son application apelée "Facebook Lite" pour les systèmes Androïd encore et qui réunit aujourd'hui plus de 200 millions d'utilisateurs.  

Après son échec en Inde, le PDG de Facebook s'est tourné vers l’Afrique où il est parti rencontrer, en 2016, les chefs d’État et dirigeants d’entreprises nationales de télécommunication. « En Afrique aujourd’hui, il n’y a pas de société civile qui fait ainsi bloc, observe Julie Owono. Et ceux qui sont censés représenter les citoyens africains n’y sont pas sensibilisés. C’est ce qui permet à Facebook de se développer avec une telle rapidité au travers de son service Free Basics d’autant plus qu’il y a clairement un besoin criant de connectivité. »