Fil d'Ariane
Une audience publique, des promesses de révélations. “Vous serez étonnés”, a dit le ministre de la justice Belkacem Zeghmati. “Des têtes sur un plateau”, nous confie un fin connaisseur des dossiers algériens. Difficile de ne pas percevoir de fortes arrière-pensées politiques dans le procès qui s’est ouvert ce lundi 2 décembre au tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, avant d’être aussitôt reporté à ce mercredi 4 décembre.
Car les têtes en question ne sont pas d’obscurs soutiers mais bel et bien d’anciennes gloires de l’ère Bouteflika, jugées pour corruption et dilapidation de deniers publics.
Le plus célèbre des prévenus, Ahmed Ouyahia, 66 ans, a été quatre fois chef du gouvernement entre 1995 et 2019, dont trois fois sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. Il était Premier ministre lors de la chute de Bouteflika en mars 2019. Et sa propre chute n’a pas tardé : dès le mois de juin, il était derrière les barreaux de la prison d’El-Harrach.
Autre prévenu d’envergure, Abdelmalek Sellal. A 71 ans, il a été Premier ministre pendant plus de cinq ans, entre 2012 et 2017 avec une brève parenthèse d’un mois au cours de laquelle l’intérim était assuré par Youcef Yousfi, également parmi les prévenus. Mais c’est en tant qu’ancien ministre de l’Industrie que Yousfi comparaît cette semaine. Aux côtés de son prédécesseur Mahdjoub Bedda. Jugé également, un ancien ministre des Transports et l’ex-préfet de Tipaza.
Voilà pour les politiques, mais dans le box également, quatre hommes d’affaires parmi les plus riches d’Algérie, jugés pour avoir été les bénéficiaires présumés des faits de corruption. L’un d’eux, Ali Haddad, a créé un géant des travaux publics, ETRHB. Il a aussi dirigé l’un des principaux clubs de football du pays, l’USM d’Alger.
Une cinquantaine d’autres prévenus sont également jugés dans ce gigantesque procès qui pose néanmoins beaucoup de questions. Ce que le site d’information TSA qualifie de “début d’un grand déballage” survient à un peu plus d’une semaine d’une élection présidentielle refusée par une grande partie de la population algérienne et défendue coûte que coûte par le pouvoir.
Les prévenus ont été arrêtés dans le sillage de la chute d’Abdelaziz Bouteflika en mars 2019.
Alors que le Hirak demandait -et réclame toujours- une mise à plat totale du système, l’état-major de l’armée lui offrait des têtes. Le casting de ce procès est, aux yeux du tout puissant Gaïd Salah, une réponse aux revendications de la rue. “Pour beaucoup, la situation est loin d’être sereine pour garantir la tenue de procès équitables et transparents”, souligne El Watan. Le célèbre quotidien qui soulève aussi la question de la compétence du tribunal. Pour l’heure, le procès a été ajourné de 48 heures pour des raisons d’organisation, mais le problème pourrait être plus profond. Selon El Watan, “beaucoup d’avocats posent d’emblée la problématique de la compétence du tribunal de Sidi M’hamed à juger deux anciens Premiers ministres qui relèvent d’une cour spéciale prévue par la Constitution, mais qui n’a jamais été mise en place”. Et le journal de conclure : “Le débat sur cette question s’annonce houleux et certains y voient un motif de renvoi du procès”.
Pour le pouvoir algérien, l’essentiel aura été fait : donner de la visibilité à ce qu’il considère comme un grand ménage dans le système désormais honni. Il n’est pas évident que cela suffise à faire taire les revendications du Hirak.