Fil d'Ariane
“Garder l’Algérie”. Tel est le serment, au matin du 22 avril 1961, du général Maurice Challe lorsqu’il prend la parole pour expliquer la situation. Challe est l’un des quatre généraux qui estiment alors que le président Charles de Gaulle est en train d’abandonner l’Algérie. Une trahison inacceptable à leurs yeux.
L’épisode sera bref, à peine cinq jours. Six décennies plus tard, il apparaît comme le geste un peu désespéré et parfaitement rocambolesque d’une vieille garde déjà nostalgique d’une époque irrémédiablement révolue, celle de l’Algérie française.
En ce mois d'avril 1961, l'histoire est en effet en marche. Le 16 septembre 1959 de Gaulle a reconnu le droit des Algériens à l'autodétermination et, le 8 janvier 1961, les Français ont voté à 75% en sa faveur lors d'un référendum ouvrant la voie à l'indépendance du pays colonisé par la France depuis 130 ans.
Pour une partie des cadres de l'armée française, déjà humiliés par la défaite en Indochine, c'est une trahison insupportable du pouvoir, incarnée par le général de Gaulle devenu président de la République, et qui vient d'évoquer, le 11 avril, un "Etat souverain" en Algérie.
Les quatre putschistes Maurice Challe, Edmond Jouhaud, André Zeller, puis le général Raoul Salan qui les rejoint le 23 depuis l'Espagne, ne seront pas seuls. D'autres généraux au rang moins prestigieux les suivront, mais sans un basculement total de la haute hiérarchie militaire et sans les soldats de l'armée de conscription. Récit d’une opération vouée à l’échec.
Dans la nuit du 21 au 22 avril, le 1er régiment de parachutistes du commandant de Saint-Marc, cantonné à Zeralda dans la banlieue ouest d'Alger, fait route direction la capitale et y investit le Palais d'été où siègent la Délégation Générale, les bâtiments officiels, la radio et les centraux téléphoniques et télégraphiques. Le centre d'Alger est quadrillé de chicanes.
Le délégué Général du gouvernement, Jean Morin, et le ministre des Travaux publics, Robert Buron sont arrêtés ainsi que le Général Fernand Gambiez, commandant en chef des troupes en Algérie, qui tentait de regagner son PC.
Radio Alger l’annonce : "l'armée a pris le pouvoir en Algérie et au Sahara". L'Agence France-Presse relaie alors une déclaration du ministère de l'Information : "L'indiscipline de certains chefs et de certaines troupes a abouti ce matin à Alger à placer les pouvoirs civils et militaires dans l'impossibilité d'exercer leur commandement. La situation dans le reste de l'Algérie est calme. Le gouvernement a pris cette nuit les mesures nécessaires, qui seront publiées dans le courant de la journée".
A Alger, le général Challe lance un appel : "L'armée s'est assurée le contrôle du territoire saharo-algérien. L'opération s'est déroulée conformément au plan prévu. Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud, en liaison avec le général Salan, pour tenir notre serment : garder l'Algérie."
Le général Zeller décrète l'état de siège "sur l'étendue des 13 départements français d'Afrique" tandis que le général Pierre-Marie Bigot, commandant la 5e région, se place sous les ordres du général Challe. Dans l'après-midi, Radio-Alger annonce qu'Oran est aux mains des insurgés.
A Paris, un conseil des ministres exceptionnel proclame l'état d'urgence. Mais déjà en Algérie les premières défections apparaissent du côté de l'armée. A Mers-el-Kébir, la Marine refuse de suivre la sédition. Les généraux de Pouilly et Gouraud, commandants militaires d'Oranie et du Constantinois, repoussent l'ultimatum des putschistes. Gouraud se ralliera finalement le lendemain.
Le 23 avril à 20H00, Charles de Gaulle, en uniforme, lance sur les ondes sa célèbre condamnation du "pronunciamiento" (une expression espagnole désignant une prise de pouvoir par l'armée) et moque un "quarteron de généraux en retraite", "groupe d'officiers partisans, ambitieux et fanatiques".
"J'interdis à tout Français, et d'abord à tout soldat, d'exécuter aucun de leurs ordres", dit-il, déplorant d'un trois fois Hélas ! que le coup de force émane d'hommes "dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être, de servir et d'obéir".
Le lendemain, Challe, Salan, Jouhaud, Zeller, les colonels Godard, Argoud, Broizat et Gardes sont destitués par Paris. En Algérie, les appelés multiplient les actes de résistance à la sédition : brouillage des communications, sabotage des véhicules et dépôts d'essence. Les gendarmes reprennent Alger. Le 25 avril, les légionnaires du 1er régiment étranger de parachutistes (REP) se réfugient au camp de Zeralda qu'ils quitteront le 27, leur unité étant dissoute.
Le gouvernement reprend la radio d'Alger. L'insurrection est terminée.
Deux des putschistes, Maurice Challe puis André Zeller, se constituent prisonniers. Edmond Jouhaud et Raoul Salan passent à la clandestinité pour prendre la tête de l'Organisation armée secrète (OAS).
Ils s'appellent Argoud, Susini, Sergent ou bien-sûr Salan et Jouhaud. Ils sont l'OAS, l'Organisation armée secrète dont les membres et l'histoire sont indissociables du putsch d'Alger. L'OAS fait son apparition dans les derniers mois de l'Algérie française, en février 1961. Elle sera jusqu'à juillet