Afrique

"En attendant les hirondelles" : portraits pudiques de l'Algérie

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©TV5MONDE / Commentaire : K.G. Barzegar - Images : V. Tron - Montage : R. Clémendot

L'Algérie d'aujourd'hui. Trois histoires. Trois personnages au carrefour de leur vie. Trois choix.  Ceux de Mourad, de Dahman et d'Aïcha, les trois héros d'"En attendant les hirondelles", premier long-métrage du réalisateur algérien Karim Moussaoui.

C'est un film passionné et pudique, à l'image du pays qu'il dépeint, avec justesse et lucidité, sans concession ni compromission. Sélectionné à Cannes dans la catégorie "Un certain regard", "En attendant les hirondelles" entrelace trois histoires, trois portraits d’hommes et de femmes aux prises avec la vie, le quotidien et l’Histoire récente de l’Algérie.

 
Aicha
©Hichem Merouche
Il y a Mourad (Mohamed Djouri), un promoteur immobilier, témoin d'une agression nocturne, et qui a laissé la victime pour morte, peut-être pour s'éviter des ennuis, paralysé par sa propre passivité, sa propre lâcheté.
Il y a Aïcha (Hania Amar), une jeune femme traditionnelle, titraillée entre ses sentiments pour son ancien amour Djalil (Mehdi Ramdani) et un mariage de raison auquel elle a consenti. Et enfin, il y a Dahman (Hassan Kachach), un neurologue ambitieux qui se trouve d'un coup confronté à son passé, aux horreurs de la guerre civile...

"À l’orée du 21ème siècle, l’Algérie sort d’une décennie sanglante dont les traumatismes sont encore vivaces aujourd’hui. De nouveaux modes de vie et de pensée s’installent et nous vivons, en quelque sorte, sans nous soucier de l’avenir, sans perspectives, dans un état d’amnésie heureuse", confie Karim Moussaoui. "Mais ce système atteint vite ses limites. Une certaine détresse qui persistait en nous, figée dans le temps, ressurgit."

Des héros "aux carrefours de leur vie"

Aux "carrefours" de leur vie, les héros d'"En attendant les hirondelles" sont donc "tous amenés à quitter leur zone de confort, confort matériel ou idéologique",  note le réalisateur. "Ce qui m'intéresse en tout cas c'est cette possibilité qui est offerte aux personnages d'aller expérimenter quelque chose de nouveau qui peut être inconfortable, parfois risqué et qui n'est pas fait."

 
©Hichem Merouche
Concentré sur trois histoires autonomes, le film de Karim Moussaoui esquisse ainsi trois portraits d'anti-héros perdus, déboussolés, à la croisée des chemins. Car que ce soit Mourad, Aïcha ou Dahman, tous sont arrivés au bout de leur logique, de leurs désirs, parfois aussi au bout de leurs illusions. 
Confrontés à la corruption, au patriarcat et aux fantomes du passé, ils restent prisonniers d'un carcan social si lourd, qu'ils sont au bord de l'asphyxie. 

"J'ai l'impression que les trois ont perdu toute forme de spontanéité", explique le cinéaste. "Il y a toujours ce calcul-là de ce qu'on va faire pour ne pas perdre, mais au final ils perdent, ils perdent la vie."

Radiographie d'une Algérie figée, dans l'attente

Le film traverse divers milieux sociaux, du couple bourgeois à la famille modeste, de la femme "émancipée" à la femme "traditionnelle", de l’homme fortuné et expérimenté au jeune idéaliste désargenté, en passant par ceux dont l’obsession est de gravir les échelons sociaux... A sa manière douce et discrète, Karim Moussaoui dépeint aussi tout un territoire, du nord au sud du pays, en suivant les périples en voiture de ses personnages, d'Alger à Constantine en passant par Biskrah.
 
La ballade de Aicha et Djalil
©Hichem Merouche


"Mes personnages évoluent dans des paysages toujours en mouvement : la banlieue et le centre-ville d’Alger, les vastes terres semi-arides des Aurès, les routes aménagées à la va-vite en relais à la faveur des récentes constructions autoroutières. Dans différents décors aussi : un intérieur bourgeois, un appartement modeste, un hôpital, un hôtel ordinaire, une boîte de nuit, une baraque dans un bidonville…", souligne le cinéaste.
                 
Né en 1976 à Jijel, Karim Moussaoui est venu "progressivement" au cinéma, dans le ciné-club Chrysalide à Alger. Après deux courts-métrages, il a réalisé un moyen-métrage sélectionné aux Césars, "Les jours d'avant" (2015), imprégné de sa propre adolescence: il y narrait une rencontre manquée entre deux jeunes au moment des premières violences de la "décennie noire" dans les années 1990 en Algérie. 

Une ode à l'audace et à la sensualité

Danse entre Aicha et Djalil
©Hichem Merouche

Si le film se penche sans ambages sur les ravages de la guerre civile, notamment à travers l'histoire de Dahman, le cinéaste, lui, s'intéresse davantage aux voies de guérison, pour permettre à ses héros de retrouver la vie... 

Une vie qui crève l'écran par moments : au-delà des autouroutes, des bidonvilles et des chantiers, au-delà de la peur, du désespoir, de la perte de repères, le cinéaste filme une Algérie puissante, vivante, qui respire et qui désire. Insolente et sensuelle comme sa jeunesse. En distillant ici et là, quelques scènes -une danse hypnotique entre Aïcha et Djalil,  un concert improvisé et joyeux- en plein coeur du film.

A sa manière subtile, "En attendant les hirondelles" est un film engagé, un appel à la vie lancé à l'Algérie d'aujourd'hui... Pour oser, faire des choix, prendre des risques, rompre ce temps suspendu où tout est figé, où rien ne se passe... Un engagement pour le réveil des individus.

Quand on demande à Karim Moussaoui si le titre de son long-métrage fait allusion au printemps arabes qui ont ébranlé l'Égypte, la Tunisie ou la Libye en 2011, il répond par la négative. "C'est déjà un titre que j'avais entre 2009 et 2010", dit-il. "Ce qui m'intéresse, c'est le mouvement des individus, le printemps des individus."

EN ATTENDANT LES HIRONDELLES
Un film de Karim Moussaoui
France, Allemagne, Algérie, Qatar – 2017
113 min 
Avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou, Mehdi Ramdani, Hania Amar, Hassan Kachach, 
Nadia Kaci, Aure Atika
Produit par Les Films Pelléas