En Côte d'Ivoire, entre Ouattara et Soro, une relation filiale devenue querelle d'Etat

Ancien Premier ministre de la Côte d'Ivoire et ancien président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro appelle aujourd'hui, depuis Paris, à la "résistance". Sous le coup d'un mandat d'arrêt, accusé d'avoir voulu fomenter une insurrection dans son pays, Soro est en conflit ouvert avec le président Alassane Ouattara dont il était pourtant très proche. Pourquoi cette crise ? Pourquoi cette violente inimitié entre les deux hommes ? Entretien avec le journaliste ivoirien André Silver Konan.
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Guillaume Soro vs Alassane Ouattara
Autrefois très proches, Alassane Ouattara et Guillaume Soro sont aujourd'hui brouillés. Au coeur du conflit, la bataille pour la présidence de la Côte d'Ivoire en octobre 2020.
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TV5MONDE : Depuis la France, Guillaume Soro en appelle à la "résistance" contre son ancien mentor Alassane Ouattara. Comment expliquer une rupture si nette et si violente entre deux hommes si proches par le passé ? 

Nous assistons à une guerre pour le pouvoir. Guillaume Soro lutte pour la conquête du pouvoir, Ouattara lutte pour le conserver. Les deux personnalités sont natives du Nord qui constitue une espèce de chasse gardée pour le RDR, le Rassemblement des Républicains d’Alassane Ouattara, devenu aujourd’hui RHDP. Or Guillaume Soro a refusé d’intégrer ce grand rassemblement, ce qui a tendu des relations déjà pas très nettes entre les deux hommes.

Qu’entendez-vous par “relations pas très nettes” ?

Si vous écoutez Guillaume Soro, il dit très clairement que, depuis 2017, ses relations avec Ouattara étaient frappées de suspicion. Pour ma part, je pense que cela remonte à plus loin. Ils ont eu, par le passé, de très bonnes relations. Après la chute de Laurent Gbagbo qu’ils ont vécue tous les deux, claquemurés à l’hôtel du Golf à Abidjan, ils ont exercé ensemble le pouvoir : Ouattara président et Soro Premier ministre, puis président de l’Assemblée nationale et donc dauphin constitutionnel. 

Je pense que les choses commencent précisément à se gâter entre eux en 2016 lors du référendum sur la nouvelle constitution. Le texte supprime le dauphinat pour le président de l’Assemblée nationale et le confie au vice-président, Daniel Kablan Duncan, dont le poste vient d’être créé. Dès lors, Guillaume Soro n’est plus le numéro deux de l’Etat et il n’est plus le dauphin. De plus, un nouveau Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, est alors mis en avant et, compte tenu du grand âge du dauphin constitutionnel, Coulibaly est considéré comme dauphin putatif. Bref, Guillaume Soro comprend très vite qu’il n’est plus dans le jeu pour la succession de Ouattara et les relations se dégradent. 

On assiste à des relations très filiales entre un père qui a des soucis avec la justice et un fils qui vole à sa rescousse.

André Silver Konan, journaliste

Lorsqu’il décide de modifier la constitution, l’idée d’Alassane Ouattara est-elle d’évincer Guillaume Soro ? 

Je ne suis pas dans la tête du président mais je constate plusieurs choses. Guillaume Soro qui était jusque-là le dauphin constitutionnel ne l’est plus et peut tout à fait considérer qu’Alassane Ouattara a agi ainsi pour lui régler son compte. 

En fait, je pense qu’à l’époque, l’idée du président est de permettre à Daniel Kablan Duncan de lui succéder. Pour ce faire, la nouvelle constitution ne prévoit plus d’âge maximum pour se présenter. Mais la pensée du président a évolué. Il a annoncé la réinstauration de l’âge plafond, 75 ans, pour bloquer Kablan Duncan mais aussi Henri Konan Bédié, et offrir la succession à son dauphin putatif, la 3e personnalité de l’Etat ivoirien, Amadou Gon Coulibaly.

Pendant toute la crise des années 2000, Ouattara et Soro étaient pourtant très liés.

Guillaume Soro le dit très bien. Il raconte qu’il y a vingt ans, il entre en politique pour soutenir Ouattara qui, ironie de l’histoire, est -comme Soro aujourd’hui- visé par un mandat d’arrêt international délivré par la justice sous la présidence de Henri Konan Bédié.
On assiste à des relations très filiales entre un père qui a des soucis avec la justice et un fils qui vole à sa rescousse. Au cours de la crise des années 2000, Guillaume Soro était le patron de la rébellion des Forces Nouvelles. Ouattara avait besoin de ces hommes armés pour chasser Laurent Gbagbo qui refusait de concéder sa défaite électorale.

Ouattara et Soro en 2000
Alassane Ouattara et Guillaume Soro le 4 décembre 2010 à l'hôtel du Golf d'Abidjan. Ce jour-là, Laurent Gbagbo, leur rival, a prêté serment à l'issue d'une présidentielle contestée.
© AP Photo/Thibault Camus

Cette crise entre les deux hommes est-elle une surprise ? 

Je ne suis personnellement pas surpris par le degré d’inimitié atteint aujourd’hui par les deux hommes. Il y a eu des indicateurs ! En 2016, on en parlait, avec la nouvelle constitution, puis l’année suivante lors des mutineries dans les casernes. Sans le dire clairement, le pouvoir a soupçonné Guillaume Soro dont le bras droit avait été arrêté et emprisonné après la découverte d’armes à son domicile de Bouake. 

Le RHDP est un échec personnel pour Alassane Ouattara (...) Si sa machine à gagner avait fonctionné, il n’aurait pas à faire tous ces efforts pour éliminer Soro et d’autres !

André Silver Konan, journaliste

Ce que dit également cette crise entre les deux hommes, c'est l'échec du grand RHDP voulu par Alassane Ouattara qui souhaitait fédérer et dissoudre plusieurs partis sous une même étiquette.

C’est un échec personnel pour Alassane Ouattara. Il avait voulu fonder une grande famille houphouëtiste regroupant tous ses alliés avec qui il avait pris le pouvoir en 2011, mais à l’arrivée il s’agit simplement d’une sorte de “RDR bis” avec quelques dissidents du PDCI. C’est un fiasco car c’était le projet politique majeur de la fin de la carrière politique d’Alassane Ouattara et il n’a pas du tout obtenu le RHDP qu’il souhaitait au départ. D’ailleurs, si sa machine à gagner avait fonctionné, il n’aurait pas à faire tous ces efforts pour éliminer Soro et d’autres ! Si le RHDP était ultra-majoritaire comme le voulait Ouattara au départ, je vous assure que nous n’aurions pas connu la crise actuelle.

Au fond, cet épisode n’est-il qu’un soubresaut dans une vie politique où les alliances se font et se défont ou s’agit-il de quelque chose de plus profond et exceptionnel ? 

Je suis de près la vie politique ivoirienne depuis de longues années et je puis vous assurer que rien ne me surprend venant des hommes qui la font. Je ne serais pas surpris si Soro et Ouattara se rabibochaient et déclaraient la main sur le coeur que tout cela est derrière. C’est le propre de cette catégorie d’hommes politiques en Côte d’Ivoire. Ouattara, Bédié et Gbagbo jouent leurs dernières cartes et entraînent dans leur jeu des personnalités plus jeunes comme Soro ou Blé Goudé, mais je pense que ces petits arrangements entre copains sont en voie de disparition.