Fil d'Ariane
La réponse est pour le moins alambiquée. Samedi 20 avril 2019, le président guinéen accorde un entretien d’une petite quarantaine de minutes à des journalistes sénégalais. Il faut attendre la demi-heure pour qu’Alpha Condé soit questionné sur le sujet qui agite la Guinée depuis plusieurs mois : va-t-il modifier la Constitution et envisage-t-il de briguer un troisième mandat, ce que lui interdit le texte actuel ? “La souveraineté d’un peuple appartient au peuple, répond le président guinéen. Seule la volonté populaire s’impose à tout le monde. Il revient au peuple guinéen s’il veut changer de Constitution ou pas.” A savoir si une telle modification ouvrirait la voie au troisième mandat ? “S’il y a modification de la Constitution, il y a troisième mandat. S’il n’y a pas de modification de la Constitution, il y a mandat ou pas”...
“Les propos sont énigmatiques et ne permettent pas forcément de cerner les choix et options envisagés par Alpha Condé”, explique le journaliste Boubacar Sanso Barry sur le site le Djely dans une tentative d’exégèse de la parole présidentielle.
Arrêtons avec cette vision dogmatique de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats.
Alpha Condé, avril 2017
Par le passé, Alpha Condé a pourtant pu être plus clair quant à ses projets constitutionnels. En avril 2017, à l'occasion d'une visite en France, il évoque déjà la tentation du troisième mandat lors d'un entretien accordé au journal Libération : “arrêtons avec cette vision dogmatique de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats. Cela dépend de chaque pays et de la volonté du peuple".
Des propos que l'UFDG, le principal parti d'opposition, pointe comme autant de signaux très clairs sur les ambitions du chef de l'Etat. "Il y a tout un faisceau d’indices !", estime Nadia Nahman. Pour la cheffe de cabinet et porte-parole du chef de l'opposition Celou Dalein Diallo, le premier signal remonte au 14 décembre 2015. Lors de la prestation de serment d'Alpha Condé pour un second mandat, Kéléfa Sall, le président de la Cour constitutionnelle prononce une phrase restée célèbre : “gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes”. Dès lors, considère Nadia Nahman, "Kéléfa Sall a fait l’objet d’un harcèlement jusqu’à la date du 3 octobre 2018 où, par décret, le président l’évince de la Cour et le remplace par quelqu’un de mieux disposé à son égard". Dernier signal, le 24 mars dernier, au siège de son parti le RPG, Alpha Condé tient un discours mémorable dans lequel il déclare “personne ne m’empêchera d’aller devant le peuple de Guinée et de faire la volonté du peuple”.
Du côté de la présidence, on insiste pour l'instant sur l'opportunité ou non d'une nouvelle Constitution. Le texte actuel date de mai 2010. A l'époque, la Guinée est dirigée par un Conseil national de transition. "Ce texte a maintenant neuf ans, insiste Rachid Ndiaye, ministre d'Etat et conseiller spécial du président. Il faut lui ajouter des éléments de modernité indispensables au renforcement des institutions du pays en terme de décentralisation, de droits des femmes, des jeunes, en terme de représentation de la diaspora… etc."
La modernisation passe-t-elle par la levée de la limitation à deux mandats présidentiels ? "Si un consensus ou une majorité se dégage sur la nécessité de doter le pays d’une nouvelle loi fondamentale, la seconde phase sera une autre discussion sur le contenu du texte", estime Rachid Ndiaye.
Le débat virulent sur le troisième mandat serait donc prématuré. Mais sur le terrain, la tonalité est tout autre. Qu'ils soient pour ou contre, les militants se mobilisent.
Le site Guinée Matin rapporte ainsi que samedi dernier à Faranah, dans le centre du pays, à l’initiative du bureau local du RPG Arc-en-ciel -le parti présidentiel- ils étaient nombreux à estimer qu’Alpha Condé doit pouvoir “continuer ses œuvres et conduire le pays à un bonheur”, selon les mots d’un responsable local. De son côté, Malick Sankhon, directeur général de la Caisse nationale de la sécurité sociale et membre du bureau politique du parti au pouvoir était ce dimanche à Gbessia, près de l'aéroport de Conakry, pour appeler à "prier Dieu de donner le maximum de temps possible à Alpha Condé".
L'argument "des chantiers à terminer" est largement mis en avant par les partisans du troisième mandat mais il ne convainc pas l'UFDG. "Alpha Condé n'a rien fait pour la Guinée", estime Nadia Nahman en pointant la misère et la corruption qui gangrènent le pays. La porte-voix du principal parti d'opposition estime, à ce titre, qu'Alpha Condé est illégitime pour briguer un nouveau mandat. Outre ce jugement, l'UFDG met en avant un argument de légalité : "Sous l’angle du droit, il ne peut pas ! La Constitution actuelle dit qu’un président ne peut pas faire plus de deux mandats et mentionne que c’est intangible !". Deux articles de la Constitution rendent en effet, théoriquement, impossible une réforme destinée à faire tomber la limitation du nombre de mandats.
Début avril, partis d’oppositions, syndicats et société civile ont annoncé la création d’une coalition contre le troisième mandat. Dans un communiqué, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) appelait à “contenir et anéantir cette volonté de troisième mandat ou de glissement de mandat”.
Pour Nadia Nahman, dont le parti est membre du FNDC, "Alpha Condé va à contre-courant de la marche du monde. La jeunesse algérienne a pu briser le mur du silence et de la peur. Le peuple soudanais également. Alpha Condé devrait sortir par la grande porte". Et l'UFDG de rappeler qu'au début des années 2000, l'actuel président -qui était encore une icône pour tous les opposants politiques- était la figure de proue du Front Démocratique pour l'Alternance (FRAD), en pointe du combat contre une réforme constitutionnelle qui avait permis à Lansana Conté de rempiler... pour un troisième mandat.