En prêtant à l'Afrique, la Chine s'est constitué "une clientèle politique"

Entretien. Dimanche 28 novembre se tient à Dakar le Forum sur la coopération sino-africaine. Pour la Chine comme pour les pays africains, l'enjeu est de retravailler une relation aux interêts divergents et complémentaires, qui tend à s'essoufler. Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), répond à nos questions. 
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Chine afrique sommet
Le Forum sur la coopération Sino-africaine (FOCAC), créé en 2000, se tient à Dakar, dimanche 28 novembre. Le thème de cette huitième édition, « Approfondir le partenariat sino-africain et promouvoir le développement durable pour bâtir une communauté d’avenir partagé Chine – Afrique dans la nouvelle ère » dresse les enjeux d'un sommet qui pourrait revisiter la relation asymétrique entre le continent et la puissance chinoise. 
Lintao Zhang/AP
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TV5MONDE : Sur quelle base repose la relation sino-africaine et comment s'organise-t-elle ? 

Thierry Vircoulon : Cela fait près de 20 ans que cette relation s'est développée. Elle est à la fois économique et politique. La Chine est devenue le premier partenaire économique du continent africain, mais aussi un bailleur très important, certainement le premier même. Elle est aussi un partenaire commercial.

La dimension politique de la relation entre la Chine et l'Afrique est un autre aspect très important. On observe un alignement de nombreux pays africains sur la position de la Chine à l’ONU ou dans les instances onusiennes. 
 

TV5MONDE : Peut-on parler de soutien politique des pays africains envers la Chine auprès de ces instances ? 

Thierry Vircoulon : En effet. Ce soutien implique le fait de voter systématiquement pour les candidats chinois lorsqu’il faut élire des dirigeants dans les instances onusiennes, comme l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ou d'autres organisations. Le soutien marche aussi dans l’autre sens. La Chine soutient également par son vote les candidats africains dans ces instances. 


La Chine a prêté beaucoup d’argent aux gouvernements africains. C’est une façon comme une autre de se constituer une clientèle politique. 
Thierry Vircoulon, coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

TV5MONDE : Il s’agit donc d’un échange de supports commerciaux d’un côté et de soutiens politiques de l’autre ? 

Thierry Vircoulon : Concernant la Chine, il s'agit de supports commerciaux mais aussi de financements. Le pays est le premier bailleur bilatéral du continent africain. Par conséquent, elle a prêté beaucoup d’argent aux gouvernements africains. C’est une façon comme une autre de se constituer une clientèle politique. 
 

TV5MONDE : Les intérêts chinois et africains sont très différents. Que gagnent les pays africains dans ces échanges ? Se libèrent-ils d’une tutelle européenne ?

Thierry Vircoulon : Si l’on regarde la dimension financière des choses, cela a permis à un certain nombre de gouvernements africains entretenant des rapports tendus avec les institutions de Bretton Wood et le FMI de trouver un bailleur alternatif. Mais cette situation était valable il y a quelques années. Aujourd’hui, la politique chinoise de prêt est en train de ralentir fortement à cause des problèmes économiques que connaît le pays. 


La Chine est perçue comme un grand pays par les Africains, comme un modèle.
Thierry Vircoulon, coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

TV5MONDE : Y a-t-il des pays plus concernés par ces échanges en Afrique ? 

Thierry Vircoulon : Il y a des pays qui ont plus de relations commerciales et économiques avec la Chine que d’autres, oui. Historiquement, la Chine a développé des relations économiques et politiques avec des pays producteurs de matières premières qui l'intéressaient. Elle s’est donc d’abord orientée vers ces pays pour sécuriser son approvisionnement en matières première. Il y a eu par exemple le Soudan, l’Angola, le Zimbabwe également. L’Angola a été le premier pays dans lequel la Chine a investi fortement, à cause du pétrole, qu'elle a importé massivement. C’est un pays qui aujourd’hui a une dette extrêmement forte à l’égard de la Chine et avec lequel les relations sont les plus étroites. C'est ce genre de pays qui ont été spécifiquement ciblés par la Chine. 
 

TV5MONDE : Cela a développé une dépendance forte entre ces pays et la Chine ?

Thierry Vircoulon : Évidemment. À partir du moment où la Chine devient le premier client pour l’exportation des matières premières, qui représentent 80% des revenus du pays, la dépendance se crée. Ensuite la dette s’est accélérée à cause de la crise qui frappe de nombreux pays africains. L’Angola comme d’autres, se sont d’autant plus endettés auprès de la Chine. Elle est en mesure de dicter ses règles maintenant. C’est pour cela qu’elle a renégocié la dette de l’Angola en 2020, par exemple, en imposant ses conditions. 


L’image économique de la Chine en Afrique est bonne, son image politique l’est beaucoup moins. 
Thierry Vircoulon, coordinateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)


TV5MONDE : Comment est perçue la présence chinoise par la population africaine ? 

Thierry Vircoulon : Il y a des sondages comme l’Afrobarometer qui posent cette question. Ce dernier montre que la Chine est perçue comme un grand pays par les Africains, comme un modèle, dans une certaine mesure. Mais ils sont aussi inquiets de l’influence qu’elle peut avoir sur leur pays, notamment d’un point de vue politique. Afrobarometer indique globalement que l’image économique de la Chine en Afrique est bonne. Son image politique l’est beaucoup moins. 
 

TV5MONDE : La Chine est-elle encore perçue comme une destination d’immigration intéressante pour les Africains ? 

Thierry Vircoulon : C’était le cas il y a 10 ans. La politique d’immigration chinoise était très accueillante, les portes étaient grandes ouvertes. Cela a changé aujourd’hui. Ils sont beaucoup plus exigeants à l’égard des migrants africains qui viennent chez eux. Il y a eu un certain nombre d’incidents, notamment à Hangzhou, avec la communauté africaine.

(Re)voir : République du Congo : une usine chinoise pollue les cours d'eau en toute impunité

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TV5MONDE : La Chine est-elle en situation de leadership en Afrique aujourd’hui ? 

Thierry Vircoulon : Elle est en effet considérée comme un partenaire indispensable dans l’influence économique qui a été la porte d’entrée. Cela a été indispensable pour déployer par la suite une grande influence politique.

Quels sont les enjeux du Forum sur la coopération sino-africaine se tenant à Dakar le dimanche 28 novembre ?


Thierry Pairault, sinologue et socio-économiste, directeur de recherche émérite (CNRS/EHESS) et spécialiste de la présence chinoise en Afrique :

Il y a une volonté de retravailler une relation qui existe entre le Chine et les pays africains. Elle ne se manifeste pas de la même manière pour chacun. Mais ils sont arrivés dans une impasse dans leur façon de procéder.

La Chine a fait de gros efforts pour financer les travaux d'infrastructures qu'entreprenaient les pays africains. Mais dans le même temps, elle s'est aperçue qu'elle n'avait pas toujours mené de façon correcte les études de faisabilité et de rentabilité. Elle s'était arrêtée sur le fait qu'il suffisait de dépenser de l'argent pour que cela puisse créer un mouvement de croissance, voir du développement. 

Les Africains eux aussi ont cru que le seul fait d'avoir de l'argent pourrait être suffisant pour lancer la machine. Eux aussi se sont heurtés à l'optimisme de leur vision. Aujourd'hui, eux aussi doivent se reposer le problème de la rentabilité des opérations qu'ils mènent et les voir dans une perspective à long terme, que ce soit du point de vue économique ou politique. Ils attendent donc de ce fait que les Chinois puissent collaborer d'une façon différente. 

Ce qui sortira de la réunion de dimanche sera soit de la propagande ou alors des avancées. Il est très difficile de dire dans quel sens ces dernières iront.