Fil d'Ariane
La campagne a tout juste officiellement débuté, mais elle bat son plein depuis des semaines. Le 23 décembre 2018 doivent se tenir simultanément les élections présidentielle, législatives et provinciales de la République démocratique du Congo.
En raison des institutions, d’un état de fait (trois présidents seulement depuis 1964, qui ont concentré tous les pouvoirs) et du suspens qui l'entoure, c’est surtout la première (la présidentielle) qui retient l’attention.
Enjeu : la succession de Joseph Kabila, au pouvoir depuis près de 18 années. Celui-ci a succédé à son père, Laurent-Désiré Kabila, après son assassinat en 2001.
Désigné par les proches de celui-ci dans un gouvernement supposé provisoire, il est élu officiellement pour cinq ans en 2006 et réélu dans la contestation en 2011. La constitution lui interdit un troisième mandat.
La chambre basse qui compte 500 députés est aussi renouvelée, ainsi que les 26 assemblées provinciales. Pour ces dernières: près de 20 000 candidats se disputent 780 sièges.
Des observateurs de l’Union africaine, de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC), de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) sont invités, mais non de la Fondation Carter (États-Unis) ni de l’Union européenne (UE) qui a prononcé l'an dernier des sanctions contre quinze dirigeants du régime.
De multiples différends émaillent l’organisation du scrutin. La mise en place de suspectes « machines à voter » fait en particulier l’objet d’une forte contestation de l’opposition. Tout comme le fait que les candidats du pouvoir disposent en pratique des moyens de l'Etat, avantage énorme dans un pays de cette taille dépourvu de véritable réseau routier.
Pour la présidentielle, il s’agit d’un scrutin uninominal à un tour : le premier arrivé est élu, sans seconde manche. D’où un surcroît de tensions dans la compétition et la nécessité d’alliances.
Au départ de la course, vingt-cinq candidats se sont enregistrés auprès de la CENI (Commission électorale théoriquement indépendante). Au terme d'une procédure très critiquée, celle-ci en a retenu vingt-et-un.
Parmi les éliminés, des poids-lourds de l’opposition, tels Jean-Pierre Bemba – ex-chef de guerre et vice-président de Joseph Kabila, incarcéré par la Cour pénale internationale pendant près de dix ans pour crimes contre l'humanité avant d'être acquitté en 2018 mais toujours accusé de subornation de témoins – ou Moïse Katumbi, ex-gouverneur de la province du Katanga, contraint de se réfugier à l’étranger à l’annonce de sa candidature mais empêché de rentrer à temps pour la déposer administrativement. Leur retour avait donné lieu à d'importantes mobilisations de leurs partisans.
Derrière les reports à répétition du scrutin depuis 2016, beaucoup ont soupçonné un projet du redoutable sortant de lever par referendum l’interdiction constitutionnelle d’un troisième mandat, comme l’ont fait allègrement ses voisins Paul Kagamé au Rwanda ou Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville.
Cela n’a finalement pas eu lieu, mais Joseph Kabila n’entend pas disparaître pour autant. Il inspire en juin dernier la création d’un Front commun pour le Congo, regroupant différentes mouvances proches du pouvoir, dont « le président de la République est l’autorité morale ».
Son candidat, Emmanuel Ramazani Shadary, devient celui de la « majorité présidentielle ». Aux yeux de ses adversaires, une marionnette. Il fait également partie des dirigeants congolais sanctionnés par l’Union européenne pour violation des droits de l’homme au motif, entre autres, de son rôle dans des répressions perpétrées en 2016.
L’opposition, en face, a paru tenter de s’unir. Une tâche rendue improbable par les rivalités de ses chefs, qui sont aussi souvent le reflet d’intérêts régionaux et ethniques divergents sinon adverses.
Sept d’entre eux se retrouvent le 9 novembre à Genève sous les auspices d'une ONG de prévention des conflits, la Fondation Kofi Annan, pour trouver – ou feindre de trouver – une candidature commune, à laquelle chacun jure de se soumettre.
Après d’épiques pourparlers, c’est le moins attendu d’entre eux qui est désigné par ses pairs à bulletins secrets : Martin Fayulu, économiste formé en France et aux États-Unis. Nom de la coalition formée pour l’occasion : Lamuka (« réveille-toi » en langue lingala).
Elle tient vingt-quatre heures. Arguant d’un désaccord de sa base, l’un de ses composants principaux, Félix Tshisekedi – fils du charismatique opposant mort en exil Étienne Tshisekedi - quitte l’éphémère navire pour confirmer sa propre candidature.
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Il est aussitôt suivi par une autre figure présente à Genève : Vital Kamerhe, ancien compagnon de guerre et de pouvoir des Kabila père et fils passé à l’opposition en 2009.
Ce dernier retire sa propre candidature à la présidentielle – elle avait été validée – et apporte son soutien à celle de Tshisekedi, au terme d’un minutieux partage des postes virtuels convenu entre eux sur une longe durée, à la manière supposée du tandem Poutine-Medvedev.
Réunissant sous le label « Cap pour le changement » leurs partis respectifs – l’UNC pour Vital Kamerhe, bien implantée dans l’est du pays, l’UDPS pour Félix Tshisédéki d’avantage dans le centre et dans l’ouest – leur union représente une force respectable.
La coalition de Martin Fayulu restant en lice – soutenue par Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi et ainsi forte, elle aussi, d’une certaine complémentarité régionale - l’opposition ne s’en trouve pas moins pourvue – ou affligée – de deux « candidatures unitaires » concurrentes, sans compter les dix-huit autres.
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Dans un vote à un tour, une telle division réduit sérieusement ses chances de victoire dans les urnes. Mais là n’est sans doute pas, pour chaque camp, le seul et ultime enjeu.
Déjà contesté dans sa régularité et son équité, le scrutin sous haute tension - qualifié par un rapport d'experts américains "de tous les dangers" - s’annonce lourd d’incertitudes. Son lendemain plus encore. Il serait aventureux de jurer que la compétition s’achèvera paisiblement le 23 décembre au soir.