En RDC, pour la présidentielle 2023, les grandes manoeuvres ont déjà commencé

Sur le calendrier, l'échéance est encore lointaine. Pourtant, en République démocratique du Congo, la présidentielle programmée théoriquement en décembre 2023 est déjà dans les têtes. Candidats mais aussi polémiques, le climat s'annonce d'ores et déjà électrique alors que l'opposition étrille le bilan du président Félix Tshisekedi candidat déclaré à sa propre succession.
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Drapeaux RDC Illustration
En République démocratique du Congo, la prochaine élection présidentielle est prévue fin 2023.
© Présidence congolaise
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L’image ne pouvait que marquer les esprits. Leur rivalité a été l’un des marqueurs des dernières années de la présidence de Joseph Kabila (2001-2019). Dimanche 22 mai à Lubumbashi, alors que se referment des assises de la réconciliation au Katanga, Joseph Kabila et Moïse Katumbi se serrent la main. À l'issue de la messe et devant les objectifs, l'ancien chef de l'État et son riche opposant sont tout sourire.
Les assises organisées par l’Église se voulaient "apolitiques", mais la séquence est révélatrice du climat qui règne déjà à 18 mois de la prochaine élection présidentielle.

La précédente présidentielle avait conduit Félix Tshisekedi au pouvoir début 2019 au terme d’un processus électoral long et éprouvant, rythmé par des reports à répétition et des manifestations sanglantes. Celle-ci va mettre en scène toute une série de prétendants ayant pour point commun une forte envie de défaire le président sortant.
Rivaux de toujours ou ex-alliés, ils n’ont pas de mots assez durs pour qualifier le bilan du président sortant, qu’ils le trouvent mauvais ou inexistant.

Les critiques se concentrent notamment sur le résultat de Félix Tshisekedi en matière de sécurité, alors que, malgré un état de siège instauré début 2021, les massacres continuent dans l’Est du pays, en Ituri et au Nord-Kivu.

Alliance baroque

Tshisekedi, dont l’élection avait été une surprise il y a trois ans, a d’ores et déjà et depuis de longs mois annoncé qu’il serait candidat à sa propre succession.
Le leader de l’UDPS ( Union pour la démocratie et le progrès social), fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi (mort début 2017), explique qu’il lui faut du temps pour accomplir ses réformes. Il justifie le retard pris dans ses chantiers par l’échec de son alliance initiale avec le parti de son prédécesseur Jospeh Kabila. Ce pacte inattendu et quelque peu baroque avait volé en éclat début 2021, deux ans après l’élection de Fatshi (Félix Antoine Tshisekedi) lorsque ce dernier avait mis sur pied son Union sacrée de la nation écartant de tous les leviers et notamment du parlement le parti PPRD ( Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie) de l’ancien président Joseph Kabila.

Mais comme nous le confiait à l’époque le chercheur Trésor Kibangula, "dans cette Union sacrée, chacun a son agenda". Une prédiction aujourd’hui en train de se concrétiser. Au dépens, vraisemblablement, du président Félix Tshisekedi.

Les opposants se positionnent

Dans la compétition qui s’annonce contre Félix Tshisekedi, le premier à sortir officiellement du bois est un ancien Premier ministre de Joseph Kabila.
Augustin Matata Ponyo Mapon, qui avait dirigé le gouvernement entre 2012 et 2016, a officialisé sa candidature début mai.

Économiste de formation, il se présente comme social-démocrate, attaché à une économie de marché mais accordant de l’importance aux problématiques sociales comme l’éducation et la santé. Il bénéfice d’un bilan macro-économique plutôt bon lors de son passage à la primature. Son avenir politique reste néanmoins compromis par une accusation de détournement d’argent public qu’il conteste.

En novembre dernier, son horizon s’est éclairci lorsque la Cour constitutionnelle a estimé qu'elle n'avait pas compétence à le juger, coupant court aux poursuites contre lui. Au moins provisoirement.

Un dossier qu’Augustin Matata Ponyo Mapon évoquait le 13 mai dernier lors d’un entretien au Journal Afrique de TV5MONDE.

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"Tripatouillage et fraude"

Outre les candidatures officielles, officieuses ou pas encore annoncées, d'autres signes témoignent de la fébrilité qui s'installe en RDC à un an et demi de la date théorique de la présidentielle.
Dernier épisode à l'Assemblée nationale, où une partie de l'opposition réunie sous la bannière G13 a claqué la porte des débats sur la révision de la loi électorale et refusé de participer au vote du 13 mai dernier. En cause, le rejet par la majorité d'un certain nombre d'amendements censés, selon l'opposition, garantir la transparence et la crédibilité des scrutins. L'Assemblée nationale a notamment rejeté l'idée de rendre obligatoire la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote ou encore d'interdire l'achat de voix par des candidats. "Avec ces rejets, la loi électorale consacre le tripatouillage et la fraude", comme en 2006, 2011 et 2018, déclare ainsi à l'AFP l'un des députés d'opposition initiateurs des propositions d'amendements.

Ces derniers mois, l'opposition et les églises catholique et protestante ont aussi reproché à Félix Tshisekedi d'avoir placé un proche, Denis Kadima, à la tête de la Commission chargée d'organiser les élections, la Ceni.
Début février, l'opposition et la Conférence épiscopale (Cenco) n'ont d'ailleurs pas été surprises d'entendre M. Kadima s'inquiéter ouvertement des obstacles à la bonne tenue du scrutin dans les délais prévus. "Cela prépare l’opinion à l’impossibilité d’aller aux élections en décembre 2023, conformément à ce que prévoit la Constitution", réagissait dans les colonnes de Jeune Afrique un proche de Martin Fayulu. Un membre de la Cenco ajoutant pour sa part : "C’est un ballon d’essai lancé par Félix Tshisekedi et sa coalition. Denis Kadima est dans son rôle, il fait ce pour quoi il a été imposé à la tête de la Ceni. Nous les avons à l’œil".

Martin Fayulu, "le revanchard"

Au moment d’annoncer sa candidature, Augustin Matata Ponyo Mapon a ostensiblement rencontré une autre probable figure de la campagne présidentielle à venir : Martin Fayulu.

À la tête de la coalition Lamuka, l’homme de 65 ans est une figure importante de la vie politique congolaise, plusieurs fois député national et député régional de Kinshasa. Constant dans son opposition autrefois à Kabila mais aussi aujourd’hui à Tshisekedi, Martin Fayulu est un homme en colère.

Le site d’information Politico lui consacre un portrait intitulé "le revanchard". Sorti victorieux d’une large primaire de l’opposition fin 2018 (devant Félix Tshisekedi notamment) il a toujours considéré avoir été trahi et estime qu’il est le vainqueur de la dernière présidentielle. Sa constance le conduira même, en janvier 2021, à refuser de s’associer à l’Union sacrée de Félix Tshisekedi.

Le 11 février 2021, il nous expliquait sa position.

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Le sort de Martin Fayulu et notamment les soutiens sur lesquels il va devoir compter seront l’un des enjeux des prochaines semaines.

L'épisode genevois de 2018 puis l’annonce de la victoire de Tshisekedi sont forcément présents dans son esprit. Il raconte ces trahisons et tripatouillages dans un récit à la première personne publié ce lundi 24 mai par Jeune Afrique, "Le jour où on m’a volé la victoire" (Article payant).

Son statut de d’opposant "évident" au président sortant est bien fragile au regard des coups de théâtre possibles dans la vie politique congolaise. La poignée de main entre Kabila et Katumbi le 22 mai à Lubumbashi en est une nouvelle illustration.

Kabila en Lula ?

Une candidature de l’ancien président n’est d’ailleurs pas totalement à exclure. En témoigne l’intéressante analogie établie par Serge Kadima, cadre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti de Joseph Kabila : "L’exemple du Brésil reste aussi pittoresque qu'éminemment inspirant pour la République Démocratique du Congo. La Crise multidimensionnelle provoquée par la gouvernance de Bolsonaro a milité pour le retour de l'ancien Président Lula da Silva qui est d'ailleurs donné favori par tous les sondages au Brésil. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, rien n'empêche actuellement à Joseph Kabila de faire un retour à la LULA d'autant plus que les conditions sont fortement similaires", détaillait-il dans un communiqué le 17 mai dernier.

Quant à Moïse Katumbi, puissant propriétaire du TP Mazembe, l'un des plus grands clubs de football du continent, il reste toujours officiellement lié à l'Union sacrée du président Tshisekedi, tout en se présentant comme opposant au chef de l'Etat.
Le camp présidentiel voit d'ailleurs vraisemblablement en lui un probable rival de poids pour 2023. En juillet 2021, l'homme d'affaires katangais avait ainsi été la cible officieuse d'une proposition de loi sur mesure. Le texte finalement retiré prévoyait d'exclure de la magistrature suprême les Congolais qui ne sont pas nés de mère et de père congolais. Le père de Moïse Katumbi était né à Rhodes en Grèce (île un temps occupée par l'Italie fasciste) et avait migré vers ce qui était à l'époque le Congo belge. Le texte proposé par un proche du président Tshisekedi avait provoqué un tollé et notamment l'intervention de la puissance Cenco, la conférence épiscopale, acteur incontournable de la vie politique congolaise. 

En décembre dernier, Moïse Katumbi, a lancé lundi son parti "Ensemble pour la République" dans la perspective de la présidentielle. L'occasion, alors de poser ses conditions à un maintien dans la coalition au pouvoir.
La poignée de main de Lubumbashi le 22 mai aura, à ce titre, remis un coup de pression sur un camp présidentiel dont les adversaires sont aujourd'hui plus visibles que les soutiens.