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En RDC, l’histoire constitue un véritable tsunami politique, dont la vague pourrait ne pas s’arrêter au seul Vital Kamerhe. Le procès du célèbre chef de cabinet du président Felix Tshisekedi est retransmis en direct sur la chaîne nationale. Une première. Simple manoeuvre politique ou volonté sincère, Felix Tshisekedi affirme vouloir mettre fin à la corruption dans son pays, quitte à sacrifier son plus proche allié au pouvoir.
On le surnomme "Kamerhe le caméléon". Mais le camouflage de celui qui revendique le dynamisme en politique, en passant d’un camp à un autre, semble en avoir pris un coup. Le chef de cabinet de Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, est poursuivi avec deux co-accusés, pour le détournement présumé de 50 millions de dollars d'argent public alloués à la construction de 1.500 maisons préfabriquées.
Le 11 juin, une peine de 20 ans de prison a été requise par la justice congolaise contre Vital Kamerhe. Le jugement doit être rendu le 21 août, après moult reports pour cause de "procédures", a indiqué son avocat Me Jean-Marie Kabengela.
Ancien proche de Joseph Kabila, le président congolais de 2001 à 2019, Vital Kamerhe est ensuite devenu son opposant en créant son propre parti politique. En 2009, le routier de la politique se brouille avec le clan Kabila et se rapproche de l’opposition, dont il se désolidarise par la suite pour former l’alliance CACH (Cap pour le changement, formée par l’UNC et l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social – UDPS, futur parti présidentiel) avec Felix Tshisekedi. Une alliance qui lui permettra ensuite de pouvoir se présenter aux élections.
« Vital Kamerhe a la réputation de quelqu’un qui change beaucoup, ce qui lui a valu des sobriquets comme « le caméléon ». Il revendique un certain dynamisme dans la politique. Pour lui, un homme politique ne peut pas rester statique, il doit évoluer en fonction des dynamiques sur le terrain », explique Trésor Kibangula, journaliste spécialiste de l'Afrique subsaharienne, membre du Groupe d’Etude sur le Congo (GEC), co-auteur d'une note d'analyse sur l'affaire Kamerhe et le "programme d'urgence" de Felix Tshisekedi en RDC.
Depuis le 8 avril 2020, Vital Kamerhe est placé en détention provisoire et poursuit les audiences de son procès. Il n'a ni démissionné ni été démis de ses fonctions depuis son interpellation.
En RDC, c’est la première fois que la justice poursuit un homme politique de l’envergure de Vital Kamerhe. Son procès se déroule à coeur ouvert sur la chaîne nationale congolaise, autorisée à la diffusion par le chef de l’Etat lui-même. Du jamais vu. C’était une exigence du peuple congolais.
« On n'a pas l’habitude de voir de telles affaires, très sensibles, être diffusées pendant des heures et des heures à la télévision nationale, souvent présentée comme la caisse de résonance du parti au pouvoir. Il y avait la volonté de la part de la population de savoir ce qu’il s’était passé pendant le programme des 100 jours et il y a eu une mobilisation sur les réseaux sociaux et dans la rue pour dire « On veut que cela soit diffusé sur la télévision nationale » », explique Tresor Kibangula.
Un feuilleton judiciaire dans un contexte plutôt lugubre. Des décès en marge du procès émaillent son déroulement. Le plus notable en date, celui du magistrat Raphaël Yanyi, présidant avec professionnalisme et fermeté l’affaire du programme des 100 jours. Bien portant deux jours avant, il est retrouvé mort dans la nuit du 26 au 27 mai, d’une crise cardiaque, d’après la police. Le parquet annonçait dans la foulée l'ouverture d'une enquête et demandait une autopsie pour déterminer les "causes ou moyens" du décès.
Quelques jours plus tard, la radio onusienne Okapi avançait : "le juge Raphaël Yanyi n'est pas décédé d'une mort naturelle. Un poison aurait été utilisé pour le tuer". Ce média généralement fiable affirmait se baser sur le rapport d'autopsie et des sources judiciaires. Quant à la famille du juge défunt, elle affirme qu'il était en bonne santé et que son corps revêtait les signes d'un empoisonnement.
Les faits se déroulent alors que Vital Kamerhe prend son poste de chef de cabinet aux côtés du chef d’Etat Félix Tshisekedi, en janvier 2019. Les deux hommes vont gouverner les affaires de la RDC dans ce que certains qualifient d' "opacité totale". La période transitoire de quelques mois, entre l’arrivée du nouveau Président et la mise en place d’un gouvernement, le permet. Vital Kamerhe, face à un gouvernement démissionnaire avec qui Felix Tshisekedi refuse de collaborer, engage des dépenses et récupère un programme dessiné sous l'ancienne présidence : celui de logements sociaux destinés aux campagnes congolaises.
Le tribunal accuse actuellement Vital Kamerhe d’avoir détourné quelques 50 millions de dollars de fonds publics, alloués en théorie à la construction de ces 4.500 logements sociaux.
Les conditions d’achats de ces maisons sont troubles. Une enquête, menée par la journaliste Sonia Rolley pour RFI (Radio France Internationale), révèle que deux sociétés de constructions appartenant au même homme d’affaires, le Libanais Sammi Jamal, signent le contrat. Deux contrats de 57 millions d’euros pour chacune des deux sociétés. Or, le second contrat comprend deux fois plus de maisons que le premier. Autre chose étonnante, le prix des maisons est deux fois plus élevé pour le premier marché que pour le second.
« On a pu vérifier sur le site même de l’entreprise que le prix des maisons est un prix très modique, on est à 5.000 dollars et 13.000 dollars pour des modèles en préfabriqué. Or, les logements sont vendus à l’état congolais trois à sept fois plus cher » explique Sonia Rolley.
Ce 11 juin, le procureur a requis 20 ans de "travaux forcés" (prison) et "dix ans de déchéances de droits d'exercer une fonction publique" à l'encontre de Vital Kamerhe, 61 ans, jugé avec deux coaccusés pour le détournement de fonds public.
La journaliste de RFI découvre que les acteurs nécessaires à la signature des contrats et au décaissement des budgets ne sont pas tous sollicités. Le directeur du cabinet, Vital Kamerhe, n’a en théorie pas le pouvoir de décaisser l’argent. Il aurait dû, à l’époque, demander l’autorisation au ministre du Budget. Or, tout semble passer directement par le ministre des Finances, instruit directement par Vital Kamerhe. À la barre il y a quelques jours, le Ministre du budget dit n’avoir pas été informé de ces dépenses d’urgences et extra-budgétaires. C’est pourtant la procédure pour la chaîne des dépenses informatisée, justement pour éviter les détournements.
« Au Congo, quand on cherche à éviter les détournements, pour tout ce qui est infrastructure, les décaissements se font petit à petit. Or, il y a eu des retraits en liquide, à hauteur de 35 millions de dollars. C’est interdit au Congo de retirer 35 millions en liquide dans une banque, pourtant ça a été fait puis confirmé au procès », avance Sonia Rolley.
« Ce que Felix Tshisekedi pourrait gagner dans cette affaire, c’est sur le plan de son image. Il a lâché un allié faisant partie de sa coalition. Mais dans l’imaginaire collectif des Congolais, le chef de l’Etat est quelqu’un qui peut sacrifier un proche au nom de la lutte contre la corruption » explique Trésor Kibangula du GEC.
Il satisfait aussi les demandes de transparence de l’un de ses principaux partenaires et soutien : Washington. Felix Tshisekedi arrive au pouvoir à la suite d'éléctions controversées. Il n'a alors pas toutes les marches du pouvoir en interne et va chercher un allié extérieur, la Maison Blanche. Avant de le soutenir, elle exige de lui des garanties.
« Les Etats-Unis avaient des exigences, avant de s’engager aux côtés de Felix Tshisekedi. Par exemple, celle que le Président allait sanctionner, disqualifier ou révoquer des officiers qui étaient impliqués dans des violations des droits de l’homme, mais aussi à condition qu’il fixe une vraie politique de lutte contre la corruption ».
Avec ce procès, Felix Tshisekedi se débarrasse aussi d’un rival de poids pour l’élection présidentielle prochaine : celui de Vital Kamerhe, à qui il aurait promis par le passé le siège présidentiel aux élections de 2023.
L’élection de Felix Tshisekedi met fin à un règne long de 18 ans, celui de Joseph Kabila. « Il contrôlait tout. Il avait les parlements, il avait la Justice entre les mains, donc si les règles de la chose publique n’étaient pas respectées, personne ne pouvait dénoncer», explique Trésor Kibangula du GEC.
À travers ce procès et la volonté affichée du président de mettre fin à la corruption en RDC, s’entrevoit la possibilité de revoir le fonctionnement et la structure de l’appareil politique congolais, alors que le Sénat est toujours dominé par l’ancien Président et aspirant à la fonction suprême pour les prochaines élections de 2023, Joseph Kabila.
« On a réalisé qu’il y a des problèmes de gestion du pays par les responsables publics, donc c’est peut-être une opportunité pour le pays d’engager des réformes structurelles et de reconnaître que pendant la période de transition où un pouvoir part et un autre vient, des choses font défaut, comme le contrôle parlementaire et celui de la chambre constitutionnelle ».
Pour Trésor Kibangula, la Justice doit viser plus loin que Vital Kamerhe et engager la responsabilité d’autres hommes politiques dans cette affaire de détournement de fonds publics.
« Tout a été mené de sorte qu’on ne sache pas établir clairement les responsabilités des uns et des autres. Cela sera vraiment capital pour les juges qui mènent aujourd’hui cette instruction, de savoir jusqu’où, au delà de Vital Kamerhé, on fait remonter cette filière et jusqu'où on peut établir les responsabilités des uns et des autres, y compris celle du président de la République », conclut-il.