Fil d'Ariane
Une quarantaine d’accusés étaient jugés au tribunal de première instance de Tunis, lors d’un procès inédit pour "complot" contre le président Kais Saied. Des peines de prison de 13 à 66 ans ont été infligées, ont annoncé les médias samedi 19 avril.
Des manifestants tiennent des photos de détenus lors d'un rassemblement devant le palais de justice de Tunis, mardi 4 mars 2025, pour demander la libération d'individus poursuivis dans une affaire de complot contre la sûreté de l'Etat.
Le tribunal de première instance de Tunis a infligé des peines de prison de 13 à 66 ans, à l'issue d'un procès inédit pour "complot" contre le président Kais Saied où étaient jugés une quarantaine d'accusés, dont des opposants connus, ont annoncé samedi 19 avril les médias et un avocat à l'AFP.
Les accusés ont été jugés coupables à divers degrés de "complot contre la sûreté de l'État" et d'"adhésion à un groupe terroriste", a précisé un responsable du Parquet antiterroriste qui a donné l'information sans détails aux médias dont la radio Jahwara FM.
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Parmi les condamnés se trouvent des personnalités connues de l'opposition, des avocats, des hommes d'affaires. Certains sont emprisonnés depuis leur arrestation il y a deux ans, d'autres en liberté et une partie en exil à l'étranger.
Les figures politiques, comme Issam Chebbi, chef du parti social-démocrate Joumhouri, Jawhar Ben Mbarek, co-fondateur de la principale coalition d'opposants Front de Salut National, et l'ex-ministre du Courant démocrate (centriste) Ghazi Chaouachi, ainsi que l'avocat Ridha Belhaj et la militante des droits Chaïma Issa ont tous écopé de 18 ans de prison, a précisé à l'AFP l'avocat Abdessatar Messaoudi.
L'ancien dirigeant du parti Ettakatol (social-démocrate) Khayam Turki a été condamné à 48 ans de réclusion tandis que la peine la plus lourde de 66 ans a été infligée à Kamel Eltaïef, un homme d'affaires influent, a ajouté Me Messaoudi, défenseur de deux accusés.
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Vendredi, lors de la dernière audience de ce procès, sans précédent par le nombre d'accusés et les chefs d'inculpation, des avocats de la défense, comme Samia Abbou, ont dénoncé "une mascarade" quand le juge a terminé la lecture de l'acte d'accusation et mis sa décision en délibéré, sans réquisitoire ni plaidoiries de la défense.
L'audience dont les journalistes internationaux et les diplomates étrangers étaient exclus, contrairement aux deux précédentes, a été particulièrement houleuse et tenue sous haute surveillance policière. Des contacts suspects avec certaines ambassades étaient reprochés à plusieurs accusés.
Pour l'avocate Haifa Chebbi, fille de l'homme politique Ahmed Nejib Chebbi (frère de Issam), l'un des accusés laissés en liberté, "c'est un verdict préparé à l'avance, sans surprise".
"Je suis triste pour la justice en Tunisie et l'état des libertés", a-t-elle déclaré samedi à l'AFP, sans pouvoir donner d'information sur la peine infligée à son père.
L'un des condamnés par contumace, Kamel Jendoubi, a dénoncé un "assassinat judiciaire". "C'est un ordre politique exécuté par des juges aux ordres, des procureurs complices et une ministre de la Justice, bras armé d'un autocrate paranoïaque", a fustigé ce militant des droits humains et ancien ministre.
Sur cette photo fournie par la présidence tunisienne, le président tunisien Kais Saied prête serment lundi 21 octobre 2024 à Tunis après sa réélection.
Depuis le coup de force de M. Saied à l'été 2021, par lequel il s'est octroyé les pleins pouvoirs, défenseurs des droits et opposants dénoncent une régression des libertés en Tunisie, pays qui avait lancé le Printemps arabe en 2011.
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Pour l'analyste Hatem Nafti, "un acquittement aurait nié le narratif conspirationniste sur lequel repose le régime depuis 2021". Sur X, il a souligné que ce récit "reste accepté par une partie importante de la population" en raison, selon lui, de la "mise au pas de la plupart des médias" et de l'emprisonnement de nombreux journalistes.
Des dizaines de politiciens, avocats, militants des droits et chroniqueurs connus ont été arrêtés à partir du printemps 2023, en vertu d'un décret réprimant la diffusion de fausses nouvelles, à l'interprétation très large.
Le procès dit "du complot" s'est ouvert le 4 mars avec des accusés en détention censés s'exprimer en visioconférence. Leurs avocats ont exigé, sans l'obtenir, leur présence au tribunal, malgré une grève de la faim observée par six d'entre eux.
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La défense a critiqué un dossier "vide" tandis que l'ONG Human Rights Watch a affirmé que le procès se tenait dans "un contexte répressif" où le président "instrumentalise le système judiciaire pour s'en prendre aux opposants et dissidents".
En février, le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme avait dénoncé la "persécution des opposants" en Tunisie, estimant que nombre d'entre eux faisaient "l'objet d'accusations vagues après avoir vraisemblablement exercé leurs droits et libertés". Le gouvernement s'est défendu, affirmant que ces personnes étaient poursuivies pour "des crimes de droit public qui n'ont aucun lien avec leur activité partisane, politique ou médiatique".