Fil d'Ariane
Le tourisme est-il définitivement reparti en Tunisie ? Elyes Besbes veut y croire. « Les Français sont là, les Anglais reviennent. Les Allemands se font encore un peu attendre. Notre clientèle européenne se montre, globalement, de plus en plus présente. C’est sans doute la fin des temps difficiles. Le climat change », confie avec soulagement le directeur commercial de quatre hôtels situés à Sousse. Les chiffres sont encourageants. Le nombre de touristes pourrait dépasser les 9 millions cette année après une année 2018 très positive. Une première pour la Tunisie de l’après-Ben Ali.
Le secteur touristique tunisien revient de loin. Le 26 juin 2015, à Sousse non loin de l’un des établissements d'Elyes Besbes, Seifeddine Rezgui, un jeune Tunisien de 23 ans, sort une kalachnikov et tue de sang-froid 38 touristes sur la plage, essentiellement des Britanniques.
Quelques semaines plus tôt, une autre attaque terroriste dans le musée du Bardo à Tunis avait déjà porté un coup grave au secteur touristique avec la mort de 21 étrangers, français pour la plupart.
En quelques semaines, les hôtels, les plages et les musées se vident. Sur la seule année 2015, le pays perd deux millions de touristes, plus d’un quart de la fréquentation habituelle. Une manne qui disparaît pour de nombreux Tunisiens. Le tourisme fait vivre quelque 470 000 personnes dans ce pays de 10 millions d’habitants.
Pendant de nombreuses semaines, il devient impossible de remplir les hôtels, comme par exemple, les 1200 lits des quatre établissements du groupe hôtelier de Elyes Besbes à Sousse.
Les Européens quittent la Tunisie. Il faut aller chercher de nouveaux clients pour sauver les infrastructures hôtelières. « L’arrivée des Russes et la présence des Algériens nous a permis de nous maintenir à flot. Les Russes ont fui la Turquie suite aux tensions entre Erdogan et Poutine en 2015. Ils ont également quitté l’Egypte, jugée peu sûre pour eux. Nous avons saisi cette occasion et nous avons attiré les Russes en cassant les prix. C’est une clientèle, pour qui le facteur prix, est une donnée essentielle. Les Algériens, eux, voyagent en famille et préfèrent louer des appartements. Nous avons donc également cassé les prix pour les attirer et nous avons changé la configuration de nos chambres », décrit le directeur commercial Elyes Besbes.
« L’Algérie a une classe moyenne qui a un peu d’argent et qui aime passer ses vacances en Tunisie. L’Algérie compte très peu d’infrastructures hôtelières et touristiques. Où passer ses vacances ? La Tunisie est proche et on peut s'y loger facilement », confirme de son coté, Jean-Yves Moisseron, rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek.
La valeur ajoutée de l'offre touristique est surtout accaparée par les tours opérateurs étrangers.
Jean-Yves Moisseron, rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek.
En quelques années, le profil des visiteurs a donc changé. Les Algériens, les Libyens et les Russes représentent désormais plus de la moitié des touristes. Le pays compte ainsi sur l’arrivée de quelque 800 000 touristes russes pour cette année, plus que les Français. Et quelque 1,3 million d’Algériens se sont rendus en Tunisie durant les sept premiers mois de l’année. Un modèle perdure, cependant, celui du tourisme de masse. Et la recette reste la même : du soleil et de la plage bon marché.
Mais c’est un modèle usé, qui ne peut pas tenir à terme, selon Jean-Yves Moisseron, rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machreck et économiste, spécialiste des questions de développement. « Les infrastructures hôtelières proposent des formules 'tout compris'. La valeur ajoutée de cette offre touristique est surtout accaparée par les tours opérateurs étrangers. Et ces offres encouragent les touristes à ne pas sortir de ces complexes hôteliers. Donc ils ne dépensent pas dans l’économie réelle du pays », estime Jean-Yves Moisseron.
Un touriste étranger sort de sa poche 150 dollars en moyenne seulement lors de son séjour en Tunisie, contre 600 en moyenne dans le reste du monde, selon l'institut national de la statistique tunisien. « La trésorerie est tendue pour les hôteliers tunisiens et la crise de ces dernières années ne leur a pas permis d’investir et de monter en gamme. Certaines infrastructures hôtelières se sont mêmes dégradées. », ajoute le chercheur, Jean Yves Moisseron.
Alors faut-il changer de modèle ? Les autorités tunisiennes en charge du tourisme en sont convaincues. « Le tourisme balnéaire doit perdurer mais nous devons développer une offre plus culturelle, plus patrimoniale à plus forte valeur ajoutée. La Tunisie compte ainsi huit sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. La synagogue de la Ghriba à Djerba est un formidable lieu de pèlerinage, la plus ancienne synagogue. Cette richesse patrimoniale est une formidable chance. Ce type d’offre culturelle peut générer plus de valeur et renforcer l’économie tunisienne. Les visiteurs dépenseraient davantage dans le pays », indique Sami Gharbi, directeur de l'Office national du tourisme tunisien pour le marché français.
Mais pour l’instant la qualité de services n’est pas encore au rendez-vous selon Jean-Yves Moisseron, économiste. « Un voyagiste de luxe aura tendance à privilégier comme destination le Maroc au détriment de la Tunisie. Le Maroc a davantage su valoriser ses espaces naturels, sa gastronomie ou son patrimoine ».
Pour l’instant les professionnels du secteur n’arrivent pas encore à couper le cordon avec les voyagistes bon marché. « Nos infrastructures hôtelières ont été construites pour faire du tourisme de masse, contrairement au Maroc. Je dois d'abord remplir chaque année mes 1200 lits. Je ne vois pas le secteur changer de modèle radicalement pour l'instant car nos infrastructures répondent d'abord à ce type de tourisme basé sur le prix », confie Elyes Besbes, directeur commercial de quatre hôtels à Sousse.
Le tourisme tunisien à prix bradé pourra t-il pourtant à survivre à une nouvelle attaque terroriste ? Au plus dur de la crise de 2015, quatre à cinq hôtels fermaient chaque jour. La question sécuritaire devrait déterminer l'avenir du tourisme selon Jean -Yves Moisseron. « Le secteur touristique marocain a pu monter en gamme grâce à la confiance des investisseurs dans la stabilité politique et sécuritaire du pays. Rien de tel en Tunisie pour l'instant. » Un double attentat a frappé le centre ville de la capitale, le 27 juin dernier.
En 2010, à la veille de la chute du régime de Ben Ali, la Tunisie attire alors plus de 7 millions de touristes. Ce chiffre s'effondre à quelque 4,8 millions de touristes en 2011. Les touristes désertent la Tunisie de la Révolution de Jasmin. Cette première hémorragie est progressivement jugulée.
En 2014, la fréquentation touristique frôle les chiffres de 2010 mais le pays perd deux millions de touristes. Les attentats du Bardo et de la plage de Sousse qui voient à eux deux la mort de 60 touristes étrangers mettent à mal une économie touristique qui commençait à se relever des conséquences de la Révolution de 2011. Les autorités et les professionnels du tourisme multiplient les mesures de sécurité avec la présence d'hommes armés sur les plages et dans les hôtels, issus de la police mais aussi de services de sécurité privés.