Fil d'Ariane
Près d’un mois et demi après l’arrestation de deux gendarmes ivoiriens entrés accidentellement en territoire burkinabé, Ouagadougou et Abidjan auraient selon Jeune Afrique démarré de discrètes négociations sur la frontière qui sépare les deux pays. Entre enjeux sécuritaires, migratoires et commerciaux, derrière la question des frontières se cache aussi celle des relations internationales.
Alassane Ouattara, président de la Côte d'Ivoire, à droite, et Omar Touray, à gauche, président de la Commission de la CEDEAO, sont rassemblés pour la réunion de la CEDEAO à Abuja, au Nigeria, le 10 août 2023, suite au coup d’État au Niger. En s'alignant sur la ligne de conduite de la CEDEAO, le président ivoirien s'est attiré la défaveur de son voisin, le Burkina Faso.
La frontière qui sépare la Côte d’Ivoire du Burkina Faso s’étend sur plus de 600 kilomètres, alternant entre terres arides, larges cours d’eau et forêts denses. Une démarcation a bien été tracée, après la décolonisation, pour délimiter ces nouveaux territoires dans ce qui était auparavant l’Afrique occidentale française, mais dans les faits, cette frontière, comme beaucoup d’autres en Afrique, reste très poreuse.
Il n’est donc pas rare que des agents la traversent accidentellement d’un côté comme de l’autre. En mars 2023 déjà, quatre policiers ivoiriens avaient été arrêtés au Burkina Faso près de l’axe Doropo-Kalamon, dans le nord-est du pays, avant d’être relâchés quelques heures plus tard. "Ce sont des situations qui ne sont pas nouvelles” explique Amadou Coulibaly, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ivoirien. “Il est arrivé que nous prenions sur le territoire ivoirien des éléments des forces de l'ordre de nos voisins, tout comme il arrive que certains de nos éléments se retrouvent dans certains pays voisins".
Alors pourquoi l’incursion, a priori accidentelle, de deux policiers ivoiriens en territoire burkinabé, le 19 septembre dernier, s’est-elle soldée par une arrestation et un transfert vers Ouagadougou ? Selon les gouvernements des deux pays, “des discussions sont en cours” pour obtenir la libération des deux hommes, retenus à Ouagadougou depuis bientôt un mois et demi. Des discussions qui se déroulent en parallèle d’un discret dialogue sur la gestion des frontières entre le président ivoirien Alassane Ouattara et le capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition au Burkina Faso - et dans ce dialogue, les deux policiers ivoiriens pourraient bien devenir une monnaie d’échange.
Car si ce genre d’incident n’est pas nouveau, le refroidissement considérable des relations entre les deux pays est, lui, plutôt récent. Les liens s’étaient déjà distendus avec le coup d’État du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) en janvier 2022, puis encore un peu plus lors du coup d’Etat mené par les troupes d’Ibrahim Traoré, neuf mois plus tard.
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C’est encore un coup d’État, au Niger cette fois, qui est venu tendre pour de bon les relations entre Abidjan et Ouagadougou, les deux pays se tenant fermement dans des camps opposés : le Burkina Faso, lui-même dirigé par des militaires, a apporté son soutien aux putschistes qui ont destitué le président nigérien Mohamed Bazoum le 26 juillet dernier. La Côte d’ivoire a, de son côté, condamné ce putsch et appuyé la décision de la Cédéao de déclencher une offensive militaire, s’alignant sur la ligne de la France - une position de plus en plus difficile à tenir dans un Sahel où grandit le sentiment anti-français.
La Côte d’Ivoire est en effet considérée par un nombre grandissant de pays d’Afrique de l’Ouest comme un valet de la France, en faisant un allié peu fréquentable pour son voisin burkinabè. Pourtant les deux pays ne peuvent pas se permettre d’être totalement en froid : ils ont besoin l’un de l’autre notamment pour lutter contre la menace djihadiste mais aussi de réguler l’afflux de burkinabés déplacés par l’avancée des terroristes et venu se réfugier en Côte d’Ivoire.
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La coopération se passait d’ailleurs plutôt bien, quoique discrètement entre les deux pays. Début 2023, la Côte d’Ivoire avait même offert pour 2,3 milliards de francs CFA 53,5 millions d'euros, ndlr) de matériel militaire au Burkina Faso, un acte de générosité récompensé par une lettre de remerciement de la part du gouvernement burkinabè. Depuis, le capitaine Traoré semble avoir changé de stratégie et les deux policiers ivoiriens en captivité dans la capitale burkinabè pourraient bien lui servir de monnaie d’échange.
Dans une interview à la télévision nationale burkinabè le 30 septembre dernier, Ibrahim Traoré a reconnu avoir reçu “du matériel” de la part de la Côte d’Ivoire - avant de glisser qu’une contribution financière de la Côte d'Ivoire au Burkina Faso "serait la bienvenue”. Une suggestion loin d’être anodine compte tenu de la détention des deux policiers ivoiriens à Ouagadougou. Au cours de la même interview, le président de la transition burkinabè avait assuré qu’il n'y avait “aucun problème” entre "les peuples burkinabè et ivoirien", mais que les politiques des deux pays "peuvent différer" - une allusion à peine voilée à la situation au Niger.
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Et les exigences du Burkina Faso ne s’arrêteraient pas là : selon les informations du Monde, le gouvernement burkinabè chercherait même à obtenir l’extradition de personnalités burkinabé détenues en Côte d’Ivoire, tandis que Jeune Afrique assure que Ouagadougou exige l’arrestation et l’extradition d’hommes politiques et de militaires “suspectés de complot contre le capitaine Ibrahim Traoré, et qui seraient en Côte d’Ivoire depuis le 10 septembre”.
De son côté, la Côte d’Ivoire se dit “optimiste” quant à la libération des deux policiers, “dès lors que le dialogue n’est pas rompu” et reste ferme sur ses positions, refusant de céder aux exigences de son voisin. Mais près de deux mois après leur arrestation, les deux agents ivoiriens restent, à ce jour, détenus à Ouagadougou - pour une durée indéterminée.