Fil d'Ariane
TV5MONDE - Après plusieurs semaines de rupture diplomatique entre Paris et Alger, la visite du chef de la diplomatie française ce mercredi 8 décembre s'est essentiellement soldée par un appel à "une relation apaisée" de la part de Jean-Yves Le Drian. Est-ce tout ce qu'il y a à retenir de cette visite suprise ?
Hasni Abidi, politologue - Non, pas du tout. Le fait d'organiser cette visite et le fait que Jean-Yves Le Drian ait été reçu par le chef de l'Etat montrent que le président Tebboune n'est plus dans un état de mauvaise humeur. C'est un premier élément important.
Ensuite, quand il s'agit des relations entre la France et l'Algérie, il y a une grande retenue de part et d'autre. On communique peu sur la visite et sur le contenu de cette visite, parce qu'on n'est pas sûr des deux côtés de la Méditerranée, de l'aboutissement ou, même de l'évolution des rapports entre les deux pays.
TV5MONDE - Est-ce qu'il faut en déduire que les relations entre Paris et Alger ne sont liées qu'aux humeurs du président Tebboune ?
Hasni Abidi, politologue - Non, car avant lui, les relations étaient déjà en dents de scie avec le président Bouteflika. Le président de la République doit tenir compte de configurations nationale, locale et régionale.
Il ne s'agit pas des mauvaises humeurs d'un homme, mais d'un président qui doit être le miroir, en quelque sorte, de tout le pouvoir algérien. Il était très difficile pour Abdelmajid Tebboune, après des déclarations du président français relatés par le journal Le Monde, de faire comme si rien de ne rien n'était, de passer l'éponge.
C'est pourquoi il avait insisté sur un total respect de l'Algérie et de ses institutions et une discussion d'égal à égal. Oui, mauvaise humeur présidentielle oui, mais il est loin d'être l'homme qui monopolise cette mauvaise humeur. Il est celui qui la manifeste.
TV5MONDE - Que retenez-vous finalement de cette visite ?
Hasni Abidi, politologue - On a d'abord le choix de la personne de Jean-Yves Le Drian. Le président français a choisi un homme qui garde toujours une certaine acceptabilité auprès du pouvoir algérien, que ce soit le président Tebboune ou le chef de la diplomatie Ramtane Lamamra.
Les Algériens connaissent très bien monsieur Le Drian parce qu'il a été à la tête des Affaires étrangères depuis plusieurs années. Il a une connaissance du dossier algérien beaucoup plus importante que tous les autres membres du gouvernement. Souvenez-vous de cet épisode du conseil franco-algérien annulé à la dernière minute. Il y avait peu de ministres conviés aux côtés du Premier ministre Jean Castex, mais Jean-Yves Le Drian en faisait partie.
Les Algériens savent que monsieur Le Drian connait le dossier, qu'il n'est pas du tout dogmatique, mais qu'il a plutôt une vision pragmatique des relations.
Il y a une certaine disponibilité de la part des autorités algériennes à entamer le dégel entre entre les deux pays.
Hasni Abidi, politologue
Ce qu'il faut retenir par ailleurs, c'est qu'il y a une certaine disponibilité de la part des autorités algériennes à revoir les relations, à faire baisser un peu la tension et entamer le dégel entre entre les deux pays. La reprise des contacts est un indicateur positif d'un réchauffement, certes prudent, progressif, mais déjà entamé.
TV5MONDE - On a aussi assisté, il y a quelques semaines à une dégradation, si tant est qu'elle puisse encore se dégrader, des relations entre l'Algérie et le Maroc. Est-ce que le réchauffement entre la France et l'Algérie est lié à cette dégradation ?
Hasni Abidi, politologue - Je ne crois pas qu'il y ait un lien. L'algérie a toujours gardé les mêmes griefs contre la France. Selon Alger, la France est alignée sur les positions du Maroc, notamment sur le dossier du Sahara occidental.
Même s'il y a aussi un certain pragmatisme de l'Algérie, estimant qu'elle ne peut pas se permettre d'ouvrir plusieurs fronts en même temps, elle sait aussi qu'elle ne peut pas bouder Paris éternellement.
Il y a une relation forte entre les deux Etats, une relation historique. Cette relation est soutenue par la dimension humaine, par le nombre d'Algériens qui habitent en France et évidemment, elle est l'histoire commune.
Il y a, par ailleurs, des dossiers communs particulièrement importants. Il y a des considérations régionales. La France ne peut pas rester les bras croisés à attendre l'ouverture de son espace aérien aux avions militaires. C'est une question cruciale de sécurité nationale et de sécurité régionale.
Je pense d'ailleurs que l'un des objectifs de la visite de Le Drian était cette question là : revenir sur l'interdiction de l'espace aérien aux avions français, et ce au nom de la sécurité régionale.
TV5MONDE - Après cette visite de Jean-Yves Le Drian, est-ce qu'on peut imaginer au cours des prochaines semaines, des prochains mois, aller un peu plus haut en termes de représentativité, c'est à dire, le président français à Alger ou le président algérien à Paris ?
La visite du président français à Alger dans ces conditions préélectorale en France, est un peu difficile. La visite à Paris du président Tebboune également ; il va attendre le prochain locataire de l'Elysée avant d'entamer cette visite. Et puis une visite au niveau des chefs d'État français ou algérien serait plutôt l'aboutissement de dégel.
La visite de Jean-Yves Le Drian est de bonne augure mais elle doit être suivie par d'abord le retour des ambassadeurs respectifs et le retour aussi des discussions bilatérales qui ont été stoppées net.
Il y aura des discussions sur plusieurs aspects sécuritaires, judiciaires, mais aussi sur le plan diplomatique et ensuite, évidemment, les deux pays évalueront le niveau d'évolution de cette relation.
Mais vous savez, je pense que les relations entre Alger et Paris ne seront jamais idylliques. Il s'agira toujours d'une relation fluctuante, au gré bien sûr, des évolutions propres à chaque État.