Entre l'Afrique et la Chine, est-ce le temps des désillusions ?

Le Forum sur la coopération entre la Chine et l’Afrique se poursuit à Dakar. En vingt ans, les échanges commerciaux entre Pékin et le continent africain ont été multipliés par vingt. Pour autant, les pays africains estiment que les retombées des investissements chinois n'ont pas profité à leurs populations. Est-ce le temps des désillusions ? Réponses avec le journaliste et écrivain Antoine Glaser. Entretien.
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FOCAC
Le Forum de coopération sino-africain (FOCAC) se tient tous les trois ans depuis vingt ans. En 2021, la rencontre a lieu à Dakar au Sénégal. Compte tenu de la situation sanitaire, le président chinois Xi Jinping y assiste à distance.
How Hwee Young / AP
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Le président chinois Xi Jinping promet un milliard de doses de vaccins anti-Covid à l'Afrique. Cette annonce intervient au moment où le continent s'interroge sur sa relation avec la Chine. "Il nous faut plus d'investissements en fonds propres", déclarait le ministre de l'Économie sénégalais Amadou Hott, lors du Forum sur la Coopération entre la Chine et l'Afrique. Selon lui, les pays africains ne tirent pas assez de bénéfices de cette relation.

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Antoine Glaser, journaliste et écrivain français estime que cette désillusion n'est pas uniquement financière. Est-ce que la diplomatie chinoise du vaccin peut suffire ? Comment cette relation peut évoluer ? D'après lui, Xi Jinping a encore de nombreuses cartes à jouer sur le continent, notamment en matière de sécurité et de diplomatie. 

TV5MONDE : Comment est-ce que les pays Africains perçoivent la Chine ? 

Antoine Glaser : C’était intéressant de voir la déclaration du président Macky Sall, parce qu’il a dit "notre coopération avance de façon pragmatique et efficace". Mais c’est surtout le pragmatisme qui domine.

Les pays africains savent très bien que c'est le pragmatisme qui domine. 
Antoine Glaser, journaliste et écrivain

Les Africains savent très bien que les pays comme la Chine ou les États-Unis, ou les Européens en général, viennent défendre leurs intérêts en Afrique. On voit bien que les pays africains ne se leurrent pas là-dessus. Ils savent très bien que c’est le pragmatisme qui domine. 

TV5MONDE : Pourquoi est-ce que l’on parle de "Forum de la Désillusion" ? 

Antoine Glaser : Quand les Chinois construisent des infrastructures, les pays africains sont contents. Parce que d’un autre côté, il y a les entreprises français, pour des histoires de responsabilité, ont beaucoup plus de mal à intervenir sur le continent africain pour des problèmes de financements, etc. Pour tout ce qui touche à la lutte contre la corruption, les entreprises sont de plus en plus frileuses car elles ont peur de se retrouver dans des affaires de corruption en Afrique. 

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Le "Forum de la Désillusion", c’est surtout au niveau de la population. Quand il y a trop de ressortissants chinois dans des pays africains et qu’ils commencent à remplacer les "mamans" qui vendent des beignets sur le bord de la route au Cameroun, c’est là qu’il va y avoir des désillusions.  À mon avis, ce n’est pas tellement les problèmes d’infrastructures qui sont mis en cause.  La remise en cause de la présence chinoise intervient lorsque les petits commerçants africains sont menacés dans leurs activités.  Mais ceci est une autre histoire. 

Il n’y a que la Chine qui puisse absorber les matières premières africaines.
Antoine Glaser, journaliste et écrivain

TV5MONDE : Hormis la Chine, les États-Unis et les pays européens, y a-t-il d’autres pays qui pourraient avoir des intérêts en Chine ? 

Antoine Glaser : Malheureusement, l’Afrique reste un continent largement sous-développé à tous points de vue. Il n’y a que la Chine qui puisse absorber les matières premières africaines. L’Afrique reste le grand continent avec des matières premières stratégiques qui sont encore inexploitées dans le monde. Il n’y a que la Chine qui puisse d’une façon globale être intéressée et absorber l’ensemble de ces matières. Les autres pays sont évidemment intéressés, surtout sur les terres rares (des minerais utilisés dans la fabrication de produits de haute technologie, ndlr), le lithium, etc. Il va y avoir des enjeux géostratégiques. 

C’est la Chine qui a réanimé le continent africain comme un enjeu géostratégique mondial.
Antoine Glaser, journaliste et écrivain

Mais c’est vrai que pendant toute la période de la Guerre froide, ce sont les anciennes puissances coloniales qui dominaient le continent africain. Ensuite, il y a eu une dizaine d’années de flottement où des pays comme la France ont continué à croire qu’ils étaient encore chez eux en Afrique. On a eu l’impression aussi que l’Afrique était un continent un peu abandonné. 

Les investissements de la Chine en Afrique

  • Les échanges commerciaux ont été multiplié par 20 entre 2002 et 2020. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Afrique.
  • Ils se chiffraient à 200 milliards de dollars (178 milliards d'euros) en 2019
  • Entre 3 000 et 4 000 entreprises chinoises opéraient en Afrique en 2017
  • 62 instituts Confucius, pour étudier la langue chinoise, ont été implantés en Afrique

C’est la Chine qui a réanimé le continent africain comme un enjeu géostratégique mondial. Les pays occidentaux, en particulier l’Europe, l’ont vu uniquement pendant cette période de flottement comme un enjeu par rapport à la démographie, par rapport à la pression migratoire, alors que la Chine offrait une autre alternative.

TV5MONDE : Qu’est-ce que la Chine apporte à l’Afrique ? 

Antoine Glaser : Lorsque l’on lit la déclaration du président Macky Sall, on voit bien qu’il y a toutes les critiques qu’on peut faire à la Chine, mais lui il transforme ça en positif. Par exemple, le fait que les pays africains se soient beaucoup trop endettés vis-à-vis de la Chine, il transforme ça en remerciant  la Chine d’avoir autorisé l’émission par le FMI de 650 milliards de DTS. 

Il y a une réponse immédiate des Chinois sur la souveraineté pharmaceutique et médicale.
Antoine Glaser, journalsite et écrivain

Souvent, il y a une critique de la Chine, disant que finalement ils font des travaux dans les infrastructures et qu’ils amènent leur personnel sur le continent africain. Macky Sall transforme ça en disant que c’est bien qu’il y ait une formation technique et professionnelle, un apprentissage des métiers. Mais en même temps c’est une critique sous-jacente, ce n’est pas ce qu’il se passe actuellement.
 

Il y a une réponse immédiate des Chinois sur la souveraineté pharmaceutique et médicale. Et ça, l’Occident est pris à son propre piège. Lorsque Xi Jinping annonce que la Chine va fournir un milliard de doses de vaccin anti-Covid au continent africain, soit suffisamment pour vacciner 60% de la population du continent, c’est extrêmement fort. Parce que les Occidentaux, en particulier les Européens, ne reconnaissent pas le vaccin chinois. 

Les Américains, eux, ont tout de suite anticipé. J’ai trouvé ça très intéressant de voir le secrétaire d’État Antony Blinken, au moment de sa tournée en Afrique, en particulier au Sénégal, déclarer ne pas demander aux Africains de choisir leur partenaire. Il sait très bien que les États-Unis ne mettront pas autant de moyens que les Chinois sur le continent. 

TV5MONDE : Pour le moment, la Chine n’a que peu de présence militaire en Afrique. Est-ce que cela peut être amené à changer ? 

Antoine Glaser : Bien sûr que cela peut changer. À mon avis, la Chine a une vraie stratégie à ce niveau. Xi Jinping parle d’une vision 2035, à long-terme donc. L’insécurité se joue actuellement au conseil de sécurité de l’ONU. On voit que dans un certain nombre de pays comme le Soudan, la Chine et la Russie jouent ensemble contre les Occidentaux. Les résolutions ne sont plus votées comme à une certaine période. 

Les Chinois vont suivre exactement ce qu'ont fait les anciennes puissances coloniales pendant la période de la Guerre froide.
Antoine Glaser, journaliste et écrivain

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Les Chinois vont suivre exactement ce qu'ont fait les anciennes puissances coloniales pendant la période de la Guerre froide. Après avoir acquis des matières premières et construit des infrastructures, ils devront envisager la diplomatie d’influence aux Nations Unies. Au niveau militaire, les Chinois sont déjà extrêmement présents à Djibouti. 

J’ai l’impression qu’ils vont ensuite essayer de prendre le secrétariat général aux opérations de maintien de la paix, qui est un secrétariat général adjoint stratégique. Il est tenu depuis 22 ans par la France, ce qui lui donne une certaine diplomatie d’influence en Afrique et sa présence militaire. Il y a une vraie stratégie à long terme.