Fil d'Ariane
Aminata Gassama, 30 ans, fille d'un père malien et d'une mère française, a pris un aller sans retour direction Bamako lorsqu'elle avait 19 ans, en 2008. Elle ne connaissait le Mali qu'à travers des escales de quelques jours. Elle est aujourd'hui à la tête du bar-restaurant Le Campus, situé à Kayes, l'une des plus grandes villes du Mali. C'est après un BEP comptabilité et un coup de blues qu'elle décide, avec l'aide de son père, de sauter le pas.
Aller s'installer au Mali mais pour quoi faire ? Ouvrir une boîte de nuit ? Trop cher ! Ce sera un bar-restaurant. Tout semble presque facile : trouver le terrain, y faire les travaux, attirer la clientèle... Pendant les premières années, Le Campus connaît de beaux jours avec une clientèle, qui parfois devait attendre à l'extérieur que des places se libèrent.
J'ai dû fermer en 2014 et rentrer en France. Aminata Gassama, 30 ans.
« Les gens étaient curieux de voir ce lieu ouvert par une toute jeune Française qui ne parle pas un mot de bambara », l'une des langues parlées au Mali. Mais derrière les apparences, Aminata décrit une période difficile dans la gestion du bar-restaurant. A l'époque, son jeune âge l'handicape face à ses employés. Manque d'autorité et d'expérience pour manager, elle n'arrive pas à se faire entendre. « C'est comme si je jouais au foot avec les règles du rugby... Notre manière de parler aux employés en France de manière cordiale est perçue comme une faiblesse là-bas ! Il y a énormément de turn over, se souvient-elle, certains abandonnent leur poste après quelques mois de travail. »
Puis, la guerre éclate au Nord du Mali en 2012. Suivie d'une grave crise économique. « J'ai dû fermer en 2014 et rentrer en France. Mais cela m'a permis de faire le point. Car au départ, cette expérience était très dure pour moi, qui ai dû apprendre sur le tas en plus de former les employés. Lorsque je suis revenue en 2016, j'ai fait le tour des restaurants, j'ai observé la manière dont ils fonctionnaient. » Pour tenir bon, elle a dû s'adapter à la mentalité du pays. C'est désormais le sien, elle a acquis la double nationalité. Et elle compte y rester.
Ismaël Zida n'est pas découragé par son expérience. Elle s'est pourtant soldée par un échec. Muni de la double nationalité française et burkinabé, cet ingénieur informatique industriel et électronique de 35 ans, voulait, dès l'université, vivre sur le continent africain.
« J'étais apprenti chez Orange Télécom. A la fin de mon cursus, j'ai refusé un CDI. Je voulais retourner au pays. » S'il parle « du pays » comme les immigrés africains, c'est parce qu'il se sent très proche de ses origines. « C'est une chance de pouvoir choisir entre deux pays. Mes nombreux voyages m'ont fait comprendre qu'il y avait des opportunités. J'ai surtout remarqué qu'il y avait un grand déséquilibre dans le domaine des nouvelles technologies entre l'Occident et le continent africain. J'y étais sensible, moi qui étudiais dans cette branche. Alors à la fin de mon contrat en 2008, j'ai plié bagage. »
Comment travailler quand les coupures d'électricité durent tout un après-midi ou la journée ? Ismaël Zida, 35 ans.
Il hésite alors entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso mais la guerre civile en Côte d'Ivoire choisit pour lui. Ce sera Ouagadougou. Maison achetée et totalement payée avant son départ, Ismaël organise son voyage, confiant, car il compte sur quelques connaissances pour lui ouvrir leurs carnets d'adresses. En quatre ans, le bouche-à-oreille aidant, Ismaël honore une vingtaine de contrats... et pas des moindres puisqu'il réalise même des missions pour le ministère de l'Enseignement supérieur.
« Mais, ça ne s'est pas passé comme je l'espérais. Les contrats étaient irréguliers. Et puis, comment travailler quand les coupures d'électricité durent tout un après-midi ou la journée ? » Il finit par puiser dans ses économies pour vivre. « Ma principale erreur, c'est d'être parti avec très peu de capital : 7000 euros. Je pensais le compléter au fur et à mesure », raconte-t-il en riant de sa naïveté d'antan. De retour dans l'Hexagone, il assur que ce « n'est que temporaire. »
Ces quatre ans lui ont confirmé que son projet était pertinent. Mais ses espoirs se portent désormais ailleurs : la Côte d'Ivoire affiche une belle croissance. S'il souhaite toujours travailler dans le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication, il pense aussi s'intéresser à l'agro-business, « qui est un domaine très prometteur ». Il veut y vivre car, pour lui, la diaspora a un rôle à jouer dans le développement du continent.
A 44 ans, Modibo Traoré, actuellement gestionnaire de projets informatiques, résume bien ses cinq ans passés au Mali de 2005 à 2010 : « C'est une expérience très enrichissante mais c'est une épreuve psychologique. Je voulais apporter ma contribution au développement du pays de mes parents, j'étais idéaliste. Sans volonté politique de ces pays, rien ne peut aboutir », dit-il sans regret mais avec un regard lucide. A 30 ans, ce jeune père de famille décide de partir, constatant que ses possibilités d'évolution s'amenuisent dans son entreprise.
Pour réussir, il faut s'impliquer en politique. Modibo Traoré, 44 ans.
Modibo part prospecter au Mali, pays qu'il n'a pas visité depuis 10 ans. L'idée : concevoir des ordinateurs, les vendre et assurer la maintenance. « Il y avait des prestataires mais leur tarif était élevé. Je me suis dit c'est l'eldorado ! J'ai emprunté 4000 euros et je me suis lancé. Là-bas, je me suis rendu compte que mes connaissances en informatique étaient tout compte fait limitées. J'ai dû embaucher des personnes qui avaient les compétences manquantes. » Bramali, la filiale du groupe Castel, Gras Savoye, la Sitac…
La persévérance de l'autodidacte lui permet de décrocher des missions avec des entreprises, françaises pour la plupart. Il peut même se permettre de rentrer toutes les trois semaines en France pour revoir sa famille. Mais un jour, le vent tourne. « Pour remporter les appels d'offres, il faut graisser la patte. Les dés sont déjà jetés, dénonce Modibo. Je n'ai pas eu les épaules solides pour faire face à la nouvelle concurrence. Parce que j'étais à la fois au four et au moulin. Et puis pour réussir, il faut s'impliquer en politique ». Aujourd'hui, le cadre, qui reste attaché à sa culture d'origine, n'a pas d'autres projets au Mali car pour lui « il faut y être pour réussir ». Mais il rêve toujours d'y passer une retraite paisible.