« Le seul préalable à toute réconciliation, c’est de rendre à M. Gbagbo la liberté de ses mouvements »
Vous déclariez le 2 février dernier que l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire était impensable. Pourquoi cette affirmation ?
C’était d’abord un souhait profond et personnel, étant Français et Ivoirien. Mais cette affirmation était basée sur l’analyse des chefs militaires des forces Licornes de 2002 à aujourd’hui, sur l’analyse des politiques françaises, d’Alain Juppé qui annonçait alors que l’armée française n’interviendrait pas. Mais je disais cela aussi pour essayer de préserver l’avenir. Politiquement et humainement, on mesure déjà aujourd’hui les conséquences de cette intervention. Elle a été prise au plus haut niveau de l’État français, est orientée en direction de milieux d’affaires, européens comme américains. Au lieu de mettre fin à la Françafrique comme certains journaux l’ont affirmé, cette intervention pour conserver Ouattara au pouvoir, va au contraire la renforcer.
Cette crise n’est donc pas finie pour vous ?
On n'en est qu’aux prémisses. Le jour de son arrestation ou kidnapping, le mot reste à définir, Laurent Gbagbo a dit : « la partie militaire est finie, mais il faut régler la partie civile pour que le pays se reprenne ». Il se situait déjà dans une perspective politique à laquelle on doit arriver très vite si l’on veut que la crise se termine, parce qu’elle ne se finira que sur un plan politique. Mais aujourd’hui, deux semaines après, les activités n’ont pas repris, les administrations, les banques sont fermées, les gens sont terrés chez eux, les combats continuent entre les différentes milices, et je ne parle que d’Abidjan.
Mais alors quel avenir pour la Côte d’Ivoire ?
À mon sens, on va comprendre dans les semaines ou les mois qui viennent que la crise ivoirienne n’est pas celle qu’on a décrite dans les médias français. Que ce soit pour la période pré-électorale ou post électorale. On a abreuvé l’opinion publique internationale, plus particulièrement l’opinion française, de contre vérités sur la situation en Côte d’Ivoire. Je ne le dis pas parce que je suis pro Gbagbo, mais je connais très bien la situation, et depuis longtemps. Il y a eu un coup d’État en 2002, et c’est grâce au président Gbagbo que la guerre civile n’a pas éclaté. Ce qu’on a caché à l’opinion c’est que ce ne sont pas les résolutions des Nation unies qui ont permis de revenir vers le droit, vers des élections, mais l’action du président Gbagbo. Aujourd’hui M. Alassane Ouattara, qui a été reconnu par les Nations unies, ce qui est un non-sens juridique, se retrouve installé militairement par des forces étrangères, à la tête de l’État ivoirien : comment, et avec qui va-t-il le diriger ?
Vous ne croyez pas à la réconciliation ?
Pas telle qu’elle s’engage : il y a aujourd’hui des gens qui sont traqués pour leur condition ethnique, religieuse, leurs opinions politiques. Les journaux d’opposition ont été détruits, leurs journalistes ont dû fuir, alors qu’il y a trois semaines les journaux d’opposition à Gbagbo pouvaient dire ce qu’ils voulaient. Il y a des bandes armées qui n’arrivent pas à se mettre d’accord, je ne vois pas ça prendre un bon chemin. Le seul préalable à toute réconciliation, c’est de rendre à M. Gbagbo la liberté de ses mouvements. Sa parole sera le premier élément de la réconciliation. Il n’incitera pas à prendre les armes mais au contraire, il proposera de s’assoir pour discuter. Ses partisans politiques doivent être libres, il faut aller vers des élections législatives. Qu’un débat politique ait lieu : par exemple changer la constitution qui est trop présidentielle pour aller vers plus de pouvoir à l’assemblée nationale. Par contre, si le gouvernement Ouattara veut passer en jugement Laurent Gbagbo, tout ça se terminera mal.