Epidémie d’Ebola en RDC : "Nous soignons gratuitement des patients souvent démunis"

A l’occasion de la 72ème assemblée de l’Organisation mondiale de la santé, son patron, le docteur Tedros Ghebreyesus appelle à l’union contre « l’ennemi public numéro un » en RDC : Ebola. Depuis sa résurgence en août dernier dans le Nord-Kivu, peu de temps après son éradication à 2 500km de là, dans l’ouest du pays, cette fièvre hémorragique a fait près de 1 200 morts à ce jour. Entretien avec Augustin Augier, directeur général de l’association ALIMA, The Alliance for International Medical Action, présente sur le terrain dès le début de l’épidémie.
Image
Centre de santé ALIMA
Centre de traitement Ebola de l'association ALIMA, à Béni, en République Démocrotaque du Congo. 
© Alexis Huguet
Partager 7 minutes de lecture

TV5MONDE : quel est l'état de la situation aujourd'hui dans l'Est de la RDC ?

Augustin Augier : au 21 mai 2019, et depuis le début de l’épidémie, le cumul est de 1 866 cas confirmés et probables, avec un total de 634 personnes guéries et 1 241 décès. Entre septembre et décembre 2018, l’épicentre de l’épidémie s’est déplacé de Mangina à Béni, puis, au début de cette année, dans les zones de santé de Butembo, Katwa et leurs environs.

Malgré le renforcement de la riposte menée par le ministère congolais de la Santé, l’épidémie continue de sévir fortement dans la ville de Butembo. Et chaque semaine, nous recevons des notifications de présence de foyers actifs dans la région. Notre organisation est installée dans les zones de santé de Béni et Katwa.

A Béni par exemple, où nous sommes présents depuis le début de l’épidémie, nous gérons un Centre de Traitement Ebola de 60 lits, dont 14 C.U.B.Es - Chambre d’Urgence Biosécurisée pour Epidémies. Un travail que nous menons avec l’aide du ministère congolais de la Santé.

CUBE
Modèle de C.U.B.E, Chambres d’Urgence Biosécurisée pour Epidémies, dans un centre de traitement Ebola de l'association ALIMA, à Béni, en RDC.
© Jennifer Lazuta

Au 22 mai 2019, 3 005 patients y ont été admis, dont 277 cas confirmés. A Katwa, nous sommes opérationnels depuis la mi-février 2019. Nous y gérons un centre de transit pour la prise en charge des cas suspects et un Service d’Observation Intégrée. Et fin avril, 534 patients y ont été admis, donc 70 cas confirmés.

L'Est de la RDC est une région densément peuplée, où pullulent les groupes armés depuis des décennies, avec en plus des zones très enclavées. Comment peut-on y lutter efficacement contre une telle épidémie ?

Augustin Augier : l’insécurité est bien entendu un enjeu majeur de cette épidémie, car elle ne permet pas un accès complet et permanent pour les équipes de la riposte. C’est pourquoi nous devons constamment juger si la situation permet de faire notre travail avec un niveau de risque « acceptable ».

Mais pour lutter efficacement contre Ebola, il est surtout important d’impliquer la population locale, construire avec elle une relation de confiance, afin qu’elle s'approprie les moyens de la lutte contre l’épidémie. Car ces habitants, comme les agents de santé locaux, sont les plus affectés par l’épidémie qui décime leurs proches.

Augustin Augier
Augustin Augier, directeur général de l'association ALIMA, The Alliance for International Medical Action. 
© D. R.

Si nous arrivons à relocaliser au maximum la riposte, avec un soutien technique des experts nationaux et internationaux, cela facilitera l’efficacité de la riposte. Nous avons par exemple lancé la stratégie des S.O.I - Service d’Observation Intégrée - dans la zone de Katwa, actuel épicentre de l’épidémie, pour prendre en charge des cas suspects d’Ebola dans des unités aménagées, au sein des structures de santé et au plus près des communautés.

Cela permet de ne pas envoyer systématiquement les patients dans les centres de traitement Ebola ou dans les centres de transit, souvent excentrés, éloignés et perçus par les populations comme trop opaques.

Il y a quelques semaines, un membre de l'OMS été tué lors d'une attaque contre un hôpital à Butembo. Que vous inspire cet incident ?

Augustin Augier : c’est un incident tragique ! Attaquer et assassiner des personnels humanitaires qui ont quitté leur propre foyer pour venir aider des populations victimes d’une épidémie est profondément choquant, incompréhensible. Cela souligne le climat d’extrême tension autour de l’épidémie, des équipes qui luttent contre elle sur le terrain, mais aussi la détermination des groupes mal intentionnés. Cependant, nous ne devons pas faire d’amalgame avec la plus grande partie de la population, qui comprend le besoin d’aide, et pour laquelle nous devons continuer à améliorer notre réponse, en renforçant les messages d’information, la qualité de la prise en charge, et l’humanisation de l’ensemble de la riposte. 
 

Après l'annulation de la présidentielle de décembre 2018, puis le report des législatives et des provinciales pour les villes de Butembo et Beni, l'épidémie d'Ebola a pris une tournure très politique en RDC. Comment l'expliquez-vous ?

Augustin Augier : dans n’importe quelle réponse à une épidémie, nous devons faire avec le contexte local qui ne dépend pas forcément de la situation épidémiologique, mais peut être en lien avec son évolution. Notre approche et notre stratégie doivent donc en tenir compte, pour pouvoir travailler.

Nous sommes une association humanitaire indépendante, et nous sommes focalisés sur les soins médicaux. Nous pensons que cette épidémie est avant tout une menace sanitaire, qui touche, comme c’est le plus souvent le cas, les personnes qui sont déjà les plus vulnérables ; et politiser l’épidémie ne rend pas service aux populations.

Ces dernières semaines, l'expression « No Ebola No Money » a fleuri sur les réseaux sociaux. Elle traduit notamment la frustration d'une partie des populations de Butembo, face au luxe relatif affiché par les agents du ministère congolais de la Santé et certains expatriés. Beaucoup dénoncent aussi les différences de rémunération entre locaux et expatriés. Quel regard portez-vous sur ce phénomène et votre organisation est-elle concernée par ces questions ?

Augustin Augier : nous travaillons dans les zones les plus pauvres et les plus difficiles du continent africain. Nous soignons gratuitement des patients souvent démunis. Donc nous comprenons les frustrations d’une partie de la population. Il faudrait faire plus pour répondre aux autres besoins médicaux des populations, et ne pas rester uniquement sur Ebola.

La circulation de ce genre de message a aussi un impact sur les capacités des populations à comprendre la situation ; et cela peut aussi contribuer à les détourner de la vérité, ce qui entraîne ensuite des comportements inappropriés dans la lutte contre la maladie. Mais tout ceci doit nous inspirer, nous aider à remettre en question certains aspects de notre démarche sur le terrain.

riposte

Il est donc de la responsabilité de l’ensemble des acteurs qui travaillent sur la riposte d’avoir une analyse critique sur l’utilisation des moyens, la compréhension qu’a la population de l’approche stratégique et des moyens utilisés. Ceci a un lien direct avec la réussite de la riposte, car elle implique l’adhésion de la population et peut entraîner des situations d’insécurité.

Depuis 1976, c'est la dixième épidémie en RDC. Mais comme le souligne l'OMS, « c'est la première fois que la maladie touche une zone très peuplée et en situation de conflit intense. » Dans ces conditions, pensez-vous que l'épidémie pourra être éradiquée dans cette région ? 

Augustin Augier : oui, bien entendu. L’approche initiale de riposte était basée sur les épidémies précédentes, donc rurales. Or, en contexte urbain, la stratégie doit s’adapter particulièrement aux transmissions plus larges et plus rapides. Il est difficile de se prononcer sur la durée de l’épidémie et l’intensité qu’elle prendra dans les mois à venir.

Mais nous pensons que l’intégration des populations locales, les mécanismes de réponse communautaire, l’évolution de la stratégie vaccinale, la décentralisation des soins et des autres secteurs, porteront bientôt leurs fruits. Enfin, malgré le contexte et la complexité de la prise en charge, l’intervention d’acteurs médicaux supplémentaires est indispensable pour couvrir l’ensemble des besoins.

A ce jour, trop peu d’organisations soutiennent le ministère congolais de la Santé et l’OMS, pour délivrer des soins et gérer les centres de prise en charge de Butembo et Katwa ; alors que l’épidémie est actuellement à son plus haut niveau depuis ses débuts en août 2018.

Ebola, c'est quoi ? Comment le virus se transmet ? 

  • Le virus Ebola se transmet à l’homme par les chauves-souris ou encore les singes infectés dans les forêts tropicales, après contact avec du sang, des sécrétions ou d’autres liquides biologiques. Il se propage ensuite entre humains par les mêmes liquides biologiques - sang, sécrétions, transpiration, sperme -, soit par contact direct, soit à travers des matériaux contaminés - drap, matelas, etc...
  • Le virus ne se transmet pas par voie aérienne. En dehors de son réservoir naturel ou humain, il a une durée de vie très limitée, et peut être facilement détruit, notamment par le chlore. Dans un contexte d’épidémie, il faut respecter des mesures d’hygiène strictes : lavage des mains et des matériaux potentiellement contaminés, avec une solution d’eau chlorée à 0,05%. Le matériel à usage unique doit être systématiquement brûlé, et remplacé par du neuf. Les contacts interhumains sont fortement déconseillés ; et tous ceux qui approchent des personnes ou du matériel infectés - soignants, hygiénistes… - doivent se protéger avec des gants ou des équipements de protection individuelle. La consommation et la manipulation d’animaux sauvages est également interdite.
  • Une personne infectée n’est contagieuse que lorsqu’elle présente les premiers symptômes - entre le 2ème et le 21ème jour, après la contamination. Ces symptômes sont : une fatigue fébrile, des douleurs musculaires, des maux de tête et un mal de gorge. Très souvent, ils sont suivis de vomissements, diarrhées, insuffisance rénale, et dans certains cas d’hémorragies. Dès l’apparition de ces symptômes, il faut arrêter tout contact avec son entourage et se rendre dans la structure de santé le plus proche.