Fil d'Ariane
TV5MONDE : Qui sont les groupes qui s'opposent au gouvernement fédéral éthiopien ?
Patrick Ferras : Cette coalition est un mouvement de partis d'opposition régionaux, avec surtout deux grands mouvements. Le premier est le TPLF (Front de libération du peuple du Tigré, ndlr), qui est le plus puissant militairement, qui est organisé et qui a un programme, en quelque sorte. Le deuxième est l'Armée de libération oromo, qui est la partie armée du Front de libération oromo.
Ce mouvement est beaucoup moins puissant que le TPLF. Il a quelques éléments de programme mais il n'est pas du tout au même niveau que les Tigréens, comme tous les autres mouvement de cette coalition. Le TPLF pourrait faire sans les autres mouvements en réalité, mais le renfort des Oromo est important, parce que Addis-Abeba est en plein pays oromo.
TV5MONDE : Ces mouvements ont-ils tous les mêmes objectifs ?
Patrick Ferras : Les objectifs de ces partis sont communs sur un point central, celui de faire quitter le pouvoir à Abiy Ahmed, le chef de l'État éthiopien actuel. Ensuite, ils ont une volonté de faire une sorte de gouvernement d'union nationale à partir de cette coalition, ce qui risque de survenir si Abiy Ahmed tombe.
À partir de la prise d'Addis-Abeba par la coalition et la chute d'Abiy Ahmed, la guerre va diminuer d'intensité.
Les autres partis autour du TPLF risquent d'être un peu à la marge, comme ce fut déjà le cas avec le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE, équivalent du mouvement tigréen du FLTP actuel, ndlr) en 1991 (année qui marque en Éthiopie la fin du régime marxiste du Derg, débuté en 1974, ndlr).
Éthiopie et guerre du Tigré : le point sur la situation au 24 novembre 2021
Depuis cet été, près de 400 000 personnes ont franchi le seuil de la famine. L'ONU estime qu'une centaine de camions d'aide devraient atteindre quotidiennement le Tigré pour subvenir aux besoins de la population, or seuls 15% de ce chiffre serait atteint. Le gouvernement éthiopien rend le TPLF responsable de ces difficultés d'acheminement, en raison de ses incursions dans les régions Afar et Amhara. Les autorités éthiopiennes sont cependant elles-mêmes également accusées d'entraver l'accès au Tigré.
Un nouvel état d’urgence a été instauré depuis le 2 novembre dans tout le pays par crainte que le TPLF (ou FLTP en français) ne marche sur la capitale, ce qui est le cas aujourd'hui. L'ONU va évacuer d'ici le 25 novembre les familles de ses employés internationaux en Éthiopie. La France appelle ses ressortissants à quitter le pays. Les combats ont progressé vers la capitale depuis le 23 novembre.
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TV5MONDE : Que peut-il se passe si la coalition parvient à s'emparer de Addis-Abeba, la capitale de l'Éthiopie ?
Patrick Ferras : Je pense que cela signifiera qu'ils ont réussi à renverser Abiy Ahmed, parce qu'on le voit mal résister depuis une autre province. Sera t-il en prison, en fuite ou peut-être mort au combat ? Dans tous les cas, à partir de la prise d'Addis-Abeba par la coalition et la chute d'Abiy Ahmed, la guerre va diminuer en intensité.
Il est probable, que comme en 1991, la coalition licencie l'armée. Il restera alors quelques poches d'insécurité et de résistance, notamment à l'ouest du Tigré. Mais il y aura une nouvelle armée reconstruite à partir des mouvements d'opposition.
TV5MONDE : Il y a des craintes de génocide depuis le début de cette guerre civile, qu'en pensez-vous ?
Patrick Ferras : Je ne sais pas s'il y a eu un génocide en tant que tel, mais il est certain qu'une épuration éthnique a été organisée dès le début de la guerre civile. Tous les Tigréens des forces armées régulières ont été jetés dans des camps, comme ceux des institutions fédérales, des entreprises de l'État. Il y a eu des exactions commises au Tigré, par l'armée éthiopienne ainsi que par l'armée érythréenne. Et cela continue à Addis-Abeba, puisque les Tigréens sont chassés en pemanence et mis en prison.
Tout va dépendre comment la Communauté internationale réagit, en apportant ou non tout de suite son aide à ce nouveau gouvernement qui pourrait succéder à Abiy Ahmed (…)
Aujourd'hui les forces tigréennes visent Addis-Abeba pour mettre hors d'état de nuire Abiy Ahmed, avec la volonté de le condamner à la prison, pas pour l'exécuter. Il y a eu des exactions des deux côtés, mais je ne pense pas que les forces tigréennes arrivent à Addis-Abeba pour faire de l'épuration éthnique. Ils ne sont pas dans cette démarche là, ce qui est confirmé par les témoignages dans toutes les villes où les forces de coalitions sont arrivées : on n'entend pas parler d'épuration éthinque ou d'exécutions.
Les forces insurgées ne seraient plus qu'à 180 km de la capitale, Addis-Abeba.
TV5MONDE : Un effondrement de l'Éthiopie est-il possible et comment se traduirait-il ?
Patrick Ferras : L'Éthiopie est déjà bien effondrée au niveau économique. Les salaires sont extrêmement bas, il y a 35% d'inflation, la monnaie a complètement chuté. Mais si l'on parle d'un effondrement de la nation éthiopienne, je ne crois pas que cela surviendra. Je pense que l'Ethiopie va rester unie, il faudra panser les plaies et ce sera difficile. Il faudra du temps.
Tout va dépendre comment la Communauté internationale réagit, en apportant ou non tout de suite son aide à ce nouveau gouvernement qui pourrait succéder à Abiy Ahmed, s'il est éjecté du pouvoir.
À mon sens, dans l'avenir, la seule région qui pourrait demander son indépendance, ce serait le Tigré. Ils le feront par référendum, selon la Constitution qui le permet. Par contre, autant la diaspora tigréenne est favorable à l'indépendance du Tigré, autant je ne suis pas certain que les Tigréens eux-même veuillent quitter le giron de cette grande Éthiopie.
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