En Ethiopie, le meurtre du chanteur Hachalu Hundessa, appartenant à l'ethnie oromo, lundi soir à Addis Abeba, a provoqué une vague de manifestations. Au moins 81 personnes ont été tuées en deux jours et plusieurs grièvement blessées. Une nouvelle illustration des tensions politiques et communautaires qui agitent le pays.
Ces violences ont conduit le gouvernement à couper Internet dans la capitale Addis Abeba. Elles soulignent la fragilité de la transition démocratique mise en œuvre par le Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la Paix 2019.
(RE)voir : Le Premier ministre Abiy Ahmed lauréat du prix nobel de la paix 2019C’est la radio télévision Fana, proche du pouvoir qui a donné la nouvelle de la mort du chanteur Hachalu Hundessa, 34 ans, tué par balles lundi 29 juin au soir à Addis Abeba. Ses textes politiques en avaient fait l'une des voix fortes de l'ethnie oromo - la plus importante du pays, pendant les années de manifestations antigouvernementales qui ont porté M. Abiy au pouvoir en 2018.
Mardi 30 juin au matin, des foules de manifestants ont convergé vers la capitale depuis la région voisine d'Oromia, bloquant la circulation.
En Oromia, des manifestations ont également éclaté dans plusieurs localités, comme à Adama, dans le centre du pays, où des victimes ont affirmé avoir été touchées par des tirs des forces de sécurité. Desalegn Fekadu, chirurgien à l'hôpital de la ville, assure qu'
"il y a beaucoup de victimes, la plupart par balles. Trois patients sont morts et il y en a encore dans un état critique. Il y a aussi plus de dix patients avec des brûlures. Ils ont raconté que leurs maisons avaient été incendiées."(Re)voir aussi : Plusieurs morts dans des violences après la mort du chanteur oromo Hachalu Hundessa
Un habitant de la zone de Mirab Hararge, en Oromia, a affirmé sous couvert d'anonymat, que son cousin avait été tué à coups de couteaux par des jeunes nationalistes oromos, parce qu'il était issu de l'ethnie amhara.
"Ils l'ont tué à cause de la mort de l'artiste" mais
"il ne connaissait rien à la politique", a-t-il expliqué.
Des porte-parole de la police fédérale et de la police régionale de l'Oromia ont indiqué ne pas avoir d'informations sur le nombre de victimes ce 30 juin.
Amnesty International a fait état
"d'informations sur la mort de plusieurs personnes lors des manifestations en cours", mais l'organisation se dit
"incapable de confirmer leur nombre et les circonstances (de leur décès) en raison de la coupure d'Internet depuis ce [mardi] matin" en Ethiopie.
Le mobile du meurtre d'Hachalu Hundessa n'est pas encore connu, mais le chef de la police d'Addis Abeba, Getu Argaw, a déclaré à la radio télévision Fana que
"des suspects" avaient été arrêtés.
Au plus fort des manifestations antigouvernementales, qui avaient commencé en 2015, le chanteur avait lors d'un concert à Addis Abeba, exprimé dans ses textes les griefs des Oromo qui s'estimaient marginalisés économiquement et politiquement.
"Nous les Oromo, nous avons fait tout ce que nous pouvions, nous avons fait de notre mieux, nous ne pouvons pas faire plus. Nous avons servi les petites gens et les grandes pour pouvoir vivre ensemble, mais nous ne pouvons plus tolérer cela", disait-il dans l'une de ses chansons.
Arrestation du dirigeant d'opposition oromo Jawar Mohammed
La police éthiopienne détenait mercredi 1er juillet le populaire dirigeant d'opposition Jawar Mohammed, critique du Premier ministre Abiy Ahmed. Cette arrestation pourrait aggraver encore les tensions politiques et communautaires qui ont causé plusieurs morts lors de manifestations.
Fondateur du média d'opposition Oromia Media Network (OMN), basé aux États-Unis et qui diffuse principalement via Facebook, M. Jawar a été arrêté mardi à Addis Abeba avec 34 autres personnes, a indiqué dans un communiqué le chef de la police fédérale, Endeshaw Tassew.
Son arrestation a fait suite à une altercation avec la police au sujet du corps d'Hachalu. La dépouille devait être transportée dans sa ville natale d'Ambo pour y être inhumée, mais M. Jawar et certains de ses partisans l'ont interceptée et ont tenté de la ramener à Addis Abeba, a affirmé M. Endeshaw.
"Il y a eu un incident entre les forces de sécurité fédérales et d'autres, et au passage un membre de la police spéciale d'Oromia a été tué", a-t-il déclaré.
"Trente-cinq personnes, dont Jawar Mohammed, ont été arrêtées. Les forces de sécurité ont saisi huit kalachnikov, cinq pistolets et neuf transmetteurs radio dans la voiture de Jawar Mohammed", a-t-il ajouté.
En octobre dernier, des rumeurs sur la prochaine arrestation de Jawar Mohamed avait été le déclencheur de manifestations anti-Abiy en Oromia, qui avaient dégénéré en émeutes alimentés par le ressentiment ethnique et religieux, faisant 78 morts.
Des statues visées
A Addis Abeba, où les manifestants se sont regroupés en plusieurs endroits, les forces de sécurité ont tiré en l'air mercredi pour disperser des protestataires qui s'approchaient d'une statue de l'empereur Menelik II, largement considéré comme le bâtisseur de l’Éthiopie moderne.
Les nationalistes oromo voient dans Menelik l'origine de ce qu'ils perçoivent comme leur marginalisation. Hachalu avait appelé le mois dernier à ce que cette statue soit déboulonnée.
Mardi à Harar, capitale de la région du même nom, enclavée en Oromia, des manifestants s'en étaient pris à la statue de Ras Mekonnen, le père de l'empereur Haïlé Sélassié, a dit à l'AFP un médecin de la ville, sous couvert de l'anonymat. Il a aussi rapporté la mort d'une personne pendant des manifestations.
Merera Gudina, chef du Congrès fédéraliste oromo (OFC) a indiqué à l'Agence France-Presse être
"détenu" par la police avec d'autres membres de ce parti d'opposition, sans qu'il soit
"clair", selon lui
"si c'est temporaire ou non".
L'ambassade américaine en Ethiopie a évoqué mardi des
"coups de feu à Addis Abeba. La situation est actuellement volatile. S'il vous plaît, restez chez vous jusqu'à nouvel ordre", a-t-elle mis en garde.
Les rues du centre d'Addis Abeba restaient calmes et les commerces ouverts. Mais de larges groupes de manifestants se sont rassemblés en divers endroits en périphérie de la capitale.
Un groupe a entonné des chants honorant la mémoire d'Hachalu, tout en brandissant des drapeaux de l'Oromia.
"Un jour, nous serons libres. Hachalu, tu n'auras pas versé ton sang en vain", chantaient-ils.
M. Abiy a appelé au calme et exprimé sa
"peine profonde" dans un communiqué publié sur Twitter, décrivant Hachalu comme un
"jeune artiste rayonnant".
Même si M. Abiy est le premier chef de gouvernement oromo de l'histoire moderne, de nombreux nationalistes oromo l'accusent de ne pas faire suffisamment pour défendre les intérêts de sa communauté.
Depuis son accession au pouvoir, le Premier ministre s'est efforcé de promouvoir des réformes politiques et économiques. Mais cette ouverture a laissé le champ libre aux violences intercommunautaires qui mettent à l'épreuve le système éthiopien de fédéralisme ethnique.
(RE)voir : L'armée accusée d'abus contre les civils Oromo