Fil d'Ariane
Le 2 novembre 2022, le gouvernement fédéral éthiopien et les autorités du Tigré signent l’accord de Pretoria mettant fin à une guerre de deux ans qui a coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de personnes. Mais ce processus de paix a ouvert un conflit dans la région voisine de l’Amhara.
Le négociateur principal du gouvernement éthiopien, Redwan Hussein, à gauche, et le négociateur principal du Tigré, Getachew Reda, à droite, signent des documents lors des pourparlers de paix à Pretoria, en Afrique du Sud, le 2 novembre 2022.
“Le pays est toujours en guerre”, prévient Mehdi Labazé, politiste et chercheur au CNRS. Pourtant, le Premier ministre Abiy Ahmed signe le 2 novembre 2022 avec les autorités du Tigré les accords de Pretoria, en Afrique du Sud, qui mettent fin à l'un des conflits les plus meurtriers de la planète. Le bilan humain est opaque, avec des centaines de milliers de morts estimés pendant ces deux années, en plus d’innombrables atrocités perpétuées. L'Union Africaine est marraine de l’accord et son président Moussa Faki “félicite les Éthiopiens d'avoir choisi la paix, le dialogue national et la réconciliation”.
Même s’il salue “le courageux engagement pour la paix dont ont fait preuve” les signataires, le chef de la diplomatie de l’Union Européenne Josep Borrell a partagé jeudi 2 novembre ses “inquiétudes quant aux divers conflits en cours en Ethiopie, à l'état d'urgence et aux divers types de violations des droits humains dont il est en permanence fait état".
Le gouvernement fédéral poursuit ses combats contre les milices oromos depuis 2018 dans le sud-ouest de l’Ethiopie, participe à des échauffourées avec l’Erythrée qui tente des incursions depuis les territoires occupés du Tigré et surtout lance une guerre contre les milices nationalistes issues de la deuxième plus grande région d’Ethiopie : l’Amhara.
Si les premiers combats commencent dès février 2021, ils s’accentuent après l’accord de paix. Les raisons sont notamment dues à un désaccord sur le traité. Les milices de l’Amhara ont combattu du côté du pouvoir parce qu’Abiy Ahmed “a su jouer sur les discours nationalistes”, constate le politiste Mehdi Labazé. Mais la fin de la guerre n’est pas acceptée par les miliciens qui contrôlent le Tigré occidental. “Ce qu’ils veulent, c’est mener à bien le projet génocidaire contre les Tigréens”, ajoute le chercheur au CNRS.
L’alliance est rompue et dégénère en conflit ouvert en avril 2023. L’état d’urgence est décrété en août de la même année. “Les miliciens se retranchent dans les campagnes et pour les atteindre, le gouvernement frappe les civils”, note le chercheur. Des centaines de victimes sont déjà à déplorer, en plus d’arrestations de masse et de la destruction d’infrastructures.
“Cette guérilla en Amhara est apparue parce que les milices ont été formées pour lutter contre le Front populaire de libération du Tigré”, explique René Lefort, chercheur indépendant spécialiste de la Corne de l’Afrique. Selon lui, le Premier ministre souhaite désormais supprimer toutes ces milices du pays parce qu’il “a peur”.
Si les combats ont cessé dans une partie du Tigré, la situation humanitaire reste catastrophique. Plus d’un million de personnes se trouvent encore dans des camps de déplacés après avoir fui leur domicile. Cela représente environ une personne sur six dans la région.
La population subit une grave crise alimentaire. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a décidé de suspendre cette aide en raison d’un taux de détournement important. “C’est une punition collective injuste”, déplore le chercheur Mehdi Labzaé.
A cela s’ajoute l’ensemble des infrastructures détruites dans l’un des pays les plus pauvres du continent africain. Pour reconstruire le réseau routier, les systèmes de télécommunication, les habitants ou encore les hôpitaux, “ça va prendre un certain temps”, constate Alain Gascon. Le professeur honoraire à l’institut français de géopolitique de l’université Paris 8 nuance toutefois que la situation s’améliore : “Il y a maintenant la possibilité de rejoindre la province et d’y apporter de la nourriture par exemple. Les communications se sont améliorées et une administration provisoire s’est même installée”.