Étudiants africains d'Ukraine : "En France je n'étais pas considéré comme un réfugié de guerre"

C'était il y a un an. L'armée russe envahissait l'Ukraine poussant sur les routes plusieurs centaines de milliers de réfugiés dont des ressortissants africains venus faire leur études dans les universités ukrainiennes. Aujourd'hui, ces étudiants francophones sont à peine 300 sur le territoire français et pourtant leur intégration en France et dans son système d'enseignement supérieur relève toujours du parcours du combattant malgré leur statut de réfugié de guerre. Témoignages.
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ETUDIANTS AFRICAINS LVIV
 Des ressortissants africains sur la gare de Lviv le 27 février 2022 attendent un train pour la frontière polonaise.
 
AP/Bernat Armangue/Archive
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"Psychologiquement, c'est très dur. On ne comprend pas. L'État français niait la réalite de ce que j'avais vécu. Pour eux, pour la préfecture, je n'étais qu'un jeune Africain qui cherchait à les tromper pour obtenir un titre de séjour. Je n'étais pas un réfugié de guerre, un étudiant de l'université de Marioupol qui avait dû fuir les bombardements." Ce 8 août 2022, Rostan, étudiant camerounais vient de recevoir une OQTF, une Obligation de quitter le territoire français. Il est expulsable à tout moment.

"Ma candidature à SUP Web, une école privée en informatique venait d'être acceptée. Et mon dossier à l'université de Paris-Sorbonne également, en année de consolidation, en informatique avait été retenue . Vous ne vivez pas, vous survivez lorsque vous recevez une OQTF. Dès que je sortais pour me rendre aux cours je faisais en sorte de rentrer rapidement chez moi et d'éviter de croiser toute présence policière dans la rue", se souvient l'étudiant camerounais.

Un peu plus de 100 titres de séjour pour 300 étudiants africains réfugiés d'Ukraine


Le cas de Rostan n'est pas isolé. Un peu plus de 300 jeunes Africains étudiants en Ukraine vivent désormais France. Des dizaines d'entre eux ont reçu des Obligation de quitter le territoire français. Un an après le début du conflit entre la Russie et l'Ukraine, plusieurs étudiants ont déposé des recours devant les tribunaux pour que les préfectures annulent ces mesures d'éloignement.

Abdelaziz Moundé de la Maison des Camerounais, association d'aide et de solidarité pour la commnauté camerounaise en France, déplore cette situation.

"Aujourd'hui, seulement 110 titres de séjours ont été donnés aux quelques 300 étudiants africains qui ont fui l'Ukraine et ont trouvéé refuge en France", constate le responsable d'association. La France comme d'autres pays européens a du mal à apréhender ce qu'est un réfugié de guerre, selon Abdeklaziz Moundé.

Tout est parti d'une directive européenne, rendue publique le 4 mars, soit 10 jours après le déclenchement du conflit. Bruxelles décide d'accorder une protection temporaire à tous les Ukrainiens fuyant les combats et l'invasion russe.
 
ROSTAN 21 ans étudiant africain
Rostan 21 ans est étudiant en informatique à Paris-Sorbonne université. Il était auparavant étudiant à l'université de Marioupol, aujorud'hui détruite.
Pierre Desorgues.

Les pays de l'Union européenne se doivent alors d'accueillir les populations civiles ukrainiennes réfugiés en Europe. "Parmi les civils qui fuyaient les combats, il y avait des Africains, des travailleurs et des étudiants. Certains avaient des titres de séjour de travail en Ukraine, d'autres étaient des étudiants. La directive européenne n'a pas su réellement prendre en compte le fait que ces personnes étaient aussi des réfugiés de guerre", explique Abdelaziz Moundé.

Le dispositif de protection exclut par ailleurs les Africains dont la conjointe ou le conjoint ne sont pas ukrainiens. "Les associations ont plaidé pour que tous les réfugiés du conflit, quelque soit leur nationalité, puissent bénéficier de cette protection temporaire. Deux pays ont décidé d'accorder une protection universelle, l'Espagne et le Portugal, et de dépasser la question de la nationalité. Les Pays-Bas également mais sur une période limitée", décrit Abdelaziz Moundé.

Une directive européenne de protection temporaine pour les Ukrainiens

Quelque 17 000 Africains ont fui l'Ukraine dans les premières semaines du conflit. Les diasporas vivant dans les pays européens, ainsi que des ONG, sont allés chercher une partie des ressortissants africains aux frontières polonaise, hongroise ou roumaine. Cinq bus ont été affrêtés en Pologne par la Maison des Camerounais avec l'aide d'entrepreneurs africains comme Issa Dialo.

"6652 Africains sont arrivés en France. Certains sont partis ensuite dans d'autres pays européens, notamment au Portugal ou en Espagne où ils pouvaient bénéficier de la protection universelle. 4200 d'entre eux ont voulu rester en France. Mais les préfectures ont commencé à délivrer des OQTF, des Obligations de quitter le territoire français. Aujourd'hui, seulement 2500 personnes se trouvent encore en France et parmi ces personnes, on compte à peu près 300 étudiants. Ils étaient 480 au mois de mars 2022", explique Abdelaziz Moundé de la Maison des Camerounais.
 

Obtenir une autorisation provisoire de séjour, à défaut de titre de séjour, m'a permis surtout de me poser, de souffler, de ne pas être susceptible d'être expulsé à tout moment et surtout chercher une école, une université, une formation.Arfang Sarr, 29 ans,  étudiant sénégalais.

Les travailleurs africains qui disposaient d'un titre de sejour permanent en Ukraine sont progessivement intégrés au dispositif de protection temporaire et sont autorisés à rester en France. Par contre, les étudiants africains qui eux disposaient en Ukraine d'un titre de séjour étudiant, un visa provisoire, ne sont pas donc intégrés dans ce dispositif.

"Les associations comme la Maison des Camerounais ou France Fraternités ont plaidé en faveur de ces étudiants auprès des autorités en rappellant qu'ils étaient également des réfugiés de guerre", explique Abdelaziz Moundé.

Le responsable d'association a le sentiment d'une générosité à géométrie variable. "Les étudiants ukrainiens ont obtenu une bourse de 615 euros par mois et un titre de séjour. Les Africains étudiants francophones réfugiés d'Ukraine n'ont rien obtenu de tout cela", constate Abdelaziz Moundé de la Maison des Camerounais.

Une solidarité à géométrie variable ?

Au mois de mars, des étudiants reçoivent à défaut de titre de séjour des APS, des Autorisations provisoire de séjour de un mois, 3 mois ou 6 mois en France.

Arfang Sarr, 29 ans, Sénégalais, était étudiant à l'université de Kharkiv à l'est de l'Ukraine, tout près de la ligne de front. Il a fui l'Ukraine le 28 février 2022. Il venait tout juste d'obtenir son master en extraction pétrolière.

Arrivé en France en mars, il reçoit assez rapidement une APS de plusieurs mois grâce au travail d'une association. "Obtenir une autorisation provisoire de séjour, à défaut de titre de séjour, m'a permis surtout de me poser, de souffler, de ne pas être susceptible d'être expulsé à tout moment et surtout chercher une école, une université, une formation", se souvient l'étudiant sénégalais.

Un temps politique défavorable

Les choses se sont durcies pour les étudiants africains en pleine période présidentielle selon Abdelaziz Moundé de la Maison des Camerounais. "Les autorités craignaient ce qu'elles appellent un "appel d'air". Même le Conseil présidentiel pour l'Afrique - qui s'était engagé à faire un recensement des étudiants africains venant d'Ukraine - reculait sur cette question. Il craignait que cela puisse entacher la campagne d'Emmannuel Macron", indique Abdelaziz Moundé.

Le Conseil présidentiel pour l'Afrique fondé par Emmanuel Macron réunit des personnalités issues de la société civile, membres souvent des diasporas africaines. "Le temps politique nous était défavorable avec notamment la montée de l'extrême droite", ajoute Abdelaziz Moundé de la Maison des Camerounais.

La politique des préfectures, chargées des questions de titre de séjour se durcit. Des étudiants dont les autorisations provisoires de séjour arrivent à terme reçoivent alors des Obligations de quitter le territoire français. Une tribune d'enseignants chercheurs est publiée en avril dans le Monde, quotidien français de référence, pour demander une régularisation des étudiants africains réfugiés d'Ukraine.

Rentrer au Cameroun, en Afrique, même si cela était provisoire, aurait été un véritable échec pour moi. Le poids social et familial sur les étudiants africains partis en Europe est immense. Des familles se sacrifient financièrement pour envoyer un seul de leur enfant en Europe étudier.Rostan 21 ans, étudiant camerounais en informatique.

La réponse des autorités devant les demandes de titre de séjour des étudiants africains est simple. Les étudiants étrangers doivent rentrer dans leur pays d'origine et faire une demande de visa via Campus France, l'organisme chargé de recevoir les demandes de scolarité des étudiants étrangers.

"Nous étudions en Europe. Il n'était pas question pour nous de retourner en Afrique étudier. Nous ne sommes pas responsables du conflit", explique Arfang Sarr, étudiant sénégalais à l'université de Khakiv lors de l'invasion russe.

"Rentrer au Cameroun, en Afrique, même si cela était provisoire, aurait été un véritable échec pour moi. Le poids social et familial sur les étudiants africains partis en Europe est immense. Des familles se sacrifient financièrement pour envoyer un seul de leur enfant en Europe étudier", décrit Rostan, 21 ans étudiant camerounais en infomatique.
 

Pour la préfecture rien ne prouvait que j'étais étudiant en Ukraine car je n'avais pas en ma possession le certificat de scolarité de l'université de Marioupol. J'avais beau leur expliquer que l'Université comme la ville avait été rasée par les Russes, les agents de la préfecture ne voulaient rien entendre.
Rostan, 21 ans étudiant camerounais en infomatique.

Emmanuel Macron remporte l'élection présidentielle en mai 2022. Le temps politique est alors plus favorable. "Les autorités se sont mis à nous écouter. Nous avons été reçus par le préfet Joseph Zimmet (préfet de la Haute-Marne) qui a été supris par le nombre faible de cas, à peine 300 personnes", témoigne Abdelaziz Moundé. Le ministère de l'Intérieur décide alors de mettre en place un moratoire sur les OQTF pour les étudiants africains et invite les préfectures à respecter ce moratoire.

Le ministère de l'Enseignement supérieur publie une circulaire demandant aux universités d'accueillir les étudiants africains. Ces circulaires gouvernementales ne sont pas tous appliquées sur le terrain. Rostan, étudiant camerounais de 21 ans se souvient.

"J'avais déposé mon dossier. Paris-Sorbonne m'avait inscrit en année de consolidation. La préfecture n'a pas cru à mon histoire. Pour elle rien ne prouvait que j'étais étudiant en Ukraine car je n'avais pas en ma possession le certificat de scolarité de l'université de Marioupol. J'avais beau leur expliquer que l'Université comme la ville avait été rasée par les Russes, les agents de la préfecture ne voulaient rien entendre. Je leur ai presenté une attestation d'herbergement universitaire. Cela ne suffisait pas. J'ai eu de la chance, j'ai retrouvé le contact de ma directrice d'études à l'université de Marioupol. Depuis Kiev, elle a pu me donner mon certificat via une messagerie web. C'est une vraie chance ", témoigne Rostan 21 ans.

Arfang Sarr, 29 ans, a lui pu intégrer l'École des mines de Saint-Etienne dans le cadre d'un cycle d'ingénieur. "Je suis tombé sur les bonnes personnes, j'ai été aidé par des Français mais beaucoup d'étudiants africains réfugiés d'Ukraine n'ont pas eu cette chance", estime l'étudiant.

"Nous suivons encore des étudiants qui ont déposé un recours devant les tribunaux pour faire annuler les Obligations de quitter le territoire français. Les tribunaux vont suivre les demandes des étudiants. Mais que de temps perdu pour eux. Certains n'ont pas pu s'incrire dans des universités ou des écoles", déplore Abdelaziz Moundé de la Maison des Camerounais.

"Il n'existe pas réellement de statut de réfugié de guerre. Il faut borner juridiquement cette notion. L'Europe n'avait pas été confrontée à une guerre d'une telle ampleur depuis 1945. Encore moins au cas des réfugiés africains d'Ukraine et des étudiants africains. Il faut trouver une définition juridique du statut de réfugié de guerre", estime le membre de la Maison des Camerounais