Fil d'Ariane
Entretien. L'écrivain, journaliste et conseiller technique du ministre béninois du Tourisme, de la Culture et des Arts s'inquiète des tensions persistantes entre le Bénin et le Niger. Depuis le 6 juin, le pétrole ne circule plus entre les deux pays.
Florent Couao-Zotti lors du Salon du livre de Paris en 2011.
TV5MONDE : Plusieurs organisations de la société civile, ainsi que des syndicats se sont réunis à Niamey, au Niger, le 9 juin dernier, sur la question des tensions persistantes avec le Bénin, votre pays. Dans une déclaration conjointe, toutes ces organisations dénoncent un plan « machiavélique » de « l’impérialisme occidental ». Que répondez-vous à ces accusations ?
Florent Couao-Zotti : Je suis plutôt malheureux que des syndicalistes, d’habitude si critiques, soient devenus les instruments de la junte nigérienne. Mais c’est aussi facile de comprendre qu’ils ont été payés pour s’adonner à ce que j’appelle les « contorsions vocales » juste pour faire plaisir aux putschistes à court de rhétorique.
(Re)voir : Niger-Bénin : une crise diplomatique ouverte ?
J’ai l’impression que les autorités nigériennes ont besoin de se créer une bête noire pour donner souffle à leur verbiage antifrançais, devenu creux, au fur et à mesure que les réalités du terrain les rattrapent. Nous qui avons vécu aux temps de la Révolution marxiste léniniste[Le Bénin a connu une phase socialiste de 1974 à 1982, NDLR], nous savons comment faire avaler des montagnes au peuple lorsqu’il cherche un dérivatif à sa misère et à ses malheurs.
Depuis que la France est partie, la situation des Nigériens se dégrade. Il faut trouver de nouvelles galéjades, pour alimenter la haine de l’autre à travers le Président Talon. C’est la maladie infantile des régimes militaires qui se retrouvent au pouvoir sans raison.
Ce que le Niger reproche au Bénin
Les relations entre le Bénin et le Niger sont tendues depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023, et l’arrivée au pouvoir à Niamey du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Alors que le Niger a rouvert sa frontière avec le Nigeria après la levée des sanctions imposées par la CEDEAO, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, il refuse de faire de même avec le Bénin.
Le Premier ministre nigérien, Ali Mahaman Lamine Zeine, accuse le Bénin d'abriter "des bases françaises" dans sa partie nord afin "d'entraîner des terroristes qui doivent venir déstabiliser notre pays". Et depuis le 6 juin dernier, le Niger a fermé les vannes de l’oléoduc qui acheminait son pétrole au Bénin. Un pétrole pourtant essentiel pour les économies des deux pays, mais aussi pour l’entreprise chinoise Wapco chargée de son exploitation dans le sud-est nigérien.
Il y a quelques jours, la tension est montée d’un cran avec l’arrestation au Bénin de cinq ressortissants nigériens de Wapco-Niger. Niamey a qualifié cet acte de kidnapping et assuré être prêt à "prendre toutes les dispositions pour obtenir la libération sans conditions de ses citoyens pris en otages."
Ce lundi 24 juin, les anciens présidents béninois Nicéphore Soglo et Boni Yayi sont arrivés dans la capitale nigérienne pour une mission de médiation.
TV5MONDE : La semaine dernière, cinq citoyens nigériens ont été interpellés au niveau du terminal portuaire de Sèmè-Kpodji, là même où doit transiter le pétrole nigérien. Les autorités nigériennes évoquent un kidnaping. Pouvez-vous expliquer cette aggravation des tensions et quelles sont les solutions pour en sortir ?
Florent Couao-Zotti : Je crois que le fait que le président Talon ait été en première ligne pour imposer des sanctions, qu'il ait été favorable à une intervention au Niger pour restaurer le pouvoir de Bazoum [Mohamed Bazoum, le président nigérien déchu, NDLR] a été perçu comme un crime de lèse-majesté par les putschistes.
(Re)lire : Niger : Niamey a fermé ses vannes de pétrole vers le Bénin
Mais le Bénin, le Niger comme les pays de la CEDEAO ont signé un protocole d’accord relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité le 10 décembre 1999 à Lomé. Ce protocole mentionne aux articles 23 et 24 qu’en cas d’interruption de l’ordre constitutionnel dans un pays (ici les coups d’État), la CEDEAO déploie une série de sanctions contre les auteurs de tels actes.
Concernant le Niger, le Nigéria pays limitrophe, a été à la tête de cette initiative. Malgré les sanctions lourdes (fermeture de frontières, interruption de la fourniture d’électricité), le pouvoir nigérien n’a pas réagi contre le gouvernement fédéral de Bola Tinubu. Peut-être le Bénin est-il perçu comme moins influent et très proche de Paris ?
Le tracé du pipe line qui devrait acheminer le pétrole nigérien du nord-est du Niger au Bénin.
Mise à part la parenthèse de la Révolution (1972-1990), les différents gouvernements de notre pays ont toujours eu d’excellentes relations avec la France. Et il en sera toujours ainsi, si le Bénin estime que toute coopération avec un pays peut lui être d’un apport pour son développement. Cela doit s’entendre partout. Les autres états doivent respecter la souveraineté du Bénin si tant est qu’ils veulent qu’on respecte la leur.
(Re)voir : Bénin/Niger : la frontière entre les deux pays reste fermée
Cela dit, je pense que cette crise, du moins l’escalade qu’elle a prise, peut être évitée si des médiations sous-régionales s’impliquaient. Il ne s’agit pas d’instances formelles, mais de groupes de sages ou des personnalités crédibles, au-dessus de toute suspicion, capables de parler aux deux parties.
TV5MONDE : En mai dernier, une médiation chinoise a échoué à convaincre le régime militaire d’accorder une dérogation à l’exportation de pétrole. Pourquoi selon vous le régime de Niamey est-il inflexible ? Au regard de leurs situations économiques respectives, les deux pays peuvent-ils se permettre de faire durer ce conflit ?
Florent Couao-Zotti : Il n’est pas dans l’intérêt des deux pays de faire durer cette crise. Le Bénin a prouvé, à maintes reprises, sa bonne foi en tendant la main plusieurs fois aux autorités nigériennes.
(Re)lire : Frontière fermée, pétrole bloqué : comment expliquer la crise entre le Niger et le Bénin ?
Je trouve qu'il y a un manque de lucidité et de hauteur de gens qui, au lieu de discuter directement avec les gouvernants d’un pays qu’ils accusent de tous les maux, préfèrent faire confiance à des individus qui sèment la haine à la place de l’idéal panafricaniste dont ils revendiquent l’héritage .
TV5MONDE : La frontière entre le Niger et le Bénin a été fermée au lendemain du putsch de 2023 conformément aux sanctions régionales imposées par le CEDEAO. Mais depuis, c’est le Niger qui refuse de rouvrir ses frontières, accusant par ailleurs le Bénin d’abriter des bases françaises. Une décision qui pèse sur l’économie béninoise. Comment le président Patrice Talon peut-il sortir de cette impasse ?
Florent Couao-Zotti : On ne peut nier l’impact de cette crise sur les deux pays. Le Bénin perd, le Niger également. Surtout le Niger qui a besoin de faire face aux impayés de ses dettes. En plus des avances perçues sur la vente du pétrole aux Chinois, le Niger doit répondre à ses créanciers internationaux.
Les ministres de la Défense des pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), à l'exclusion du Mali, du Burkina Faso, du Tchad, de la Guinée et du Niger, réunis pour leur réunion extraordinaire à Accra, au Ghana, le jeudi 17 août 2023, pour discuter de la situation en Niger.
Vous savez, le Bénin a l’expérience des frontières fermées. Le Nigeria a fermé les siennes pendant cinq ans [Depuis le début des années 2000, le Nigeria a fermé à plusieurs reprises ses frontières avec le Bénin, NDLR]. Certes, la résilience béninoise en a été éprouvée, mais, il en est sorti. Un peuple, s’il est au pied du mur, trouve toujours une alternative à une situation d’impasse.
TV5MONDE : En septembre dernier, les militaires au pouvoir au Niger ont dénoncé un accord de coopération militaire conclu en 2022 avec le Bénin. Ils l’accusaient même « d’envisager une agression » contre leur pays. Est-ce qu’on s’achemine vers un conflit armé entre les deux pays ?
Florent Couao-Zotti : J’espère que la junte nigérienne pourra un jour arrêter les frais. Base militaire française un jour, légionnaire français noir un autre, prochainement, on trouvera des extraterrestres sur les arbres de Niamey. Non, soyons sérieux.
Une guerre, il n'y en aura pas entre les deux pays. Nous avons, de part et d’autre des frontières, les mêmes peuples, les mêmes ethnies, les mêmes cultures, les mêmes traditions et il ne viendra à l’idée de personne que l’un prenne l’arme contre l’autre. Pourquoi ? Et au nom de quoi ? Il va falloir finir avec les egos des uns et des autres.