Fil d'Ariane
La Fédération marocaine de football (FRMF) a conclu un accord avec l'ex-coach du Wydad Casablanca, Walid Regragui pour prendre les rênes de l'équipe nationale, les "Lions de l'Atlas", après le départ de Vahid Halilhodzic, remercié à trois mois du Mondial au Qatar, selon les médias locaux.
URGENT
— TFT MOROCCO (@TFT_Morocco) August 20, 2022
Walid Regragui est le nouvel entraîneur de l’équipe nationale marocaine de football. pic.twitter.com/yp6KEKyFgV
TV5MONDE : La Fédération royale marocaine de football (FRMF) parle de "séparation à l'amiable" en raison de "divergences de points de vue" sur la préparation des Lions de l'Atlas, concernant le limogeage de Vahid Halilhodzic. Qu'en est-il vraiment selon vous ?
Saïd El Abadi : C’est ce qu’on a l’habitude de voir dans les communiqués de presse en effet. Vahid était encore sous contrat (jusqu'en 2024, puisqu'il avait été reconduit automatiquement après la qualification pour la Coupe du monde). Il n'y avait pas de faute grave à lui reprocher pour le licencier, donc on a trouvé un arrangement à l'amiable. Il y a eu un point de non-retour, après les habituelles tensions avec la presse, notamment à qui Vahid Halilhodzic répond sèchement. Ses choix technico-tactiques font souvent débat. Et puis il y a le cas Hakim Ziyech que Halilhodzic refuse de rappeler alors que le peuple et la Fédération le voulaient. Il a cédé récemment sur Noussair Mazraoui qu'il a finalement rappelé. Halilhodzic campe sur ses positions, il ne discute ni avec la Fédération, ni avec le président. Cela ne pouvait pas continuer indéfiniment. Le public lui est devenu aussi hostile. La Fédération a décidé de passer à autre chose, pour prendre un nouvel élan, et ce, à 3 mois de la Coupe du monde. Cela a a pris du temps et aurait largement pu se faire avant.
(Re)lire Football : le Maroc se sépare du sélectionneur Vahid Halilhodzic
(Re)voir CAN 2021 : gros duel entre l'Egypte et le Maroc pour les quarts de finale
TV5MONDE : Il semblait en sursis depuis la dernière Coupe d'Afrique des Nations (CAN). Que s'est-il passé pour que cela arrive maintenant ?
Saïd El Abadi : En effet, il etait en sursis à cause de ce fameux match perdu contre l’Egypte, lors de la derniere CAN. En soi, perdre contre l’Egypte en ¼ de finale de la CAN n'est pas si grave car c'est un grand favori. Mais le problème lors de ce match, c'était que la copie rendue n'était pas extraordinaire. On s'est rendu compte qu'il n'était pas capable de bousculer une grosse équipe. Battre de plus petites équipes pour se qualifier, c'est une chose qu'il savait faire, mais dès lors qu'il se retrouve face à un favori, on ne l'a plus reconnu. Ses choix tactiques lors de ce match ont été largement critiqués. C'est à ce moment que s'est posée la question de le faire partir ou non.
Quelques semaines après la CAN, il y avait les matchs barrages pour la qualification à la Coupe du monde. La Fédération ne pouvait pas se débarrasser de lui à ce moment-là. Mais lors du match retour qui s'est joué à Casablanca (face à la RDC), Halilhodzic a été sifflé par tout le public malgré le bon résultat de l'équipe. Je pense que l'idée de ne plus continuer avec lui était déjà présente dans l'esprit des dirigeants de la FRMF depuis longtemps mais il fallait s'assurer d'avoir un successeur disponible.
Cela a été un long chemin pour le désavouer. Vahid Halilhodzic est un personnage bien à part. Il est indépendant et ne veut rendre de comptes à personne sur ses choix. Et c'est bien cela qui lui est reproché ; son manque de communication avec la presse, la Fédération, les joueurs, son entêtement concernant Hakim Ziyech. La défaite 3-0 face aux Etats-Unis en match amical en juin dernier a été fatale. On sentait venir la fin de Vahid. C'est un peu sa malédiction, comme avec le Japon ou la Côte d'Ivoire. Il a qualifié 4 sélections pour la Coupe du monde mais n'en a disputé qu'une (avec l'Algérie en 2014).
Faouzi Lekjaa après le limogeage de Vahid :
— Hanif Ben Berkane (@HanifBerkane) August 12, 2022
«L'équipe nationale ne peut exclure les joueurs marocains de haut niveau qui jouent dans des équipes du monde entier, pour quelque raison que ce soit. Ce sentiment était également partagé par le public et les joueurs eux-mêmes.»
TV5MONDE : Quelle est la stratégie de la FRMF en se séparant du sélectionneur maintenant ? Quels sont les objectifs de l'équipe des Lions de l'Atlas pour cette Coupe du monde ?
Saïd El Abadi : La stratégie c’est de prendre un nouveau souffle, un nouvel élan à 3 mois de la Coupe du monde, mais aussi et surtout d'avoir une espèce d'"union nationale" en mettant un entraîneur aimé de tous : le grand public, les spécialistes, la Fédération et les joueurs. Normalement Walid Regragui devrait être cet homme-là.
C'est l'entraîneur parfait. Il est jeune, c’est un ancien joueur qui était apprécié. Il a d'ailleurs joué la finale de la CAN 2004. C'est aussi un entraîneur à succès qui a réussi un doublé cette année avec le Wydad de Casablanca. Il a gagné la Ligue des champions d'Afrique et a remporté le championnat local (botola). Il pourra parler aux joueurs binationaux et locaux. Cette nouvelle vision du football marocain avec un entraîneur local, c'est aussi pour faire bonne figure en Coupe du monde. Regragui a un style très agréable comme entraîneur. Il aime le beau jeu, faire plaisir au public, et gagner le match évidemment. En cela, ce serait une bonne pioche pour le Maroc. On veut voir l'équipe bien jouer, on veut la voir gagner aussi. Si le public prend du plaisir et voit son équipe bien jouer, on peut lui pardonner beaucoup de choses.
(Re)lire Football africain : les bons et mauvais souvenirs de Vahid Halilhodzic sur le continent
Ne nous méprenons-pas, en changeant d'entraîneur, le Maroc ne change en rien sa poule. Les matchs seront toujours aussi difficiles, notamment contre la Belgique et la Croatie. L'objectif des Lions de l'Atlas sera de finir au moins 3e du groupe, avec si possible une victoire. Donner une bonne image à l'international et au niveau local. Bien sûr, si l'équipe se qualifie en 8e de finale, tout le monde sera ravi ! On peut rêver d'une victoire du Maroc face au Canada et d'un match nul face à la Croatie, voire la Belgique !
TV5MONDE : Ce serait pour la première fois un sélectionneur binational. Est-ce un sujet qui compte pour la Fédération, les supporters ?
Saïd El Abadi : C'est LA question ! On a toujours eu ce debat au Maroc : faut-il un local, un binational ou un étranger à la tête de la sélection ? La bonne nouvelle avec Regragui, c’est déjà que ce ne serait plus un entraineur étranger. L’époque du sorcier blanc commence à être révolue en Afrique. Grâce aux victoires de l’Algérie et du Sénégal en Coupe d’Afrique et de leurs sélectionneurs (Djamel Belmadi et Alliou Cissé), on a pu voir qu’un pays africain pouvait gagner avec des entraîneurs locaux, ou binationaux. C'est un sujet qui est souvent revenu lors de la soirée de remise des CAF Awards 2022 en juillet dernier, par exemple.
(Re)lire CAF Awards 2022 : le football africain décerne ses trophées
(Re)lire CAN 2021 : le Sénégal réalise son rêve et remporte sa première couronne
Au Maroc, on a rarement fait confiance aux entraîneurs locaux. Pourtant en 2004, quand le Maroc a atteint la finale de la CAN, c'était Badiou Zaki qui en était le sélectionneur ...
Une nommination de Regragui serait un signal positif envoyé au football local. Avec Halilhodzic, il y avait très peu de joueurs locaux en sélection, pareil avec Hervé Renard. On espère que Regragui va jongler entre les deux profils de joueurs. Pour ce qui est de la comparaison avec Belmadi ou Cissé, il faut garder en tête que l'équipe du Maroc n'est pas celle du Sénégal par exemple. Ils ont Sadio Mané, l'un des meilleurs joueurs du monde. Au Maroc, le grand nom c'est Ziyech, mais il n'est pas dans une bonne situation actuellement. Il n'est plus titulaire, est entre deux clubs. Est-il prêt mentalement, physiquement ? Il ne fait pas imaginer tout de suite le Maroc remportant la prochaine CAN. On verra sur le terrain.
(Re)lire Football : comment expliquer la réussite des sélections nationales des pays du Maghreb ?
TV5MONDE : Justement qu'en est-il des joueurs ? Le départ de Halilhodzic signifie-t-il un retour de Ziyech par exemple ?
Saïd El Abadi : De nombreux joueur appréciaient Vahid. Les choses ont commencé à se dégrader parce qu'il ne fait pas dans les sentiments. Il peut apprécier des joueurs mais s'il ne veut pas les faire jouer, ils ne seront pas sur le terrain. Je ne pense pas que beaucoup le regretteront. C'est compliqué d'être joueur sous Vahid. L’avantage avc Regragui c’est qu’il y aura peut être de nouveaux joueurs locaux, un meilleur équilibre. Ne nous enflammons pas non plus, ça sera sûrement des joueurs du Wydad, du Raja, de Rabat. Le niveau de la botola n'est pas assez élevé. Mais on a des joueurs locaux qui jouent en Europe comme Achraf Dari, par exemple qui peuvent faire la différence. Concernant le retour de Ziyech, comme je le disais, il ne fait rien pour le moment, il n’est pas titulaire. Le faire revenir pour dire que Vahid est parti ne serait pas pertinent. Je ne vois ce qu’il va apporter. Pas sûr que les joueurs veulent voir revenir quelqu'un qui ne voulait pas de l’équipe nationale tant que Vahid était là...
TV5MONDE : Quelles sont les autres options pour la Fédération ?
Saïd El Abadi : Il n’y en a pas d’autres. Regragui coche toutes les cases. Il est binational, il entraîne déjà localement, le grand public l’aime beaucoup. Mine de rien, l'avis du public est devenu très important pour la Fédération. Ce n'était pas le cas auparavant. Ils ont compris qu'il fallait un entraîneur marocain, que c'était crédible. Et c'est une bonne chose. De plus, il est disponible. La saison s'est finie en juillet. Regragui a fait son doublé et a annoncé son départ du Wydad de Casablanca il y a quelques semaines. Je pense que c'est pour cela que la Fédération a attendu avant de faire cette annonce. Elle ne pouvait pas renvoyer le coach sans avoir quelqu'un de disponible à ce moment.