Fil d'Ariane
Du Mali au Togo en passant pas le Niger et le Bénin, c'est un large cercle rouge qui se dessine aux frontières du Burkina Faso. Cette "zone rouge" définie par le ministère français des Affaires étrangères qualifie les secteurs "fortement déconseillés aux voyageurs" car trop dangereux. Il y a encore quelques mois, la frontière avec le Bénin n'était que partiellement concernée. Depuis la dernière mise à jour en février 2019, elle l’est entièrement.
C’est dans cette région que les deux ressortissants français ont disparu le mercredi 1er mai. Sur le papier, le parc national de la Pendjari est une aire protégée, l’un des derniers sanctuaires de la vie sauvage en Afrique de l'Ouest.
Dans les faits, il abrite l’une des zones grises où s’épanouissent les mouvements djihadistes de la région. “Dans ce secteur, on a un groupe, l’Etat Islamique dans le Grand Sahara autour duquel gravitent des petits groupes locaux, explique le chercheur Mahamadou Sawadogo. Ces groupes ont pu opérer côté béninois car ils sont dans la forêt du parc national d’Arli qui est juste une continuité du parc national de la Pendjari. Il y a juste une limite administrative et il est tout à fait logique qu’ils traversent la frontière. Quand les forces de sécurité du Burkina s’en prennent à eux, ils n’ont qu’à traverser la frontière qui n’est pas surveillée”. Il y a quelques semaines, les forces de sécurité ont d’ailleurs mené une vaste offensive dans la région. “Cette offensive a beaucoup désorganisé les réseaux. Il semblerait que certains se soient réfugiés au Nord-Bénin et au Nord-Togo”, précise le Dr Ra-Sablga Seydou Ouedraogo, de l’institut Free Afrik à Ouagadougou.
Quand les forces de sécurité du Burkina s'en prennent à eux [aux petits groupes locaux proches de l'État islamique dans le Grand Sahara], ils n'ont qu'à traverser la frontière qui n'est pas surveillée.
Mahamadou Sawadogo, chercheur
S’il n’est pas encore officiellement question d’enlèvement, des recherches sont en cours pour retrouver les deux ressortissants français. Et la tâche s’annonce difficile. De par la configuration des lieux tout d’abord. Nous sommes dans des forêts très denses : “cette densité de formation forestière explique que ces groupes ont des abris naturels dans ces lieux”, souligne Ra-Sablga Seydou Ouedraogo.
Les groupes ont mis près de deux ans à s’installer. Ils ont des itinéraires, des zones de confort. Ils les maîtrisent et savent par où passer pour ne pas se faire prendre.Mahamadou Sawadogo, chercheur
Le contexte social ne facilite pas le travail des forces de sécurité. S’il existe une présence militaire dans le nord du Togo (région d’origine de l’ancien président Gnassingbe Eyadéma), la zone a été délaissée côté béninois et burkinabé. Et les populations entretiennent un fort ressentiment à l’égard des autorités : “on a le sentiment que les populations sont favorables aux groupes armés et vont à l’encontre des forces de défense et de sécurité, explique Mahamadou Sawadogo. Pour moi, nous sommes face à une insurrection armée locale car l’Etat a engendré un certain nombre de facteurs qui font que ces populations se révoltent contre le système mis en place. Il faut noter que l’Est est la région la plus vaste, ajoute le chercheur. Les forces de sécurité ont pu y installer des détachements mais cela ne suffit pas à couvrir tout l’espace régional. Les groupes ont mis près de deux ans à s’installer. Ils ont des itinéraires, des zones de confort. Ils les maîtrisent et savent par où passer pour ne pas se faire prendre. Les forces de sécurité présentes sont par conséquent surtout dans une position de défense que dans une position d’attaque”.
Depuis trois ans, l’Est du Burkina Faso est considéré comme un épicentre du terrorisme régional. La passivité apparente de la force française Barkhane et du G5 Sahel peuvent surprendre. “Cela s’explique par plusieurs facteurs, explique Mahamadou Sawadogo. Il y a d’abord le manque de coordination entre les différentes forces. Le G5, qui aurait pu éviter une telle situation, est inexistant. Je réalise qu’au Mali, au Burkina et au Niger, les armées ne sont pas coordonnées. Il n’y a pas de force type G5. Elle existe au Mali et au Niger mais pas au Burkina. Ici c’est l’armée régulière qui fait parfois office. Pour ce qui est de Barkhane, la mission appuie logistiquement et techniquement le Burkina à l’Est mais n’a pas de troupes”.
Quelques jours après la disparition des deux Français, des informations de presse selon lesquelles ils auraient été transférés au Mali ont commencé à circuler. “Ce n’est pas impossible même si c’est difficile, explique Ra-Sablga Seydou Ouedraogo. C’est une zone de pâturages. Il existe des couloirs de transhumance pour le bétail depuis le Sahel burkinabé au nord pour descendre vers les marchés du sud. Par ailleurs, ce sont aussi des couloirs de trafics d’armes. Cela montre qu’il y a des pistes ou peut-être des sentiers plus élaborés dans ces forêts à travers des frontières très poreuses où la présence militaire n’est pas systématique”.
Face à ce gigantesque défi sécuritaire et à l’absence de réponse efficace, les deux chercheurs expriment la même inquiétude. Pour le Dr Ra-Sablga Seydou Ouedraogo, “le Nord-Bénin a une frontière avec le Burkina Faso mais aussi avec le Nigeria et le Niger. Ces trois pays font face au défi terroriste. Si le Nord-Bénin est à son tour concerné, cela signifie qu’on a un affaissement de la région d’influence de l’action anti-terroriste jusqu’au septentrion béninois. Cela veut dire progression géographique extrêmement dangereuse”.
Mahamadou Sawadogo va plus loin : “Je pense que cette région est déjà en grande partie sous l’emprise des groupes terroristes et que les positions nord du Ghana , du Togo et du Bénin sont déjà concernées. Je pense que c’est lié à la politique laxiste de ces gouvernements. Et puis on a toujours un phénomène déclencheur, c’est celui de la stigmatisation des Peuls. Les mêmes facteurs ont été constatés au Burkina et au Mali et se reproduisent dans ces trois pays. Il faut traiter ce problème, j’espère qu’il n’est pas trop tard…"