Le football est arrivé à la fin du XIXème siècle en Algérie. Ce football est celui des pionniers, de ces jeunes Européens venus « apporter la civilisation ». Mais assez rapidement dans l’histoire du pays, les Algériens vont s’emparer de ce sport. En 1914, l'Algérie compte plus de clubs de football que la France métropolitaine.
Dès les années 30, le football comme le scoutisme, qui sont des importations de Européens, vont devenir des foyers du nationalisme avec des associations sportives comme le Mouloudia Club d’Alger. Le football à l’image de cette équipe du FLN (Front de libération nationale), lors de la guerre d’Indépendance (1954-1962), a été largement instrumentalisé politiquement. Le drapeau algérien se lève la première fois à travers le football, quatre ans avant l’indépendance effective de l’Algérie avec l'équipe du FLN. L’équipe de l’armée nationale, de l’ALN a été également créée en 1956. Les footballeurs de la révolution comme Melkoufi ou Zitouni sont devenus des héros, des figues iconiques. Le football continuera d'être instrumentalisé politiquement par le FLN après la guerre d’indépendance
Stanislas Frenkiel : Oui les premiers clubs, les premières associations musulmanes se constituent dans les années 20. Ces clubs sont surveillés étroitement par les autorités coloniales. Les derbys sont assez musclés. Au début les membres de ces clubs ont l’espoir de l’intégration. Après les évènements de Sétif de 1945 (NDLR : les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata commis par les forces françaises ont fait 45000 morts) les clubs, les associations sportives musulmanes vont devenir des lieux de contestation.
Dans les années 30, le club est un lieu de rencontre, d’échanges. Le club est alors d’un point de vue personnel pour de nombreux jeunes musulmans une forme d’émancipation vis-à-vis de son milieu, de ses parents et des pesanteurs claniques.
Les colons créent les clubs et ceci va créer une formidable émulation entre les clubs des Européens et ceux des musulmans. Albert Camus par exemple jouait dans un club européen le Racing universitaire Alger. C’était le club élitiste, celui des étudiants européens. L'équipe comptait seulement un étudiant musulman, Larbi Boussa. Le football en Algérie était à cette époque-là très séparé entre les clubs des Européens et les clubs musulmans, à l’image de ce qu’était l’Algérie coloniale, même si des joueurs algériens notamment dans les années 50 pouvaient être attirés par les clubs des Européens à qui on pouvait proposer un logement ou un travail. Ces clubs européens d’Algérie étaient assez riches.
Dès les années 30, les clubs en France se professionnalisent et ils cherchent des bons joueurs, pas très chers. Et donc nous avons durant cette période une vingtaine de joueurs algériens musulmans qui jouent dans le championnat de France. C’est le cas notamment de Ali Benouna en 1932 qui deviendra le premier Algérien à honorer le maillot de l’équipe de France.
TV5MONDE : Comment s’est construit l’engagement des footballeurs durant la guerre d'Indépendance ?
Stanislas Frenkiel : Certains étaient déjà très politisés et engagés. Abdelaziz Ben Tifour est un militant. Il joue pour l'OGC Nice. Il cache des armes dans son café à Nice, Le Carillon.
Rachid Mekhloufi est aussi marqué politiquement et engagé. Il vient à Saint-Etienne. Il devient joueur et il est impressionné par la gentillesse la politesse en métropole. On le respecte, on l’appelle monsieur. L’entraineur, Jean Snella, devient ainsi un second père pour lui. Au départ il est très peu politisé. Mais c’est ce contraste entre l’Algérie coloniale et la France qui va ancrer son engagement politique. En Algérie, il n’avait pas le droit de fréquenter des femmes blanches. Les conditions des logements étaient effroyables. Certains quartiers arabes étaient ceinturés et fermés à partir de minuit.
La métropole est une experience émancipatrice pour de nombreux joueurs algériens. Cette émancipation va ancrer leur engagement pour l'indépendance de l'Algérie
Stanislas Frenkiel, historien du sport
La métropole est donc une expérience émancipatrice pour de nombreux joueurs algériens. Ils vont bien gagner leur vie. Ils vont être adulés. Ils vont vivre avec des femmes Françaises. Leur talent va etre reconnu, monnayé. Mustapha Zitouni à Monaco touche un des plus gros salaires du championnat de France. Ces joueurs vont rejoindre donc cette équipe du FLN. Ils vont jouer dans de nombreux pays pour mobiliser la communauté internationale sur la question algérienne. Cette équipe est une initiative de la fédération de France du FLN .
Ces membres vont être les VRP de la cause de l'indépendance. Ils vont convaincre les joueurs algériens jouant en première division en France de partir. Mais lorsqu’ils arrivent à Tunis, avec femmes françaises et enfants, ils ne vont pas être réellement attendus par le FLN. L'expérience sera difficile. Ils sont ainsi passés du rang de vedettes à celui de parias en quelques jours. La valeur de ces joueurs après 1962 sera enfin reconnue en Algérie. Ils vont reconstruire le football algérien apres l’independance en 1962.
Les membres de l'équipe du FLN vont être les VRP de la cause de l'indépendance
Stanislas Frenkiel, historien du sport
Rachid Melkoufi lui après la guerre d’Indépendance revient en France pour achever sa carrière. Il gagne la coupe de France en 1968 et De Gaulle lui remet la coupe de France en lui disant : « Mr Mekhloufi vous êtes la France ! » Le symbole restera unique.
TV5MONDE : Comment s'organise le football dans la jeune Algérie indépendante ?
Stanislas Frenkiel : C’est la Fédération française de football qui soutient l’Algérie pour que la Fédération algérienne de football soit reconnue par la FIFA après 1962. Les autorités françaises du football sont alors en avance politiquement notamment de la part de Pierre Delaunay, Secrétaire général de la FFF qui envoie une lettre de parrainage à la FIFA.
« Mr Mekhloufi, vous êtes la France ! »
Charles de Gaulle remettant la Coupe de France 1968 à Rachid Melkoufi, ancien membre de l'équipe du FLN
L’Etat FLN prend en main le football algérien après l'indépendance. Il interdit aux joueurs algériens d’aller jouer en France. L’Etat FLN va ainsi interdire jusqu’en 1982 aux jeunes joueurs algériens de monnayer leurs talents à l’étranger et en Europe. Il y a de fait une nationalisation du football algérien.
On voit aujourd’hui la prise de pouvoir de ces bi-nationaux au sein de l’équipe algérienne et dans le championnat de France et aussi en équipe de France avec des Benzema , des Zidane... On assiste au triomphe de la diasporaStanislas Frenkiel, historien du sport
TV5MONDE : La présence des joueurs algériens en France est donc liée à l’immigration ?
Stanislas Frenkiel : Le nombre de joueurs algériens en France va en effet augmenter dans les années 70 et 80 et ceci avec l’immigration familiale. Ce sont des joueurs qui enfants ont émigré avec leurs familles en France et qui vont devenir footballeur en France. C’est le cas de joueurs comme Mustapha Dahleb joueur au PSG dans les années 70 et 80. On trouvera ensuite une troisième génération de joueurs algériens nés eux en France dont les parents étaient mineurs ou ouvriers chez Peugeot Talbot notamment dans le nord et l’est de la France.
On voit aujourd’hui la prise de pouvoir de ces binationaux au sein de l’équipe algérienne et dans le championnat de France et aussi en équipe de France avec des Benzema , des Zidane… En Algérie Djamel Belmadi le sélectionneur est un binational. La grande star de l’équipe nationale algérienne Riyad Mahrez, le joueur de Manchester City, est un binational. Il est né et a grandi à Sarcelles en région parisienne. On assiste de fait à un triomphe de la diaspora.
TV5MONDE : L’équipe nationale algérienne semble devoir compter de plus en plus sur de joueurs qui n’ont pas été formés en Algérie. Qu’est ce que cela dit de l’Algérie et sur le football algérien ?
Stanislas Frenkiel : Le football algérien est désormais dans une forme de dépendance du football français. Le championnat local n’est pas au niveau à cause de la corruption et à cause du clientélisme. Ce football est très politisé. Les clubs sont sous la coupe des généraux et de l’armée. Cela dit beaucoup de choses sur la gestion de l'Algérie par le FLN. Le régime n'a pas su inventer un modèle de développement pour le pays comme il n’a pas su inventer un modèle pour son football. Aucun centre de formation n'a réellement émergé en Algérie.
Avec la victoire de la sélection nationale à la Coupe d’Afrique des Nations de 2019, en plein Hirak, les joueurs binationaux sont enfin reconnus comme des vrais joueurs algériens.
Stanislas Frenkiel, historien du sport
L’amicale des Algériens en Europe a fait heureusement un travail de fond à partir des années 80 avec Ali Ben Saada, ancien membre de l’équipe, du FLN pour faire jouer ces bi-nationaux au sein de l’équipe d’Algérie. Il a inventé la fonction d’agent. Il allait voir les joueurs du Racing ou du PSG pour que les clubs les libèrent pour leur permettre d’aller jouer pour la sélection nationale.
TV5MONDE : Comment sont perçus en Algérie ces joueurs algériens nés en France ?
Stanislas Frenkiel : Le rapport des Algériens à ces Algériens venus de l’étranger a changé. Le regard sur ces footballeurs immigrés a évolué notamment lors de la victoire de la sélection nationale à la Coupe d’Afrique des Nations de 2019 en plein Hirak. Ces joueurs binationaux sont enfin reconnus comme des joueurs algériens. Ce ne sont plus de joueurs algériens de seconde zone. On ne leur reproche plus leur mode de vie, leur coiffure, leur faible maitrise de la langue arabe. Ces joueurs gagnent.
TV5MONDE : En France, le retour du joueur franco-algérien Karim Benzema en équipe nationale a mis en avant la question des binationaux.
Stanislas Frenkiel : L’affaire Benzema renvoie à un imaginaire colonial chez une partie de l’opinion française. Il y a la question religieuse derrière aussi. Il y a un relent d’islamophobie. L'affaire Benzema révele des crispations identitaires très fortes en France et Benzema lui pour sa part ne nie pas ses origines ni sa religion. Cela est insupportable à une partie de la France. Pour la génération Zidane la question religieuse n’était pas du tout mise en avant. La question sociale restait fortement présente. Zidane venait de la Castellane, un quartier populaire.