France : que peut-on espérer du Sommet sur les économies africaines ?

Mardi 18 mai, une quinzaine de dirigeants africains, des hauts responsables européens et représentants d'organisations internationales se réuniront à Paris pour réagir au « choc économique » causé par un an de crise sanitaire, provoquant la première récession du continent africain en 25 ans. "New Deal", annulation partielle de la dette, injections massives de liquidités : quelle stratégie économique pour l'Afrique d'après-crise? 

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Sommet Eco Afrique Macron Macky Sall Sahle-Work Zewde mardi 18 mai 2021
La présidente éthiopienne Sahle-Work Zewde et le président sénégalais Macky Sall salués par leur homologue français Emmanuel Macron.
© Ludovic Marin, Pool via AP
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Sur le plan sanitaire, le continent africain a jusqu’ici été relativement épargné par la pandémie de Covid-19,  engendrant officiellement quelque 130 000 morts au total, sans commune mesure avec les bilans funestes parmi les populations américaines (Etats-Unis : 584 000 morts, Brésil : 430 000 morts), européennes (France : 107 000 morts et Royaume-Uni : 127 000 morts) et maintenant asiatiques (Inde : 262 000 morts).

Toutefois, sur le plan économique, le continent subit de plein fouet le ralentissement commercial et financier mondial. D'autant plus qu'à la différence de l’Europe ou des Etats-Unis, l'Afrique n’a pas bénéficié  de plans de relance chiffrés à plusieurs centaines voire milliers de milliards de dollars de la part de banques centrales. « Le choc économique y est plus fort qu'ailleurs parce que l'économie africaine est très dépendante des échanges extérieurs et le choc de la pandémie la frappe encore plus que d’autres. […] Les besoins de financement de l'Afrique sont estimés à 400 milliards de dollars [selon le Fonds Monétaire International], ce qui est très important », motive le gouvernement français, le 12 mai depuis le Palais de l'Elysée.

Voir aussi : Coronavirus en Afrique : quels impacts économiques sur le continent ?

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Ainsi, les cinq zones de l’Afrique seront représentées mardi en présentiel par leurs chefs d'Etat : le nord avec la Tunisie et l’Egypte, l’ouest avec le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Ghana, le Mali, le Nigeria, la Mauritanie et le Sénégal, l’est avec le Soudan et l’Ethiopie, l’Afrique centrale avec la République démocratique du Congo et le Rwanda, et l’Afrique australe avec l’Angola et le Mozambique. La Chine, pourtant premier créancier bilatéral de l'Afrique selon le Trésor Public, ne sera présente que par visioconférence, sans Xi Jinping. 

Les premiers ministres espagnols, italiens et portugais feront aussi le déplacement avec le président du Conseil européen, Charles Michel, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen et le Haut représentant pour la politique étrangère, Josep Borrell. Les directeurs d’institutions financières internationales, très présentes en Afrique, comme le FMI, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement seront aussi autour de la table des négociations.

Un "New Deal" pour l’Afrique

Ce format de rencontre au plus haut niveau avait été déjà été annoncé le 15 avril 2020 dans le cadre d’une tribune publiée sur Jeune Afrique et le Financial Times, dans laquelle « dix-huit chefs d’État, de gouvernement et d’institutions internationales d’Afrique et d’Europe préconisent des mesures d’exception pour aider le continent à faire face à la pandémie. ». Parmi celles-ci, des mesures économiques prenant la forme d’un « New Deal » souhaité par le président français et organisateur du Sommet, Emmanuel Macron, rappelant la politique du président américain Franklin D. Roosevelt pour contrer les effets de la crise de 1929 et qui s'est traduit notamment par l'injection de crédits supplémentaires et d'un moratoire sur les dettes. « Sans quoi nous laisserons le continent africain face à la pauvreté (...) face à la réduction des opportunités économiques, une migration subie et l'expansion du terrorisme », a déclaré le chef d’Etat le 27 avril à Paris.

Voir aussi : Coronavirus et dette africaine : "Le continent doit tirer les leçons de sa forte dépendance dans le jeu économique international"

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Néanmoins, selon Marc Raffinot, enseignant-chercheur à l’Université Paris Dauphine et spécialiste du développement et de l’endettement international, les situations de ralentissement économique provoquées par la crise sanitaire ne sont pas comparables d’un continent à l’autre : « Le problème de la dette africaine n'est pas similaire à celui de la dette européenne. La dette africaine était déjà très importante avant la pandémie et les risques de surendettement menacent actuellement surtout les pays à faibles revenus […] Les effets de la crise ont été induits principalement par la crise européenne qui a engendré une baisse des exportations et du tourisme vers l’Afrique. »

Par ailleurs, « la chute du PIB en Afrique est moins forte que dans les économies avancées », poursuit le spécialiste. Un avis partagé par Chicot Éboué, Professeur des universités en Sciences Economiques à l’Université de Lorraine : « En France, on a un recul de 5,2% du PIB (NDLR : contre 2,1% pour l’Afrique) alors que le taux de croissance est deux fois inférieur à la moyenne africaine. Il est donc normal que le confinement intégral ait abouti au recul du PIB en Afrique. » 

Droits de tirages spéciaux comme solution?

Après que les Etats-Unis et les pays européens ont respectivement bénéficié de plans de relance de 2000 milliards de dollars et 750 milliards d’euros, le Sommet sur les économies africaines du 18 mai se penchera sur une potentielle « création monétaire pour injecter des liquidités » en vue de soutenir le continent africain.

Actuellement, les pays africains ont surtout besoin de financements massifs à long terme, pour construire une véritable industrie.                                              Chicot Eboué, Professeur des universités à l’Université de Lorraine

Une prévision d’ampleur impliquant le Fonds Monétaire International qui pourrait concerner 34 milliards de dollars en Droits de Tirages Spéciaux (DTS), « un instrument de change qui alimente les balances des paiements et qui facilite les importations des pays » explique la diplomatie française.

Autrement dit, les droits de tirages spéciaux sont des avoirs de réserve, alloués par le FMI, qui peuvent être échangés entre les pays en contrepartie de liquidités ou d'espèces :"Par exemple, un pays qui souffre économiquement et qui a besoin de plus de liquidités pour effectuer ses paiements peut vendre une partie de ses DTS en échange d'espèces, en particulier de dollars américains ou d'euros. Les DTS peuvent également être utilisés pour rembourser la dette d'un pays." explique ici l'ONG Global Citizen.

Cette proposition conviendra-t-elle au (re)financement des Etats africains?  Chicot Eboué en doute : « J’ai tendance à penser que les DTS ne vont pas être validés par les pays africains car ils seront probablement adossés à un plan de contrôle de la dette. Or, actuellement, les pays africains ont surtout besoin de financements massifs à long terme, pour construire une véritable industrie. Et aujourd'hui les pays africains sont convaincus que l'Occident ne les a pas aidé à construire cette industrie. »

Voir aussi : Coronavirus : au Nigeria, risque d'une crise économique

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Le dilemme de l'annulation de la dette

Assortie à cet apport de liquidités, une annulation des dettes africaines sera aussi discutée dans quelques jours. Il s'agit d'une solution de dernier recours qui n’a jamais fait ses preuves pour Marc Raffinot : « Des pays africains ont déjà vu leurs dettes annulées en 1989, 1996 et 2005. Ce n’est pas ce qui a permis de relancer la croissance contrairement à ce qu'on avait prévu. […] La raison pour laquelle on accordait des réductions de dettes, c'est que les pays étaient en incapacité de rembourser. On ne peut rien faire contre les pays pauvres. On ne va pas envoyer l'armée française pour qu'ils remboursent. L’annulation de dette pour les sommes qui ne peuvent pas être remboursées passeront alors comme de la générosité. »

Alors que des pays comme le Sénégal ou l’Ouganda se sont exprimés en faveur de cette annulation de dettes, le Bénin a, lui, affirmé son désaccord à travers la parole de son ministre des Finances. Dans une tribune publiée le 23 avril 2020 dans Jeune Afrique, le ministre Romuald Wadagni s’inquiéte du fait que cette décision puisse compromettre « leur accès aux financements futurs. Nos pays subiront un effet induit sur la perception de leur qualité de crédit ; ce qui les exposerait à des sanctions ultérieures inévitables de la part du marché. […] Tous les efforts fournis par nos pays pour améliorer le climat des affaires et la perception de risque (…) utilisée pour définir le taux d’emprunt de nombreux prêts, ne seront qu’anéantis. »

(Re)voir : Un moratoire sur la dette africaine : pour quoi faire ?

Le surendettement n'amène pas automatiquement à de la pauvreté, c'est surtout un problème pour les créanciers.                                Marc Raffinot, enseignant-chercheur à l’Université Paris Dauphine

Surendettement ne veut pas dire pauvreté

Alors que « le traité européen de Maastricht conditionnait l'adhésion à l'euro à un ratio d'endettement qui ne dépasse pas 60% », celui de l’Afrique « se trouve actuellement entre 35 à 50%, et de 44% pour l’Afrique francophone, alors que celui de l'Allemagne varie autour de 76%! » fait remarquer Chicot Eboué.

Après que la crise sanitaire a plombé l’ensemble des économies mondiales, l’endettement n’en serait qu’un effet naturel, accompagnant une volonté de développement des pays, et pas nécessairement négatif : « Ces pays sont en train de se développer, les revenus par tête sont encore très bas et leur croissance est rapide contrairement à ce qu'on croit. Elle est même plus rapide que la nôtre », nuance Marc Raffinot. « Quand on parle de crise de la dette, on a l'impression qu'on a affaire à des gens qui survivent à peine. Alors qu'il suffit d'aller à Abidjan ou Bamako pour observer le dynamisme. Le surendettement n'amène pas automatiquement à de la pauvreté, surtout pour les pays pauvres, c'est surtout un problème pour les créanciers. »

Reste que le risque que les écarts se creusent entre pays africains n'est pas à négliger. À cet égard, la France accorde une attention particulière au Soudan de l'après-révolution. La veille du Sommet sur les économies africaines sera consacrée, toujours à Paris, à une conférence de soutien à la transition au Soudan, dont l'économie subit une inflation à 300% et le PIB un recul de -8,4%.