C'était il y a un an, lors de sa visite au Burkina Faso, Emmanuel Macron se disait favorable à la restitution temporaire ou définitive du patrimoine africain spolié durant la période coloniale. Un rapport propose aujourd'hui de modifier le code du patrimoine français pour favoriser ces restitutions.
Comment rendre à l'Afrique des milliers d'oeuvres d'art arrivées en France sous la colonisation ? Le président Macron doit recevoir vendredi 23 novembre un rapport attendu posant les jalons d'une telle restitution, considérée comme un acte de justice mais aussi perçue par certains experts comme une boîte de Pandore.
Ce rapport, consulté par plusieurs médias, dont l'AFP, dresse un inventaire précis des dizaines de milliers d'objets que les colons ont ramené d'Afrique entre 1885 et 1960.
Ses deux auteurs proposent un changement législatif majeur du code du patrimoine pour permettre des restitutions de collections se trouvant dans les musées français à des États demandeurs. Les collections privées ne seraient pas concernées.
Plus de 85% du patrimoine africain hors du continent
Le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, le président français avait annoncé la mise en oeuvre dans un délai de cinq ans de restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain, reconnaissant l'anomalie que constitue sa quasi-absence en Afrique subsaharienne. Ces propos ont généré de grandes attentes chez certains Etats.
Selon les experts, 85 à 90 % du patrimoine africain serait aujourd'hui hors du continent.
Emmanuel Macron avait confié à deux universitaires français et sénégalais, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, le soin de procéder à de vastes consultations.
Actuellement, la loi ne permet pas à ces milliers d'objets d'art de quitter la France. Le rapport Savoy-Sarr suggère une modification du code du patrimoine, avec l'introduction d'un article qui stipulerait que des restitutions d'objets africains transférés pendant la période coloniale française pourraient être prévues dans le cadre d'un "accord bilatéral de coopération culturelle" entre "l'État français et un État africain".
"Réparation symbolique"
Pour que le processus puisse s'enclencher, précisent les rapporteurs, il faudrait qu'"une demande émane des pays africains concernés, grâce à l'inventaire que nous leur aurons envoyé". "Une remise solennelle", hautement symbolique, des listes des biens spoliés devrait avoir lieu.
Le périmètre de la spoliation engloberait les biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec le marché de l'époque, par les marchands, militaires, missionnaires, voyageurs...
Dans le quotidien français Libération, les deux auteurs se sont défendus mercredi d'avoir voulu écrire un brûlot: "Nous avons été très soucieux de faire ce travail de façon très méticuleuse, aucunement de façon polémique". Il s'agit à leurs yeux d'une "réparation symbolique".
Le rapport recense "au moins 90 000 objets d'Afrique subsaharienne dans les collections publiques françaises". Le Musée du Quai Branly est le plus concerné, avec 70 000 oeuvres, dont deux tiers "acquises" durant la période 1885-1960. Soit 46 000 objets potentiellement concernés par des restitutions. Les pays les plus concernés sont le Tchad (9 200 oeuvres), le Cameroun (7 800) et Madagascar (7 500).
Satisfaction au Bénin
Le Bénin, qui avait contribué à lancer le dossier avec sa demande concernant les statues royales du Palais d'Abomey, s'est félicité que "la France soit allée au bout du processus", "entérinant une vision nouvelle entre elle et ses anciennes colonies".
"Nous ne sommes pas dans une démarche de réclamation brutale" mais "dans un processus d'accompagnement", a indiqué à l'AFP Ousmane Aledji, chargé de mission du président Patrice Talon pour les projets culturels et touristiques.
Alors que certains experts préconisaient une politique de prêts longs et renouvelables, éventuellement sous le contrôle de l'Unesco, le changement du code du patrimoine pourrait ouvrir une boîte de Pandore : des conservateurs en France dénonceront probablement les surenchères idéologiques sur la colonisation.
En Afrique même, outre la question du coût et des infrastructures nécessaires pour gérer des collections, pourraient se poser des contestations territoriales, quand des oeuvres appartenaient à des royaumes aujourd'hui disparus.
Selon l'avocat spécialisé Yves-Bernard Debie, opposé aux restitutions, "ce rapport est vicié" et "inopérant" : "l'obligation pour les rapporteurs de consulter le marché de l'art, n'a pas été respectée. Aucun marchand d'art africain ancien n'a été consulté".
Une éventuelle évolution de la législation française aurait forcément des répercussions dans d'autres anciennes puissances coloniales, comme la Belgique, le Royaume Uni, l'Allemagne, pour les oeuvres africaines, mais aussi le patrimoine d'autres régions.