Fil d'Ariane
Changement d'ambiance. Le 13 janvier dernier, à Pau dans le sud-ouest de la France, le président Emmanuel Macron réunit ses homologues tchadien, burkinabé, malien, nigérien et mauritanien pour remettre un peu d'huile dans les rouages de l'initiative G5-Sahel destinée à lutter contre les djihadistes qui opèrent dans la région et que rien ne semble arrêter : ni la force française Barkhane et ses quelques 5000 hommes, ni la Minusma, la mission onusienne au Mali. Encore moins le G5-Sahel enlisé dans ses problèmes de financement et dans l'incapacité de ses pays-membres à mettre en place une coordination militaire cohérente et efficace.
Le G5-Sahel est alors au point mort et les tensions sont extrêmes.
Un mois plus tôt, en décembre 2019, après la mort de treize militaires français au Mali, le président Macron a haussé le ton : "Qu’ils clarifient et formalisent leur demande à l’égard de la France et de la communauté internationale, déclare-t-il à propos des présidents sahéliens. Souhaitent-ils notre présence ? Ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions". Dans la foulée, Emmanuel Macron a invité ses homologues à un sommet en urgence, déjà à Pau. Invitation mal perçue notamment à Niamey où le président Issoufou refuse cette "convocation".
“Cette attitude du président français est gênante, lit-on alors sur le site d'information sénégalais Rewmi repris par Courrier International. Elle rappelle la Françafrique qu’il a voulu enterrer. Elle est pleine de condescendance, de suffisance, de sentiment de supériorité, d’agacement envers des partenaires traités, ici, comme des gouverneurs de régions.”
Comme convenu, depuis le sommet de Pau, la force française Barkhane et ses alliés se sont concentrés sur la zone dites "des trois frontières" entre Mali, Niger et Burkina Faso, épicentre des actions de l'Etat islamique ces derniers mois.
De son côté, la France, appuyée notamment par les Américains, a enregistré une victoire de taille avec la mort de l'émir d'Aqmi, Abdelmalek Droukdal début juin.
Entre temps, également, le président français a repris langue avec son homologue algérien, Abdelmajid Tebboune. Après une période de glaciation comme Alger et Paris en connaissent tant depuis soixante ans, les deux présidents se sont parlés deux fois en à peine un mois. A l'issue de leur dernier coup de fil, samedi 27 juin, au cours duquel il a aussi été question du bourbier libyen, il a été évoqué "une concordance de points de vue" et "des objectifs communs de sécurité et de lutte contre le terrorisme". Un dialogue d'autant plus nécessaire que l'absence de l'Algérie au sein du G5-Sahel, malgré sa proximité avec le conflit, a souvent interrogé depuis sa création il y a trois ans.
Depuis le sommet de Pau, sur le terrain, les attaques meurtrières n'ont pas cessé, loin de là, mais la tonalité des discours a changé. "La victoire est possible au Sahel", affirmait jeudi 11 juin la présidence française après la mort de Droukdal, estimant que "les perspectives sont très encourageantes et permettent d'envisager une consolidation des acquis" du sommet de janvier à Pau.
"Quand la France s'engage, l'Europe s'engage à ses côtés". En arrivant en Mauritanie ce mardi 30 juin, le président français a souligné l'importance, à ses yeux, de pouvoir compter sur cet engagement européen. A distance, la chancelière allemande Angela Merkel, le président du Conseil italien Giuseppe Conte ainsi que le président du Conseil européen, Charles Michel, ont participé à ce sommet. Quant au président du Gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, il a fait le déplacement à Nouakchott. Sa préoccupation concerne essentiellement le dossier migratoire. En 2018, l'Espagne est devenue la principale porte d'entrée en Europe pour l'immigration irrégulière. L'année dernière, quelque 32 500 migrants sont entrés clandestinement sur le territoire espagnol par voie terrestre ou maritime, selon le ministère espagnol de l’Intérieur.
"Consolider les acquis de Pau", tel était donc l'objet de la réunion de Nouakchott ce mardi 30 juin. Le président français Emmanuel Macron l'a rappelé dès son arrivée dans la capitale mauritanienne et à nouveau à l'issue du sommet au cours d'une brève conférence de presse respectant scrupuleusement les distanciations physiques.
Saluant les avancées enregistrées depuis janvier, "la coalition est en place", soulignant aussi "les résultats spectaculaires", Emmanuel Macron s'est dit certain que "la victoire est possible au Sahel. Elle est déterminante pour l'équilibre en Afrique et en Europe".
Estimant que "le rapport de force s'était inversé dans la zone des trois frontières", Emmanuel Macron a détaillé le programme des prochains mois. La force européenne Takuba va prendre le relais des 600 soldats français dépêchés en urgence en provenance de Côte d'Ivoire il y a quelques mois alors que la zone était devenu l'épicentre de la crise. Illustration également de l'"européanisation", la mission de formation européenne EUTM va reprendre ses actions avec l'appui notamment de l'Allemagne et de l'Espagne.
Ces derniers mois, le conflit sahélien s'est muté en conflit communautaire. C'est le cas, notamment, dans le centre du Mali avec des massacres à répétition entre Dogons et Peuls.
Mais "les Peuls ne sont l'ennemi de personne" a martelé Emmanuel Macron, se faisant là le porte-parole de l'ensemble des dirigeants réunis à Nouakchott. Derrière la formule-choc, ce qui sera la préoccupation numéro un au cours des prochains mois : répondre aux attentes des populations. En appuyant les enquêtes sur les exactions imputées aux armées sahéliennes, mais aussi, à plus long terme, en assurant le retour des administrations et des services publics dans des régions délaissées par les Etats très centralisés de la région. Un abandon propice aux dérapages et à la violence."Notre engagement militaire n'a pas vocation à durer à perpétuité" a répondu Emmanuel Macron à un journaliste français inquiet de voir la France s'enliser au Sahel "comme les Etats-Unis en Afghanistan, contraints de discuter avec leurs ennemis d'hier".
Prochain "point d'étape" , début 2021.
EN DIRECT | Depuis la Mauritanie, conférence de presse du Président @EmmanuelMacron aux côtés de ses homologues sahéliens.https://t.co/EUbZx2AevL
— Élysée (@Elysee) June 30, 2020