Fil d'Ariane
Après le retrait de ses troupes du Mali et du Burkina Faso, la France s’efforce, non sans difficulté, de refonder ses relations avec le continent africain. En ce sens, Emmanuel Macron entamera, le 1er mars, une visite dans quatre pays d’Afrique centrale. Deux jours avant son départ, lors d'un discours à l’Élysée lundi 27 février, il exposera sa stratégie pour "approfondir le partenariat entre la France, l’Europe et le continent", pour les quatre prochaines années. La France peut-elle reprendre l’initiative dans sa politique africaine ? Quelles sont ses perspectives ? Explications.
Gabon, Angola, Congo, République démocratique du Congo, Emmanuel Macron va entamer, mercredi 1er mars et jusqu'au 5 mars, une tournée en Afrique centrale.
En prélude, le président français doit exposer lundi 27 février, sa stratégie pour les quatre ans à venir en Afrique, a-t-on appris de l'Élysée. Il s'agira notamment de préciser "sa vision du partenariat avec les pays africains" et présenter "le cap" à tenir ces quatres prochaines années.
Ce discours intervient dans une période de fortes tensions entre la France et plusieurs pays africains. Comme le rappelle le chercheur associé à l'IFRI, Institut français des Relations Internationales, Thierry Vircoulon, "le président français est dans une posture qui n'est pas bonne".
Il fera écho à celui tenu en 2017 à Ouagadougou, au Burkina Faso. Le président français y avait exprimé sa volonté de tourner la page avec la politique africaine post-coloniale de Paris, s’adressant expressément à la jeunesse africaine de plus en plus méfiante à l’égard de la France. C’est notamment au cours de cette visite que, devant 800 étudiants, il s’était incarné en dirigeant d’une nouvelle génération et avait dénoncé les "crimes incontestables" de la colonisation. Là déjà, le président français avait appelé à une "relation nouvelle" avec l'Afrique, un pacte qu'il entend aujourd'hui élargir à l'Europe.
Emmanuel Macron doit également expliciter les nouveaux contours de la présence militaire française sur le continent.
"L'enjeu officiel est notamment de traiter de questions qui concernent le continent africain, l'environnement dont il sera question au Gabon par exemple", explique Niagalé Bagayoko, politologue et présidente de l'African Security Secteur Network (ASSN). "Mais plus généralement, l'enjeu est véritablement de renouer avec les opinions publiques africaines et de parvenir à démontrer la valeur ajoutée positive que la France peut apporter au continent africain", souligne-t-elle.
Depuis le début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, les choses ont bien changé et renouer avec l'opinion publique africaine semble en effet indispensable. Poussée hors du Mali et du Burkina Faso avec respectivement la fin de l'opération Barkhane et le départ de la force Sabre, la France est confrontée, sur le terrain, à un sentiment antifrançais grandissant.
Ces dernières années, la France s'est certes efforcée de rompre avec la "Françafrique", ses pratiques opaques et ses réseaux d'influence hérités du colonialisme. Mais sur le continent, on reproche toujours à Emmanuel Macron de poursuivre ses rencontres avec des dirigeants africains jugés autoritaires.
Et ce sentiment antifrançais profite aujourd’hui à la Chine et la Russie qui avancent leurs pions sur l'ancien "pré carré" français.
En Afrique centrale, où il se rend, ce n’est pas comme au Sahel, il n'y a pas de manifestations contre la France toutes les semaines
Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'IFRI
"En cinq ans, nous avons pris des coups en Afrique", explique Thierry Vircoulon, chercheur assosié à l'Institut français de relations internationales (IFRI). "La présence de l'armée française est maintenant vue comme étant illégitime par l'opinion publique. Barkhane a pris fin parce que la populaton sahélienne ne la supportait plus. Ajoutez à cela les Russes qui ont marqué des points contre la France. Pour le moment le score est de 2-0. Le premier point pour la Russie c’est la Centrafrique et le second, c'est le Mali. Et puis nous attendons le troisième point avec le Burkina Faso", ajoute le chercheur.
"Sur le plan symbolique, il s’agit de montrer qu’un président français peut encore aller en Afrique sans recevoir de tomates sur la tête", explique Thierry Vircoulon.
"En Afrique centrale, où il se rend, ce n’est pas comme au Sahel, il n'y a pas de manifestations contre la France toutes les semaines. L’idée est donc, selon moi, de défendre les positions françaises, de convaincre les gouvernements africains de rester du bon côté de la ligne en ce qui concerne la guerre russo-ukrainienne par exemple", conclut-il.
"La France en Afrique centrale et moins publiquement décriée qu'elle ne l'est en Afrique de l'ouest", admet Niagalé Bagayoko qui nuance, "il n'en demeure pas moins que la France apparaît comme un partenaire contesté et dont la crédibilité est très clairement fragilisée en Afrique centrale, comme ailleurs sur le continent y compris dans certains pays anglophones comme l'Afrique du Sud".
A Libreville, au Gabon, où des soldats français sont stationnés, le président français participera, les 1er et 2 mars, au One Forest Summit consacré à la préservation et la valorisation des forêts du bassin du fleuve Congo.
Avec 220 millions d’hectares de forêts, le bassin du Congo représente le deuxième massif forestier et le deuxième poumon écologique de la planète après l’Amazonie à travers plusieurs pays (République démocratique du Congo, Congo-Brazzaville et Gabon notamment).
De l'Afrique au Brésil et l'Asie du Sud-est, ces forêts sont désormais menacées par la surexploitation agricole et industrielle et dans certains cas la production pétrolière.
Au Gabon également, et comme au Congo-Brazaville d'ailleurs, deux ex-colonies où Emmanuel Macron ne s'était pas rendu durant son premier quinquennat, il espère également "corriger un sentiment d'abandon ou de négligence".
La France ne parvient pas à se positionner diplomatiquement de manière claire. Ce deux poids deux mesures est très certainement ce qui va lui être reproché à l'issue de cette tournée
Niagalé Bagayoko, politologue et présidente de l'African Security Secteur Network
Au Gabon, Emmanuel Macron pourrait faire face à une situation compliquée. Comme l'explique la politologue Niagalé Bagayoko, "certains observateurs internationaux mais également la classe politique locale et certaines organisations de la société civile dénoncent la venue du président d'Emmanuel Macron, perçu comme de nature à conforter le régime du président Ali Bongo, lui-même particulièrement contesté". Le pays doit organiser une présidentielle en 2023.
Désireux d’intensifier les relations avec les pays anglophones et lusophones du continent, Emmanuel Macron se rendra ensuite à Luanda en Angola le 2 mars. Le Président français doit d'ailleurs y lancer un partenariat de production franco-angolais en matière agricole.Après un an de conflit sur le sol ukrainien, Emmanuel Macron multiplient les appels aux pays du sud à condamner l'offensive russe en Ukraine. Soucieux de préserver leurs intérêts, nombre d’entre-eux, notamment africains, refusent de prendre position, arguant que ce conflit n’est pas le leur. "La guerre en Ukraine est un nouveau point négatif pour lequel certains pays veulent s'éloigner de la France. Et cela s'observe depuis mars 2022", souligne Thierry Vircoulon de l'IFRI.
Jeudi 23 février en effet, 32 pays se sont abstenus de voter une résolution appelant au retrait "immédiat des troupes russes". Parmi eux, le Gabon, l’Angola ou encore le Congo, trois des quatre pays dans lesquels Emmanuel Macron est attendu la semaine prochaine.
"Peu de pays ont ouvertement choisi le camp de la Russie (Mali, Érythrée, ndlr). Beaucoup préfèrent en effet rester dans une position de neutralité plutôt que de prendre parti pour un camp ou l'autre. Évidemment, l'objectif est de les convaincre de sortir de cette position de neutralité", dit Thierry Vircoulon.
The UN General Assembly adopted a resolution that demands #Russia leave #Ukraine.
— UN News (@UN_News_Centre) February 23, 2023
In favour: 141
Against: 7
Abstentions: 32 pic.twitter.com/WnEoRp94kx
Le discours à l'Elysée comme la tournée africaine seront donc l'occasion de présenter les nouveaux contours de la présence militaire française sur le continent.
Le chef de l'État pourra "expliquer davantage l’évolution de notre présence militaire en Afrique, une évolution qui concerne prioritairement l’Afrique de l’ouest mais aussi l’Afrique centrale", a précisé un conseiller de l'Elysée cité par l'AFP.
"La philosophie de ce changement, c’est pas de mettre plus ou de mettre moins (d'hommes), les choses vont d’ailleurs évoluer entre différents pays, c’est de coopérer autrement", a ajouté le conseiller."On sort d’un cycle où la France a eu besoin ou tendance à se mettre en première ligne. Nous rentrons dans un cycle ou nous allons travailler en deuxième rideau", a-t-il spécifié.