L'ami de la France
Le doyen des chefs d'Etat africains était aussi le dirigeant le plus proche de l'Elysée. Les liens étaient (et restent?) forts entre Paris et Libreville, sur fond d'accusations de financements occultes et de biens mal acquis. Le décès d'Omar Bongo a relancé le débat sur les relations de la classe politique française avec le continent noir.
“Le nom de Bongo restera un synonyme d'échec au Gabon “
Entretien avec Michel Arseneault, correspondant à Paris du magazine québécois “L'actualité“
La mort de Bongo, considéré comme le dernier “dinosaure” de la Françafrique, fait ressurgir le débat sur les relations occultes entre Paris et le continent noir. La Françafrique, qu’est-ce-que c’est ? Le mot, très flou, renvoie aux relations étroites, entre autres politiques et commerciales, que la France a nouées, après les indépendances, avec plusieurs ex-colonies, plus particulièrement en Afrique de l'Ouest. Ce réseau a, entre autres, favorisé les investissements français, notamment dans le pétrole, considéré comme stratégique, et permis à la France de peser aux Nations Unies, Paris ayant souvent pu compter sur le soutien des pays d'Afrique francophone. Le Gabon, un petit pays (1,5 million d'habitants) où se trouve une base militaire française, est aux premières loges. Avez-vous des exemples concrets à donner de “collusion” entre Paris et des États africains, et plus précisément le Gabon ? Difficile de donner des exemples puisqu'on est, justement, sur le terrain des financements occultes, mais de nombreux témoignages , y compris celui de l'ex-président Valéry Giscard d'Estaing, vont dans le même sens: Omar Bongo a financé de nombreux partis politiques français. L'affaire Elf, un vaste scandale qui a éclaté dans les années 1990 suite à une enquête de la commission des opérations boursières, est un autre exemple: elle a éclaboussé de nombreux politiques, tant en France qu'au Gabon. Le décès de Bongo signe-t-il l’arrêt de mort de la Françafrique ? Non. Bongo était le symbole d'un réseau qui plonge ses racines dans la guerre froide, mais on aurait tort de croire que la France n'a plus d'intérêts en Afrique de l'Ouest. Areva, le porte-étendard du nucléaire francais, vient de signer un important contrat pour l'exploitation de l'uranium avec le Niger, un pays où la sécurité pose problème. Deux diplomates canadiens y ont été kidnappés en décembre 2008 avant d'être relâchés par des extrémistes proches de Al Qaeda au Maghreb. On comprend pourquoi la France et d'autres pays occidentaux (les États-Unis entretiennent des relations de coopération militaire avec le Niger, notamment) s'intéressent à une région aux frontières poreuses. Le président français Nicolas Sarkozy avait déclaré vouloir rompre avec ces pratiques politiques avant de démarrer son mandat. Qu’en pensez-vous ? Je constate que de nombreux journaux français ont écrit que Bongo avait obtenu récemment la mutation d'un ministre qui ne lui convenait guère. (NDLR: En 2008, après sa dénonciation des pratiques de la Françafrique, Jean-Marie Bockel a été remplacé par Alain Joyandet au secrétariat d'Etat à la Coopération) De leur côté, les Africains veulent-ils en finir avec la Françafrique ? Les élites africaines qui bénéficient de ces relations privilégiées avec la France n'ont aucun intérêt à le faire. Elles cherchent toutefois à diversifier leurs relations commerciales. La France fait la même chose. On aurait tort de croire qu'elle s'intéresse uniquement à l'Afrique francophone: la France est également le premier partenaire commercial de pays anglophones comme l'Ouganda. Nicolas Sarkozy a été hué à Libreville lors des obsèques de Bongo aux cris de “On ne veut plus de vous, partez ! On veut les Chinois !” La Chinafrique, prochain réseau d’influence ? Ceux qui crient "on veut les Chinois" trahissent leur incapacité à se concevoir comme les instigateurs de leur propre développement, à concevoir les relations commerciales avec un pays étranger comme des relations coloniales. En quelque sorte, ils appellent les Chinois à se substituer aux anciens maîtres coloniaux! Il est vrai que le nom de Bongo au Gabon, malgré ses ressources pétrolières, restera un synonyme d'échec. Le PNB par habitant du Gabon est supérieur à celui de l'Argentine, mais le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est trois fois supérieur... Propos recueillis par Laure Constantinesco 19 juin 2009
Les biens mal acquis de la famille Bongo, selon Maître William Bourdon
L'avocat de Transparency International revient sur l'instruction ouverte au sujet de la fortune personnelle du président défunt et de sa famille. Un patrimoine immobilier et mobilier estimé à plus de 150 millions d'euros, tandis qu'un Gabonais sur deux vivrait avec moins d'un euro par jour... 9 juin 2009 - 5'
Abdou Diouf, inconditionnel d'Omar Bongo
Le Secrétaire général de la Francophonie regrette, sans réserve, les talents d'un homme d'État, selon lui exceptionnels et qui manqueront à l'Afrique. Propos recueillis par Nicolas Dudouet, Cedric Alliot et Audrey Demart
La Françafrique c'est quoi ?
Le terme Françafrique définit des relations ambiguës et opaques, mêlant réseaux d'influence, affairisme et financements douteux, qui lient plus ou moins étroitement la France à ses anciennes colonies africaines depuis 1960. Nicolas Sarkozy dit vouloir rompre avec ce système. L'expression Françafrique a été inventée en 1955 par l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, pour définir les bonnes relations avec la puissance colonisatrice française. Les ex-colonies françaises en Afrique : Maroc, Algérie, Tunisie, Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Guinée, Gabon, Congo-Brazzaville, Cameroun, Niger, Tchad, Burkina Faso, Bénin, Guinée, Djibouti, Mali, République Centrafricaine, Mauritanie, Comores, Madagascar En savoir plus La Françafrique, le plus long scandale de la République, François-Xavier Verschave, Stock (1998). Françafrique, un album de reggae de Tiken Jah Fakoly sorti en 2002.
En savoir plus sur l'Afrique
Perdu en Afrique, Michel Arseneault, Editions Stanké (2009) Le recueil des reportages en Afrique du journaliste québécois de L'Actualié