
Fil d'Ariane
Après 55 ans de règne des Bongo, le Gabon choisit son avenir. Nouveau contrat démocratique, diversification économique, lutte contre le chômage des jeunes, maîtrise de la dette : voici les grands chantiers auxquels devra répondre le futur pouvoir à l'issue du scrutin présidentiel.
Les bulletins des candidats à l'élection présidentielle sont disposés sur une table dans un bureau de vote à Libreville, au Gabon, samedi 12 avril 2025.
Après 55 ans de pouvoir de la famille Bongo, le Gabon entre dans une nouvelle ère. Le renversement d'Ali Bongo Ondimba par les militaires en août 2023 a marqué une rupture brutale avec un système politique verrouillé et contesté.
Dix-neuf mois de transition plus tard, les Gabonais sont appelés à désigner un nouveau chef d'État. Mais au-delà du scrutin, ce sont des enjeux de fond, politiques, économiques et sociaux, qui attendent le pays. Voici les quatre grands chantiers qui s'ouvrent.
Depuis l’indépendance en 1960, la vie politique gabonaise a été dominée par le Parti démocratique gabonais (PDG) et la famille Bongo. Le pouvoir s’est appuyé sur un système autoritaire, aux élections entachées d’irrégularités et de contestations pour fraude.
La présidentielle d’août 2023 n’a pas fait exception, déclenchant un renversement militaire et l’adoption d’une nouvelle Constitution fin 2024, approuvée par 91,8 % des votants qui instaure la Ve République gabonaise. Elle affiche l’ambition de consolider l’État de droit, de promouvoir les libertés fondamentales et l’égalité des citoyens devant la loi.
(Re)voir Gabon : dernières heures de campagne électorale
Depuis, aucune élection législative n’a eu lieu. L’élection présidentielle d’avril 2025, à laquelle participent huit candidats (dont le général Oligui Nguema lui-même et un ancien Premier ministre d’Ali Bongo, Alain-Claude Bilie-By-Nze), constitue donc la première étape décisive vers un retour à l’ordre constitutionnel.
Le principal défi du Gabon post-Bongo est politique. Le projet est de reconstruire un Etat de droit fonctionnel, ainsi que de redonner confiance à la population en ses institutions.
Si le général Oligui Nguema remporte l’élection, la frontière entre pouvoir civil et militaire restera ténue, puisque le chef de la junte deviendrait président élu. Ses liens personnels avec l’ancien régime – il fut un proche collaborateur d’Ali Bongo – suscitent d’ailleurs des critiques et l’obligeront à démontrer qu’il incarne le changement et non la continuité du système Bongo.
Le Gabon possède d’abondantes ressources naturelles qui lui confèrent un PIB par habitant parmi les plus élevés d’Afrique subsaharienne. Le pays est le 4ème producteur de pétrole de la région et le 1er producteur mondial de manganèse. Mais l’économie n’est pas assez diversifiée et est très dépendante de l'or noir, secteur qui représente environ 40 % du PIB, 68 % des exportations et 50 % des recettes budgétaires en 2023.
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Ce secteur a également profité à un cercle restreint de la population. Le Gabon dispose aussi d’autres ressources sous-exploitées telles que les mines, le bois ou encore l’agriculture. Le Plan national de développement pour la transition 2024-2026 (PNDT) élaboré par les autorités de la transition mentionne d’ailleurs l’intensification des efforts pour diversifier l’économie.
Le pays devra aussi s’attaquer à la question de la dette publique, qui atteint près de 70 % du PIB. Mais le redressement budgétaire ne pourra pas être fait au détriment des besoins sociaux. Il faudra donc équilibrer rigueur et justice économique, en rendant les dépenses publiques plus efficaces, et en assurant une fiscalité plus juste et transparente.
(Re)voir Élection présidentielle au Gabon : les attentes des jeunes
Le Gabon est un pays jeune : plus de deux tiers de la population a moins de 35 ans. Le taux de chômage chez cette tranche d’âge atteint les 40 %. Selon une analyse des Nations unies, la faible employabilité des jeunes est étroitement liée aux limites du système éducatif gabonais, notamment à l’inadéquation entre les besoins du marché du travail et les formations proposées, ainsi qu’à la faible qualification de la main-d’œuvre disponible.
Pourtant le Gabon affiche un taux de scolarisation brut élevé, proche de 100 %, et un taux d’alphabétisation d’environ 85 %. Le plan de transition avait même prévu la construction d’un « lycée de l’excellence » et d’autres établissements pilotes.
Le futur gouvernement devra investir dans l’éducation et la formation professionnelle, et surtout adapter les filières d’enseignement supérieur, ainsi qu’encourager l’essor de PME locales pour absorber cette main-d’œuvre.
Le régime Bongo lègue une dette publique importante. En 2023, elle atteignait environ 70 % du PIB, au-dessus du seuil maximal fixé par la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale à 70 %. De plus un Gabonais sur trois vit sous le seuil de pauvreté, une situation particulièrement visible en dehors de la capitale Libreville.
Les autorités de transition ont entrepris d’apurer certains arriérés : elles revendiquent d’avoir ramené le ratio d’endettement à 67% du PIB en 2024 en remboursant par anticipation près de 266 milliards de Francs CFA (405 millions d’euros) aux créanciers.
Toutefois, cette baisse demeure trompeuse car elle a été obtenue en excluant du calcul certaines dettes sociales et en contractant de nouveaux emprunts à court terme sur le marché régional. L’agence Fitch Ratings, qui a salué ces efforts de remboursement, projette malgré tout un rebond de la dette dès 2025 du fait de la baisse attendue des revenus pétroliers et d’un creusement des déficits publics.
Le prochain gouvernement devra faire des choix budgétaires pour éviter une trajectoire insoutenable. Durant la transition, plusieurs initiatives coûteuses ont été lancées, comme le rachat de parts dans deux sociétés pétrolières, la création d’une nouvelle compagnie aérienne nationale et paiement de divers arriérés sociaux, mais sans qu’une réelle stratégie de développement ne soit clairement définie.
Le Gabon pourra sans doute solliciter le soutien de partenaires internationaux dans ce redressement, en fonction des réformes avancées.
Le manque d’infrastructures fiables pénalise aussi bien le quotidien des habitants que le développement économique. Les routes et les transports intérieurs sont insuffisants pour désenclaver certaines régions.
Le réseau routier, hors axes principaux, est mal entretenu, et le chemin de fer Transgabonais a subi plusieurs pannes importantes, ainsi qu’un glissement de terrain en 2023
(Re)voir Gabon : le difficile accès à l'eau et à l'électricité
L’accès à l’eau potable et à l’électricité n’est pas pleinement garanti en dehors des centres urbains. Même à Libreville, les coupures de courant demeurent fréquentes, reflet d’une capacité de production électrique limitée et d’un réseau vieillissant.
Le coût élevé de l’électricité et de sa logistique constitue d’ailleurs un frein majeur pour l’économie gabonaise. Face à cela, le nouveau gouvernement devra accélérer les investissements dans les infrastructures de transport et d’énergie.