Fil d'Ariane
Celui qui prend la parole s'appelle Ondo Obiang Kelly, commandant adjoint de la garde d'honneur de la Garde républicaine. Il s'exprime au nom du "Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité" (MPJFDS) et annonce la mise en place imminente d'un "Conseil national de la restauration" pour "assurer la continuité de l'Etat" en l'absence du président Ali Bongo.
A l'époque, le chef de l'Etat, victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC) quelques semaines plus tôt est en convalescence au Maroc.
Invisible pendant de longues semaines, il vient de réapparaître aux côtés du roi du Maroc Mohamed VI d'abord, puis à l'occasion d'une allocution pour la nouvelle année.
Visiblement, c'est cette dernière apparition du président qui a incité les jeunes militaires à passer à l'action. "Un spectacle désolant, affirment-ils, dans lequel les conservateurs acharnés du pouvoir dans leur funeste besogne continuent d'instrumentaliser et de chosifier la personne d'Ali Bongo Ondimba en mettant en scène un malade dépourvu de plusieurs de ses facultés physiques et mentales".
Les militaires lanceront ont ensuite un appel spécifique aux militaires et à la jeunesse dans le cadre d'une opération baptisée "Dignité" pour qu'ils se procurent armes et munitions, qu'ils prennent le contrôle de tous les moyens de transport, que tous mettent leur uniforme.
"Dans toutes les provinces (...) prenez le contrôle de la rue. En occupant les aéroports, les radios et télévisions, les bâtiments publics jusqu'à ce que nous mettons hors d'état de nuire tous les ennemis de la patrie", déclare le Lieutenant Ondo Obiang Kelly.
La prise de parole se conclura par un appel à des personnalités politiques à se rendre à l'Assemblée nationale. Parmi ses personnalités "invitées" par les mutins, le général Jean Rémi Ntumpa Lebani, un haut gradé originaire du Haut-Ogoué et qui a purgé une peine de prison à la suite d'un autre de putsch avorté en 2009. Autres personnalités citées, le colonel Rapontchombo, officier de l'armée de terre, les syndicalistes Jean Rémi Yama et Marcel Libama ainsi que des responsables politiques tels que Laurence Ndong, une proche de l'opposant Jean Ping - candidat malheureux à la présidentielle de 2016 -, résidant en France et qui est le jour-même invitée de TV5MONDE.
Mais la tentative de coup d'Etat tourne court. Personne ne répond à l'appel des mutins. Deux d'entre eux sont abattus par les forces de sécurité et les autres, dont le meneur, Kelly Ondo Obiang, sont arrêtés. Quelques heures plus tard, les autorités annoncent que "le calme est revenu et la situation sous contrôle".
Le mobile de mon client est qu'il a empêché une tentative de coup d'Etat.
Anges Kevin Nzigou, avocat de la défense
Tout au long de leur procès, les prévenus ont pu s'expliquer sur leur démarche. Et un argument récurrent peut surprendre.
Le 7 janvier 2019, ont-ils expliqué, ils ont en fait cherché à empêcher un putsch fomenté par le frère du président, le colonel Frédéric Bongo, alors chef du plus puissant service de renseignements du pays, la Direction générale des services spéciaux (DGSS). "Le mobile de mon client est qu'il a empêché une tentative de coup d'Etat, on ne conteste pas l'infraction, mais on tente de l'expliquer", a ainsi justifié à l'AFP Anges Kevin Nzigou, un des avocats de la défense. Si le président de la Cour spéciale militaire a refusé de faire comparaître le colonel Frédéric Bongo, une chose est certaine : le 15 octobre 2019, neuf mois après la tentative de coup d'Etat, Frédéric Bongo est débarqué et nommé attaché militaire à l'ambassade du Gabon en Afrique du Sud, bien loin de Libreville.
Cette mise à l'écart du jusque-là très puissant frère du président marque le début d'un grand ménage au sommet.
Quelques semaines plus tard, l'un des hommes les plus influents de Libreville, le Franco-Gabonais Brice Laccruche Alihanga, directeur de cabinet d'Ali Bongo devenu homme fort du Gabon pendant la convalescence du président, sera à son tour mis sur la touche.
Après le retour du chef de l'Etat, Laccruche sera écarté progressivement du sommet du pouvoir jusqu'à son arrestation en décembre 2019 dans une vaste opération anticorruption baptisée "Scorpion". Plusieurs ministres et hauts responsables de son entourage seront également arrêtés.