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Gambie : le président Yahya Jammeh cèdera-t-il sa place ?

Deux semaines après le scrutin présidentiel, le parti du président sortant Yahya Jammeh a saisi la Cour suprême pour demander l’annulation des résultats qui donnent l'opposant Adama Barrow gagnant. La Cédéao tente de faire pression sur le président sortant mais sans grand succès. Le pays s'enfonce vers une crise post-électorale.
Il campe sur ses positions. Yahya Jammeh, président sortant de la Gambie, continue de contester sa défaite à l’élection présidentielle du 1er décembre. Il l'avait pourtant reconnue le soir du scrutin. Son parti, l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction, a même saisi, mardi 13 décembre, la Cour suprême pour demander l’annulation des résultats qui donnent le candidat de l'opposition Adama Barrow gagnant. Le parti de Yahya Jammeh invoque notamment des irrégularités dans la comptabilisation des voix par la Commission électorale indépendante (IEC) et des "intimidations" envers les électeurs de Jammeh dans une région. 

Les locaux de la Commission électorale sont d’ailleurs fermés ce mercredi 14 décembre, après l’intervention, la veille, des forces de sécurité gambiennes pour empêcher le personnel de la IEC d'entrer dans le bâtiment. L’ONU dénonce un "acte inacceptable."

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Se maintenir au pouvoir

Selon l’opposition, le recours de Jammeh devant la Cour suprême est un moyen pour se maintenir en place au-delà de la fin de son mandat, prévue le 19 janvier 2017. Les juges de la Cour suprême sont en effet nommés par le Chef de l'Etat, sur proposition d'un commission spécialisée. Et puisque la Cour n'est plus au complet, il faudrait en désigner de nouveaux. Cela entraînerait inévitablement des délais supplémentaires. Mais selon le représentant de l'ONU en Afrique de l'Ouest, Mohammed Ibn Chambas, "cette procédure juridique n'a rien à voir avec le terme de son mandat". "Le président devra être prêt à céder le pouvoir en janvier", a-t-il assuré. 
 

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Tentative de médiation peu convaincante

C’est donc pour convaincre Yahya Jammeh de quitter le pouvoir que quatre chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest lui ont rendu visite mardi 13 décembre. Mais après une journée de discussions, la délégation de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a reconnu qu'aucun accord n'avait encore été obtenu sur le départ du président.
 


Cette délégation de la Cédéao était conduite par la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf et comprenait le président nigérian Muhammadu Buhari, le Ghanéen John Dramani Mahama battu à la dernière présidentielle et le chef de l’Etat sierra-léonais Ernest Bai Koroma. Le représentant spécial de l’ONU en Afrique de l’Ouest, Mohamed Ibn Chambas, participait également à la mission.  
 

En cas d'échec de la diplomatie préventive, la Cédéao envisagera des décisions plus draconiennes

Marcel Alain de Souza​, président de la Commission la Cédéao

"Nous ne sommes pas venus pour un accord, nous venons aider les Gambiens à organiser la transition. Ce n'est pas quelque chose qui peut aboutir en un seul jour, il faut y travailler", a déclaré Mme Sirleaf, affirmant que la mission allait rendre compte de ces discussions lors du sommet de la Cédéao, samedi 17 décembre, à Abuja. 

Dans la région, le président sénégalais Macky Sall a également appelé "au respect du choix du peuple ami et souverain, dans la paix et le dialogue​". L'ambassadrice américaine à l'ONU, Samantha Power, a estimé qu'il s'agissait d'un "moment très dangereux" pour ce petit pays de moins de deux millions d'habitants, en raison notamment du soutient dont jouit encore dans l'armée le président sortant. 

En cas d'échec de la "diplomatie préventive", la Cédéao "envisagera des décisions plus draconiennes", a assuré sur RFI le président de la Commission de l'organisation régionale, Marcel Alain de Souza, sans écarter l'option militaire.

 

Entretien avec Seidik Abba, journaliste et écrivain nigérien, analyste de l’actualité africaine

Le parti de Yayha Jammeh a saisi la Cour suprême. Cela signifie que la Gambie entre dans une période de crise post-électorale ? 

La crise post-électorale est déjà là, elle s’installe. Le projet de Yahya Jammeh en saisissant la Cour suprême est de donner un maquillage juridique à sa volonté de conserver le pouvoir. Il sait bien que la Cour, qu’il a lui même façonnée et qui est sous ses ordres, va confirmer sa volonté de confisquer le pouvoir à Adama Barrow qui a été élu. Cela me semble évident. On s’installe dans une crise post-électorale avec des implications sous régionales et peut être même internationales.
 

Comment expliquer la volte-face de Yahya Jammeh qui a tout d'abord reconnu sa défaite ? 

Je pense que Yahya Jammeh était sincère au début. Ce n’est pas un démocrate avéré, donc il aurait pu manipuler les choses dès le début. Il aurait pu, comme il en a l’habitude, mettre les gens en prison, tripatouiller les résultats. Là, il est allé jusqu’à reconnaître sa défaite en appelant son adversaire au téléphone, en souhaitant le meilleur pour la Gambie… Je pense qu’il y avait une part de sincérité. Mais certaines imprudences des partisans d’Adama Barrow qui promettaient la CPI à Jammeh, une chasse aux sorcières... l'ont convaincu de changer d’avis. 

Yahya Jammeh, 22 ans de pouvoir 

Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1994, Yahya Jammeh avait été élu une première fois en 1996, puis largement réélu tous les cinq ans depuis. Durant 22 ans, il a tenu le pays d’une main de fer.

Son régime est accusé par de nombreuses ONG et associations de disparitions forcées, de harcèlements de la presse et des défenseurs des droits de l’homme. Dans son rapport annuel 2015-2016, Amnesty International pointait justement du doigt ces violations des droits de l’homme.

Preuve de son autorité, lors de l’élection présidentielle du 1er décembre, Internet était coupé et les télécommunications fortement perturbées. Une manière d’empêcher la diffusion de résultats non-officiels.

Cependant, certains Gambiens reconnaissent qu’il a œuvré dans les domaines de l’éducation et de la santé.


C'est une erreur de la part des adversaires de promettre l'enfer à Yahya Jammeh. Les "faucons du système" se sont engouffrés dans cette brèche pour avertir l’actuel président sur les risques qu’il encourait en partant ainsi du pouvoir. Ils l’ont fait changer d’avis. Ce travail a été effectué avec beaucoup d’ardeur et de détermination par l’ensemble du système Jammeh : forces armées, services de renseignements qui sont très puissants, l’appareil sécuritaire, etc… Jammeh n’a eu aucun autre choix que de changer d’avis. 

La communauté internationale aussi a été imprudente. Elle aurait dû très vite apporter des garanties au président sortant et lui vendre l’idée qu’on va lui trouver un sauf-conduit, qu’on va l’aider à partir du pays… 

Charles Taylor (ancien président du Libéria, ndlr) a été convaincu de quitter le pouvoir parce qu’on lui avait promis qu’on ne lui ferait rien. Il s’est retrouvé en exil au Nigeria et c’est à partir de ce pays qu’il avait été arrêté puis poursuivi. On aurait pu avoir la même stratégie pour Jammeh : lui vendre l’idée qu’il n’allait rien lui arriver, user d'un subterfuge pour le convaincre de quitter le pouvoir. Mais tout cela n’a pas été fait et on se trouve dans cette situation dont on ne connaît pas l’issue.
 

Je ne suis pas sûr que l'on puisse convaincre Yahya Jammeh​ 

La délégation de la Cédéao n’a pas réussi à convaincre Jammeh, quelle est la solution maintenant ? 

Je ne suis pas sûr que l’on puisse désormais convaincre Yahya Jammeh de quitter le pouvoir. Cette discussion aurait pu avoir lieu plus tôt. J’étais au sommet de Dakar sur la paix et la sécurité (qui a eu lieu les 5 et 6 décembre, ndlr) et en marge du sommet, on discutait de la situation en Gambie. On disait qu’il était urgent qu’une délégation arrive à Banjul pour convaincre Jammeh et lui promettre tout ce qu’il faut. Si Muhammadu Buhari était venu à temps avec une délégation importante pour dire à Jammeh que rien n’allait lui arriver, cela aurait été efficace. Mais maintenant, c’est bien trop tard pour le faire. Jammeh est entré dans une autre logique et ce n’est pas un homme que l’on peut résonner. 

L’espoir pour Adama Barrow, c’est le résultat de la réunion de la Cédéao qui aura lieu samedi. J’ai entendu le président de la commission dire qu’il pouvait envisager une intervention militaire : comment va-t-elle se mettre en place ? Qui va y participer ? On attend de voir. 
 

Que pensez-vous d’Adama Barrow, vous inspire-t-il confiance ? 

Adama Barrow peut faire une transition. L’intérêt avec lui, c’est qu'il permettra de tourner la page de Jammeh. Je ne pense pas forcément que sa trajectoire personnelle en fasse un président exceptionnel pour la Gambie. C’est un homme d’affaires qui est reconnu dans son domaine. Mais du business à la gestion de l’Etat, la réussite n’est pas garantie. Cependant, s’il s’installe, cela va permettre de reprendre tous les textes législatifs en matière d’élection, de décrisper l’atmosphère. Il va associer sans doute les opposants qui sortent de prison à la gestion du pouvoir, à l’écriture d'une nouvelle page de l'histoire de la Gambie.