Fil d'Ariane
A 84 ans, l'homme est aujourd'hui à la retraite. Au début des années 90, Jean Varret, général de division au sein de l'armée française, prend la tête de la Mission militaire de coopération au Rwanda. La MMC est -à l'époque- l'une des deux institutions françaises en charge de la coopération de défense. C'est à ce titre qu'il rencontre, 4 ans avant le génocide des Tutsi, le chef d'état-major de la gendarmerie. Pierre-Célestin Rwagafilita vient lui demander des armes lourdes pour faire du maintien de l'ordre. Selon Jean Varret, qui s'était déjà exprimé sur le sujet en novembre dernier sur le site Afrikarabia, le militaire rwandais exprime ainsi sa requête : "Je vous demande ces armes, car je vais participer avec l'armée à la liquidation du problème. Le problème, il est très simple : les Tutsi ne sont pas très nombreux, on va les liquider". Le général Varret aurait alors alerté les autorités françaises. Personne, selon lui, ne lira sa note.
Certains militaires à des postes-clés ont été trop loin, parce qu'ils n'ont pas voulu prendre en compte les risques de cette politique de soutien à Habyarimana (...) Je pense que ce lobby militaire a été plus enclin à aider au combat.
Jean Varret, général à la retraite
Dans l'entretien accordé à Radio France et Mediapart, Jean Varret relate un autre épisode. En 1993, selon lui, l'armée française aurait outrepassé son mandat en s'engageant dans le conflit entre le pouvoir rwandais hutu et la rébellion tutsi FPR (emmenée par l'actuel président rwandais Paul Kagame).
Nous sommes en février. Le FPR lance plusieurs offensives et s'approche de Kigali. Les Français renforcent leur dispositif, puis envoient un nouveau détachement du 1er RPIMa (le régiment parachutiste) épauler l'armée rwandaise. L'avancée des rebelles sera stoppée. Une ligne rouge franchie qui provoque la colère du général Varret. Quelques semaines plus tard, il sera évincé de son poste à la MMC puis claquera la porte de l'armée.
La France s'est-elle rendu coupable d'aveuglement alors que se profilait le génocide de 1994 ? Non, estime l'ancien chef d'état-major de l'armée, l'amiral Jacques Lanxade. "Je pense qu'on a été tout le temps conscient de ce qui pouvait se passer, explique-t-il aux journalistes de Radio France. C'est pour cela qu'on était là. Jean Varret a eu raison de dire ce qu'il a dit, mais on ne peut pas en tirer la conclusion que nous avons été imprudents." Pour l'amiral Lanxade, à l'époque proche du président François Mitterrand, la stratégie était la bonne : "Qu'aurions-nous dû faire ? Partir ? Mais alors c'était la guerre civile tout de suite."
A quelques semaines des commémorations du génocide des Tutsi, ce témoignage vient, un peu plus, jeter le trouble sur le rôle joué par la France au Rwanda, avant et pendant.
Le soutien de Paris au régime hutu du président Habyarimana suscite toujours énormément de débats et chaque signe de réchauffement entre Paris et Kigali, telle l'invitation adressée par Paul Kagame à son homologue Emmanuel Macron pour les cérémonies du 25è anniversaire, en devient un événement.
Voilà un quart de siècle que la France et le Rwanda entretiennent des relations glaciales, voire pas de relations du tout. Une tentative de rapprochement sous la présidence de Nicolas Sarkozy n'avait débouché sur rien. Emmanuel Macron a réamorcé cette volonté de réconciliation en soutenant -avec succès- la candidate rwandaise à l'Organisation internationale de la de la francophonie, Louise Mushikiwabo. Il n'empêche. Les responsables politiques en poste dans les années 90 (de droite comme de gauche, puisque pendant le génocide le président socialiste François Mitterrand cohabitait avec le gouvernement de droite d'Edouard Balladur), n'ont jamais semblé envisager la moindre remise en cause.
Dernière illustration, en février 2019, Radio France et Mediapart apportent de nouvelles révélations sur les responsabilités dans l'assassinat du président Juvenal Habyarimana en avril 1994, considéré comme le déclencheur du génocide des Tutsis.
Le soir-même, sur le plateau de TV5MONDE, l'ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, secrétaire général de l'Élysée au moment du génocide, venait balayer ces nouvelles informations et livrer sa version des faits.