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François Graner, de l'association "Survie", invité de TV5Monde
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Génocide des Tutsis au Rwanda : Macron absent des cérémonies

Les commémorations du génocide des Tutsis se dérouleront à Kigali dimanche 7 avril en présence d'une trentaine de chefs d'Etats ou de gouvernements, mais sans Emmanuel Macron. Officiellement convié par Paul Kagame aux cérémonies, le président français a avancé des questions "d'agenda" pour décliner l'invitation. Après plusieurs mois de rapprochement diplomatique entre le Rwanda et la France, faut-il y voir un recul ? 

Il aurait pu être le premier président français à assister aux commémorations du génocide des Tutsis. Emmanuel Macron a choisi de décliner l'invitation. Malgré un réchauffement sur le plan diplomatique ces derniers mois, les polémiques entre les deux pays sont loin d'être terminées. Depuis 25 ans, la France est régulièrement accusée d'avoir joué un rôle auprès des génocidaires. 

 Le 6 avril 1994, l'avion présidentiel de Juvénal Habyarimana est abattu alors qu'il approche de l'aéroport de Kigali. Cet épisode marque le début du génocide des Tutsis : plus de 800.000 personnes seront massacrées par les Hutus en seulement 100 jours.

De nombreuses zones d'ombre planent, notamment sur l'attentat du 6 avril. La thèse imputant aux rebelles Tutsis la responsabilité de l'assassinat du président pour prendre le pouvoir est toujours soutenue par une partie des responsables politiques français de l'époque. Une thèse, contredite par une note du service des renseignements extérieurs français, révélée par des journalistes de Radio France et Mediapart en mars dernier. 

Le président Emmanuel Macron a oeuvré ces derniers mois pour le rapprochement diplomatique avec son homologue rwandais. En mai 2018, le président Paul Kagamé a été reçu à l'Elysée et peu après la France a décide de soutenir la candidature de Louise Mishikiwago à la tête de l'Organisation Internationale de la Francophonie. Des signaux forts du travail de réconciliation entre les deux pays. Dans ce contexte, l'absence du chef d'Etat français ou de l'un de ses ministres pose donc question. C'est le député Hervé Berville qui a été chargé de représenter la France lors des cérémonies à Kigali. 

Un député pour représenter l'Etat français à Kigali


Certes, c'est la première fois qu'un représentant du gouvernement français va assister aux commémorations au Rwanda.  Sur le plateau de TV5Monde Hervé Berville confirme l'absence du président pour "des questions d'agenda" et ajoute : "la France, dans ce moment de douleur, de recueillement (...) est aux côtés du peuple rwandais pour se souvenir et rendre hommage."

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Le président Emmanuel Macron ne sera pas non plus à la commémoration parisienne du génocide des Tutsis. Selon une information de Jeune Afrique, c'est Bruno Le Maire, actuel ministre de l'Economie et des Finances, qui représentera l'exécutif français dans la capitale.

Certains s'insurgent de l'absence du président Français à Kigali, à l'instar de l'ancien ministre des Affaires étrangères, dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche. "Les rapports du président Macron avec l'Afrique s'annonçaient bien, les visites prenaient un tour chaleureux, les débats devenaient plus sincères, souligne-t-il. Avec la décision d'Emmanuel Macron de ne pas aller à Kigali, "il décevra beaucoup de Français attachés à connaître la vérité sur le rôle de [leur] pays lors du dernier génocide du XXe siècle".

Ne pas envenimer les relations avec l'armée


Pour le journaliste Antoine Glaser, spécialiste de l'Afrique, cité par l'AFP, le président français aurait été confronté à une question délicate sur le plan de la politique intérieure française s'il s'était rendu à Kigali. Emmanuel Macron pouvait "difficilement aller au 25e anniversaire sans présenter les excuses de la France". Ces excuses auraient "pris à revers toute une partie de l'armée française" ajoute-t-il. 

Hypothèse confirmée par le journaliste David Servenay sur le site du Monde "Emmanuel Macron a aussi reçu des messages sans ambiguïtés de la part des militaires" , indique-t-il , "l'invitant à prendre leur défense face aux accusations dont ils font l'objet. Il n'a pas les meilleures relations avec les haut-gradés de l'armée, et sans doute ne tient-il pas à envenimer ces relations." 

L'épineuse question des archives

Le président français a pourtant tenté un geste ce vendredi 5 avril. Faisant suite à une promesse qu'il avait formulée en mai 2018 lors de la visite du président Paul Kagame, il a officiellement créé une commission, chargée d'enquêter sur les archives. Et annoncé un renforcement des moyens judiciaires pour poursuivre les génocidaires présumés en France.

"Cette commission, qui rassemblera huit chercheurs et historiens, sous l'égide du professeur Vincent Duclert, aura pour mission de consulter l'ensemble des fonds d'archives français relatifs au génocide, sur la période 1990 - 1994 afin d'analyser le rôle et l'engagement de la France durant cette période et de contribuer à une meilleure compréhension et connaissance du génocide des Tutsis", selon un communiqué du palais de l'Elysée.

Mais avant même d'être officiellement annoncée, la composition de cette commission soulevait déjà des questions. Une pétition a même été lancée début avril par l'historien Christian Ingrao. Aucun des chercheurs de la commission n'est spécialiste du Rwanda et deux connaisseurs du pays ont été écartés : Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas. Cette dernière s'est exprimée dans le journal Le Monde : "A ce stade et si les exclusives sont maintenues, on peut avoir des doutes sur l'indépendance d'une commission dont la création repose sur un veto opposé à deux chercheurs", explique-t-elle. Cette spécialiste du Rwanda compte cependant sur les recherches effectuées sur place, car il est impossible selon elle de "prétendre écrire une histoire de l'engagement français au Rwanda du point de vue exclusivement français." 

Pour les experts qui travaillent sur ce sujet, une autre question se pose : les chercheurs de la commission auront-ils accès aux fameuses "archives Mitterrand"? Impossible de les consulter sans l'autorisation de leur mandataire, Dominique Bertinotti, accusée par de nombreux spécialistes de la question d'en bloquer l'accès. Certains craignent même que des documents n'aient été expurgés, voire détruits. Pour François Graner, de l'association "Survie", invité sur le plateau de TV5MONDE : "le plus inquiétant n'est pas la composition de la commission, mais le mandat qui lui est donné. Elle est censée parler du rôle de la France, mais l'essentiel du communiqué de l'Elysée parle du génocide des Tutsis, comme si c'était le sujet d'études!" 

Le rapport doit être rendu d'ici deux années, avec un premier bilan publié dans un an. Une manière pour certains experts, de "gagner du temps". François Graner confesse même "avoir peur de devoir patienter 25 ans de plus". Le travail de recherche et de réconciliation pourrait être encore long et périlleux.