L’armateur du Monjasa Reformer raconte. L’attaque est intervenue dans la nuit du samedi 25 mars dernier (l’incident a été signélé à 22h 39 GMT), à 138 milles nautiques à l’ouest du port de Pointe-Noire, dans les eaux internationales. Les pirates sont montés à bord, et la totalité de l’équipage s’est mis en sécurité dans la « citadelle » du navire (refuge blindé).
D’après les autorités congolaises, trois hommes ont attaqué le bateau, alors qu’il se trouvait dans le secteur pour approvisionner des navires en carburant. Pendant plusieurs jours, le contact est perdu avec les seize marins de l’équipage de ce ravitailleur maritime, long de 134 mètres, et d’une capacité de 13 700 tonnes.
Ce n’est que ce jeudi 30 mars, par un communiqué du préfet maritime de l’Atlantique (représentant de l’Etat français en mer), que l’on a appris que le Monjasa Reformer avait été localisé par un patrouilleur de haute mer de la Marine nationale française, qui a immédiatement porté assistance à son équipage.
Depuis 1990, un ou deux navires de guerre français sont déployés dans le golfe de Guinée de manière presque permanente, dans le cadre de l’opération Corymbe. C’est ainsi que le patrouilleur de haute mer (PHM) « Premier L’Her » de la Marine française, a effectué des recherches du Monjasa Reformer dans le nord-est du golfe de Guinée, avec l’appui du Maritime Rescue Coordination Center de Moronvia, au Liberia, ainsi que les marines de la région et le Maritime Domain Awareness for Trade Gulf of Guinea (MDAT-GoG).
L’attaque du Monjasa Reformer intervient après plusieurs mois d’accalmie dans le golfe de Guinée.
Dans son bilan 2022, le MICA Center souligne en effet dès l’introduction qu’à travers le monde, « la baisse de la piraterie et du brigandage maritimes amorcée en 2021 s’est poursuivie cette année. »
Et selon ce rapport, aucune région n’échappe à cette décrue. « Bien que le golfe de Guinée soit toujours perçu comme l’une des zones les plus dangereuses au monde, peut-on lire dans ce bilan 2022 du MICA Center, en raison notamment du mode d’action des pirates, jusqu’à mi-décembre la région n’a vu qu’un très faible nombre d’incidents de ce type. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette baisse, parmi lesquels l’implication de tous les acteurs concernés privés et étatiques, régionaux et extra régionaux. »
Comme le souligne Hugues Eudeline, spécialiste en sûreté et sécurité maritime, dans un rapport publié en 2012 par l’IFRI (Institut français des relations internationales), la piraterie remonte à la haute Antiquité.
Revenue sous le feu des projecteurs avec la mondialisation, elle reste surtout présente aujourd’hui dans des zones comme le golfe de Guinée, où elle cible notamment les nombreux intérêts pétroliers qui s’y trouvent.
Phénomène complexe, la piraterie maritime présente aussi des origines très diverses. « Dans le golfe de Guinée, écrit Hugues Eudeline dans son rapport daté de 2012, la problématique de la répartition des revenus des hydrocarbures a donné naissance à des revendications politiques spécifiques à l’origine d’un véritable « pétroterrorisme » maritime pratiqué par le MEND [Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger, qui lutte contre l’exploitation et l’oppression des peuples du delta du Niger, au Nigeria, NLDR], qu’il est difficile de distinguer du crime ordinaire. »
Le golfe de Guinée s’étend sur 5 700 kilomètres, depuis le sud du Sénégal jusqu’aux côtes de l’Angola. Outre le Nigeria, il comprend les pays suivants : Liberia, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Cameroun, Guinée équatoriale, Sao Tomé-et-Principe, Gabon, Congo Brazzaville, Angola et RDC.
Pour comprendre le développement de la piraterie dans cette zone, il faut quelque peu s’attarder sur le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique (environ 213 millions d’habitants), première puissance économique africaine et deuxième producteur de pétrole du continent.
Cependant, le Nigeria affiche un taux de pauvreté de 42,6%, selon les chiffres 2022 de la Banque mondiale. Depuis plusieurs années déjà, ce niveau élevé de pauvreté, allié à l’insécurité due notamment au terrorisme de Boko Haram, a favorisé le développement de la piraterie. C’est dans ce contexte qu’ont émergé des groupes armés dont le plus important est le MEND, le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND).
La piraterie maritime s’est délocalisée du golfe d’Aden vers le golfe de Guinée et l’océan indien
Viviane du Castel, politologue
Fondé en 2006, le MEND procède à des actes de sabotage et de piraterie, car il exige une meilleure répartition des bénéfices générés par l’exploitation des hydrocarbures de la région. C’est en 2008 que le mouvement pose son action la plus spectaculaire, en attaquant le principal champ pétrolier de la multinationales américaine Shell, située en pleine mer. « L’efficacité de ce « pétroterrorisme » a été telle que les violences dans le delta du Niger, précise Hugues Eudeline dans son rapport, région clé pour le Nigeria qui en tire près de 80% de ses recettes fiscales, ont fait chuter de moitié en juillet 2009 la production quotidienne de brut nigérian par rapport à ce qu’elle était en 2008 (1,3 millions de barils contre 2,3 millions de barils). »
Un an plus tard, le président nigérian d’alors, Goodluck Jonathan, décrète une amnistie pour les militants qui se rendent en échange d’une formation et d’un emploi. Cette initiative profite à près de 30 000 membres du MEND, et permet de réduire le nombre d’attaques pirates, sans toutefois stopper le phénomène de création de groupes armés.
Dans les années 2010, la piraterie diminue significativement dans le golfe d’Aden, niché entre le continent africain et la péninsule arabique, pour s’accroître notamment dans le golfe de Guinée. Le phénomène est d’autant plus important à l’époque que le trafic maritime connaît parallèlement une croissance sans précédent. Dans un article intitulé « Piraterie maritime : golfe de Guinée et océan Indien », publié en 2015 dans la revue Défense nationale, la politologue française Viviane du Castel précise : « La piraterie maritime s’est délocalisée du golfe d’Aden vers le golfe de Guinée et l’océan indien, en raison de la conjonction de quatre phénomènes distincts : l’efficacité des déploiements navals et l’engagement de marines nationales, la capacité judiciaire dissuasive d’Atalante [mission militaire et diplomatique initiée par la France et mise en œuvre par l'Union européenne, afin de lutter contre l'insécurité dans le golfe d'Aden et l'océan Indien, NDLR], la mise en application des règles de bonne conduite de l’industrie maritime, le contrôle naval volontaire. »
Si la piraterie reflue dans le golfe d’Aden et en Somalie, c’est d’abord en raison de la forte présence militaire dans cette zone (missions militaires européennes et de l’OTAN, ou encore les marines nationales des pays de la région).
De la même manière, au coeur du golfe de Guinée, les autorités nigérianes vont tout mettre en œuvre pour lutter contre la piraterie et autres actes de brigandages. Après des débuts plutôt timides en 2012, les forces de défense et de sécurité locales parviennent au fil des ans à mieux sécuriser et défendre leurs eaux. Le dernier rapport du MICA Center indique par exemple que pour le Nigeria, les actes de brigandage sont passés de 59 en 2017, à seulement 2 en 2022. Par ailleurs, aucun acte de piraterie n’a été perpétré en 2022 dans la ZEE nigériane (zone économique exclusive). Face à la nécessité de sécuriser les autoroutes maritimes du golfe de Guinée, le sommet de l’Elysée de 2013 a permis la création d’un centre interrégional à Yaoundé, et de deux centres régionaux de coordination, l’un en Afrique de l’ouest et l’autre en Afrique centrale.
A tout ceci s’ajoute la coopération militaire internationale dans la région. Outre la mission Corymbe, il existe de nombreuses coopérations bilatérales avec les pays du golfe de Guinée. Ce sont tous ces efforts qui contribuent à la nette diminution de la piraterie dans le golfe de Guinée, comme le relève le MICA Center dans son rapport 2022.
« Effectivement, souligne Olivier d'Auzon, expert juriste en matière de droit des transports et de la distribution, les rapports MICA font état d’une baisse significative de la piraterie au cours des deux ou trois dernières années. Maintenant, on considère que la piraterie ce n’est plus le sujet. Néanmoins comme vous avez pu le voir, il y a un navire qui a été appréhendé il y a quelques jours au large de Pointe-Noire, au Congo Brazzaville. Ce qui prouve qu’il y a toujours des cas de piraterie en haute mer, où les pirates sont attirés par les sites d’exploitation d’hydrocarbures et de gaz. Et je crois qu’il ne faut surtout pas baisser la garde dans la lutte contre la piraterie maritime. »
Néanmoins, le MICA Center précise dans son dernier rapport qu'il convient de relativiser la tendance à la baisse de la piraterie dans le golfe de Guinée. Car en effet, en raison de son impact médiatique, la piraterie éclipse tous les autres maux qui minent cette région. La pollution, le trafic de drogue, l’immigration clandestine et la pêche INN (illégale, non déclarée et non réglementée) constituent de véritables fléaux. « Ainsi, peut-on lire dans le rapport 2022 du MICA Center, la pêche INN demeure le facteur prédominant d’instabilité économique dans le golfe de Guinée car elle maintient une forte pression sur les stocks halieutiques au détriment des populations locales. »