Le chef de l'Etat français s'est rendu ce jeudi 13 septembre 2018 au domicile de la veuve de Maurice Audin.
Dans sa déclaration, le président français "reconnaît, au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l'avaient arrêté à son domicile" le 11 juin 1957.
"Il reconnaît aussi que si sa mort est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué", continue le texte, alors que la trace du mathématicien et militant communiste, suspecté d'avoir aidé le FLN, était perdue 10 jours après son arrestation.
Devant la veuve, Emmanuel Macron a également confirmé l'ouverture des archives sur le sujet des disparus civils et militaires, français et algériens.
La disparition de Maurice Audin est l'une des plus mystérieuses de la guerre d'Algérie. Le 11 juin 1957, cet assistant de mathématiques à la faculté d'Alger et membre du Parti communiste algérien, suspecté d'aider le FLN, était arrêté, probablement par des parachutistes du général Jacques Massu, pendant la bataille d'Alger. Sa trace était perdue dix jours plus tard.
Aucune explication officielle ne sera donnée sur la disparition de ce père de trois enfants, si ce n'est "son évasion au cours d'un transfert".
"Le président s’attachera à faire de ce moment un moment non pas d’accusation, mais un moment de vérité, avait expliqué auparavant le député La République En Marche Cédric Villani. Un moment où on regarde l’histoire en face, et où on prend bien garde à ne pas jeter le blâme sur tout le monde sans distinction, mais on invite tout le monde à parler et panser les plaies", a ajouté Cédric Villani, lauréat 2010 de la médaille Fields et impliqué de longue date pour obtenir cette reconnaissance.
Sébastien Jumel, député PCF, s'est battu longtemps aussi pour que le président reconnaisse la mort de Maurice Audin comme "un crime d'Etat". "Le président Emmanuel Macron ouvre les archives, les témoignages aux historiens pour avoir le socle d’une lecture apaisée de l’Histoire", témoigne-t-il, ce jeudi 13 septembre sur TV5MONDE.
"La reconnaissance imminente par le président de la République de l'assassinat, sous la torture de l'armée française, du mathématicien communiste Maurice Audin est une victoire historique de la vérité et de la justice", avait aussi salué dans un tweet le secrétaire national du PCF Pierre Laurent, se réjouissant qu'un "mensonge d'État qui durait depuis 61 ans tombe".
1/2 La reconnaissance imminente par le PR de l'assassinat, sous la torture de l'armée francaise, du mathématicien communiste #MauriceAudin est une victoire historique de la vérité et de la justice.
— Pierre Laurent (@plaurent_pcf) September 13, 2018
Depuis l'Algérie, notre journaliste Slimane Zeghidour nous livre les réactions dans le pays :
Cette reconnaissance officielle de la responsabilité de l'Etat français dans la mort de Maurice Audin devrait désormais nourrir bien des espoirs d'autres familles dans la même situation.
C'est le cas de Sylvie Braibant dont le père était le cousin germain d’Henri Curiel, un juif communiste d’Egypte, anti-colonialiste. Expulsé d’Egypte, il prend la tête des réseaux d’aide des Français aux militants algériens indépendantistes en arrivant en France. Il a continué ses actions clandestines au service des mouvements de libération et antifascistes en Afrique ou en Amérique latine.
Dans les années 1970, sous le mandat présidentiel de Valéry Giscard d’Estaing , il y a eu un grand nombre d’assassinats politiques en France. L’un des plus célèbres, resté impuni, est celui d’Henri Curiel le 4 mai 1978, revendiqué à l’époque par le commando Delta, anciens mercenaires de l’Algérie française.
Sylvie Braibant qui est aussi rédactrice en chef à TV5MONDE avait publié une tribune sur Mediapart pour expliquer l’histoire de sa famille.
Cette reconnaissance pendant la Guerre d’Algérie, pour une affaire plus ancienne que celle d’Henri Curiel, nous donne un espoir fou.
Sylvie Braibant
TV5MONDE : Que peut changer pour vous cette reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la disparition de Maurice Audin ?
Sylvie Braibant : Depuis 40 ans, notre famille se bat pour que l’Etat français reconnaisse ce qu’il a fait et que la justice soit rendue. Cette reconnaissance pendant la Guerre d’Algérie, pour une affaire plus ancienne que celle d’Henri Curiel, nous donne un espoir fou. On se dit que cela pourra arriver pour nous aussi alors que nous pensions que tout était verrouillé, qu’aucun secret d’Etat ne serait levé. Nous avons un avocat, Me William Bourdon, l’instruction a été suspendue puis reprise. Nous espérons que cela sera une porte qui va s’ouvrir aussi pour les autres.
Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron parle de l’Algérie. Alors qu'il n'était encore que candidat, il avait déjà parlé des crimes de guerre, crimes contre l’humanité dans le cadre de la Guerre d’Algérie. Pour nous ,c’est un signe que peut-être d’autres affaires - et il y en a une multitude - soient rouvertes et arrivent à leur terme.
Qu’attendez-vous ?
Nous attendons que l’instruction se poursuive jusqu'à la vérité. On espère que cela permettra d’enlever ce socle posé sur toutes ces affaires. On espère qu’il y aura une ouverture avec une nouvelle génération à la tête de l’Etat français dont Emmanuel Macron est un représentant et qui n’ont plus ce même rapport au colonialisme. Il est en train de mettre un sacré coup au vieux monde colonial…
Pour nous, c’est encore une histoire brûlante. Il y a cet espoir que le récit historique des relations de la France, puissance coloniale, avec les anciens pays colonisés puissent changer.
A retrouver sur ce sujet sur TV5MONDEINFO :
> Henri Curiel : histoire d'une figure de l'anticolonialisme assassinée