Fil d'Ariane
"Après la guerre d’Algérie, la France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes, leurs enfants". Emmanuel Macron, près de soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, demande "pardon au nom de la France" à ces anciens supplétifs de l'armée française et leur famille. Cette communauté, forte de plusieurs centaines de milliers de personnes, rejetée par Alger, a eu toutes les difficultés à s'intégrer en France.
Fatima Besnaci-Lancou avait 8 ans en 1962. Elle se souvient de son arrivée dans le camp de Rivesaltes dans le sud-ouest de la France. "C'était terrible, surtout lors de l'hiver 1962-1963. C'était une véritable épreuve. Les gens étaient logés dans des tentes sans chauffage". Les conditions de vie sont terribles. 149 personnes perdent la vie durant ces quelques mois dans le camp. La mortalité infantile est effrayante. Trois quart des personnes décédées sont des enfants, souvent âgés de moins de deux ans, selon le décompte de l'historien Abderahmen Moumen, spécialiste du camp de Rivesaltes .
Il faudra attendre le printemps 1963 pour que des baraques en dur soient aménagées. "Les familles étaient placées dans des cellules. Ce sentiment d'avoir été enfermées perdure dans de nombreuses familles", témoigne Fatima Besnaci-Lancou, aujourd'hui historienne et membre du conseil scientifique du mémorial du camp de Rivesaltes. Entre 1962 et 1964, 22.000 personnes passeront par ce camp. En tous 40.000 personnes seront internées durant cette période sur l'ensemble du pays.
Ces hommes, ces femmes, ces enfants qui connaîtront le froid et la faim ont dû fuir l'Algérie au lendemain de l'indépendance du pays en juillet 1962. Ces anciens militaires accompagnés de leur familles sont des harkis. Ces musulmans ont été recrutés comme supplétifs de l'armée française durant la guerre d'indépendance algérienne entre 1954 et 1962.
L'armée française traque, chasse et cherche alors dans le maquis algérien les soldats de l'ALN, la branche armée du FLN. C'est une guerre de renseignement. Il faut recruter des hommes connaissant le terrain et la langue. L'armée française va utiliser localement pour ses opérations jusqu'à 200.000 de ces Algériens. Certains de ces hommes rejoignent des unités d'élite et de combats de l'armée française, notamment les "commandos de chasse".
C'était terrible, surtout lors de l'hiver 1962-1963. C'était une véritable épreuve. Les familles étaient logées dans des tentes sans chauffage
L'écrivaine Fatima Besnaci-Lancou sur le camp de Rivesaltes
Ces unités mobiles pratiquent tortures et exactions sur les populations civiles algériennes. L'armée française lors du "Plan Challe" (du nom du général Maurice Challe) entre 1959 et 1961 éradique dans le maquis algérien la majorité des forces du FLN avec le concours des harkis. Le combat politique est cependant perdu pour les partisans de l'Algérie française. Le général de Gaulle, président de la toute jeune Cinquième République, reconnaît lors des accords d'Evian du 18 mars 1962 l'indépendance de l'Algérie.
La France accepte le rapatriement des Français d'Algérie, les "pieds-noirs". Le pouvoir gaulliste, par contre, ne veut pas entendre parler d'une évacuation des supplétifs de l'armée française. Les harkis doivent rester dans la jeune Algérie indépendante. Ils sont donc désarmés par celle qu'ils ont servi, l'armée française. Ils sont ainsi livrés à leur sort. Dès avril 1962, 22 membres harkis du commando de chasse du lieutenant Georges sont massacrés. Considérés comme des traîtres par le nouveau régime, les harkis sont victimes avec leurs familles de sanglantes représailles.
Pierre Messmer, à l'époque ministre des Armées du général de Gaulle, déclarera en 2003 que "la position de la France était la seule possible", "inévitable et légitime".
Combien de harkis meurent sous les balles des forces du FLN ? Les estimations varient. Le chiffre de 150.000 victimes est avancé. L'historien français Benjamin Stora parle lui de 10.000 à 25.000 morts. Des associations de harkis, en 2001, portent plainte pour crime contre l'humanité.
La position de la France était la seule possible, inévitable et légitime !Pierre Messmer, en 2003, ministre des Armées en 1962 sur le refus d'évacuer les harkis
Plus de 40.000 harkis, accompagnés souvent de leurs femmes et enfants, sont évacués en France par l'armée. Tous les officiers français n'ont pas suivi les directives de leur état major et de leur ministre, Pierre Mesmer. 40.000 autres y parviennent par des filières clandestines. Au total, entre 80.000 et 90.000 personnes se réfugient en France entre 1962 et 1965.
Les harkis arrivent donc en France, regroupés dans des camps d'internement militaires comme celui de Rivesaltes dans les Pyrénnées-Orientales ou de Bias dans le Lot-et-Garonne. Les enfants, dans ces structures, ne peuvent pas se rendre à l'école de la République. En 1975, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, ces camps ferment définitivement. Les harkis et leurs familles, dont certains des enfants sont nés en France, sont alors envoyés dans les hameaux de forestage. Ces structures sont mis en place pour loger, former et employer les familles d'anciens harkis. Ceux-ci travaillent dans les fôrets domaniales. Chaque hameau accueillait un maximum de 25 familles, logées dans des préfabriqués en ciment.
Les conditions de vie restent difficiles. Les hameaux sont généralement construits dans des sites isolés de la population du village. Cet isolement du reste du corps social ne favorise pas l'intégration des harkis. Ces derniers sont assimilés en France à des immigrés. De l'autre côté de la Mediterranée, leur destin est rejeté par le pouvoir algérien.
Depuis 1974, plusieurs enfants de harkis ont mené des grèves de la faim et marches de protestation pour obtenir la reconnaissance de leur drame et une amélioration de leur sort. Les harkis et leurs descendants forment aujourd'hui une communauté de plusieurs centaines de milliers de personnes en France.
La reconnaissance des souffrances des harkis, à force de mobilisation, va s'inscrire dans le débat public. Elle va progressivement germer dans la tête des responsables politiques français. Jacques Chirac, lieutenant de l'armée française en Algérie lors de la guerre d'indépendance, instaure en août 2001 la première journée d'hommage national aux harkis, fixée au 25 septembre.
Ce 25 septembre 2001 le président Jacques Chirac déclare que "les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte de la barbarie. Ils doivent être reconnus".
Le 23 février 2005, une loi prévoit une allocation de reconnaissance pour "les harkis, leurs orphelins et les rapatriés d'origine européenne". Elle ne dépasse pas les 400 euros par mois.
Le président François Hollande pour sa part reconnaît le 25 septembre 2016 les "responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d'accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France".
En 2018, un "plan harkis" débloque 40 millions d'euros sur quatre ans pour revaloriser notamment les pensions des anciens combattants et aider leurs descendants dans la précarité. Les représentants harkis jugent alors ce montant très insuffisant.
La même année, le Conseil d'Etat condamne pour la première fois l'Etat à indemniser un fils de harki ayant subi des "séquelles" liées aux conditions de vie "indignes" dans les camps où il a vécu en France.
Près de soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, Emmanuel Macron a donc "demandé pardon" aux harkis au nom de la France. Le président de la République française vient d'annoncer un projet de loi de "reconnaissance et de réparation" à l'égard de ces Algériens ayant combattu aux côtés de l'armée française.
Alger fera-t-elle un geste pour sa part envers les harkis ? Dans son rapport sur les questions mémorielles entre l'Algérie et la France, l'historien français Benjamin Stora demandait aux Algériens de "faciliter le déplacement des Harkis et de leurs enfants". En 2000, le président algérien de l'époque, Abdelaziz Bouteflika, avait qualifié les harkis de "collaborateurs". Le président français lui-même l'a signalé dans son discours de demande de pardon : "Des mémoires dans ce conflit sont irréconciliables".
Lire : Guerre d'Algérie : la demande de pardon de la France aux Harkis