Fil d'Ariane
La justice et la police guinéennes ont lancé une vaste opération d'arrestations et d'interrogatoires parmi les opposants au chef de l'Etat Alpha Condé et ceux qui auraient pris part selon elles aux violences ayant entouré la récente présidentielle.
La justice invoque une multitude de faits présumés, des simples menaces à la participation à des assassinats. L'opposition dénonce le travail d'une justice aux ordres du président qui a dit samedi, une fois sa victoire proclamée, que c'en était fini de la "pagaille".
Rien qu'à Conakry et dans sa banlieue, les juges ont écroué, entendu ou ouvert un procès ces derniers jours contre 137 personnes, a indiqué mardi soir Sydy Souleymane Ndiaye, procureur de Dixinn, dans la périphérie de la capitale où se sont produites de nombreuses violences.
Ces 137 personnes mêlent des individus suspects de "participation délictueuse (à un) attroupement" et d'autres de détention et d'usage d'armes ou d'association de malfaiteurs. Seize autres encore ont été écroués pour leur participation présumée à l'attaque d'un convoi ferroviaire de marchandise, dans laquelle quatre agents de sécurité ont été assassinés à la machette le 23 octobre, à un moment où la banlieue de Conakry était agitée par les troubles post-électoraux, a dit le magistrat.
Les enquêteurs recherchent à présent "activement certaines personnes" qui ont "proféré des menaces de nature à troubler la sécurité et l’ordre publics", a-t-il ajouté.
La plupart sont des cadres de l'Union des forces démocratiques (UFDG), le parti dirigé par le principal challenger de M. Condé à la présidentielle, Cellou Dalein Diallo.
Mercredi matin, des policiers "menaçants" sont arrivés à bord d'une dizaine de pick-up au domicile du vice-président de l'UFDG, Ibrahima Chérif Bah, et l'ont emmené ainsi que son frère et son neveu, a dit à l'AFP son épouse Mamouna Bah.
Sekou Koudouno, un des responsables d'un collectif qui a mené pendant des mois la contestation anti-Condé, a rapporté sur les réseaux sociaux que les enquêteurs s'étaient présentés chez lui mais qu'il ne s'y trouvait pas.
Le président de l'UFDG a dénoncé sur Facebook une opération destinée à faire passer
le "coup d'Etat électoral" auquel s'est livré M. Condé selon lui, et à "décapiter" son parti.
"Alpha Condé ordonne à son bras judiciaire de lancer la chasse aux opposants à son troisième mandat illégal et illégitime", a écrit le collectif de M. Koudouno.
La Cour constitutionnelle a définitivement proclamé samedi M. Condé, 82 ans, vainqueur dès le premier tour, avec 59,5% des suffrages, contre 33,5% pour M. Diallo. Ce dernier assure que c'est lui qui a gagné et que les résultats sont truqués.
La candidature de M. Condé à un troisième mandat a provoqué des mois de manifestations durement réprimées et de violences qui ont fait des dizaines de morts civils depuis octobre 2019 et dans les jours suivant l'élection.
Sa victoire entérinée par la Cour constitutionnelle, M. Condé avait proclamé samedi que la "pagaille" était finie et qu'on couperait la "queue" de quiconque la montrerait pour causer du désordre.
Au moins 46 personnes ont été tuées les jours suivant la présidentielle, dit l'opposition, qui accuse les forces de sécurité.
Les autorités évoquent un nombre de morts moins élevé. Elles refusent que ces morts soient globalement imputées aux forces de sécurité et invoquent la responsabilité des leaders d'opposition qu'elles accusent d'appeler à la violence.
Les défenseurs des droits humains fustigent régulièrement l'usage excessif fait de la force par les services de sécurité guinéens et l'impunité dont ils jouissent. L'opposition a de nouveau mis en parallèle les arrestations en cours et l'inaction observée selon elle contre les policiers et les gendarmes.
Les Etats-Unis, la France et l'Union européenne ont émis des doutes sur la crédibilité du résultat de la présidentielle. La communauté des Etats ouest-africains, ainsi que la Chine, active en Guinée, ont félicité M. Condé.