Face à la vie chère, la Guinée “se serre la ceinture“
25.09.2013Par Malick Rokhy BA (AFP)
CONAKRY - "Mon mari et aucun de mes cinq enfants diplômés ne travaillent", soupire la Guinéenne Emilia Camara dans sa maison de Conakry, où beaucoup de ses compatriotes déplorent la cherté de la vie, alors que leur sous-sol recèle d'importantes ressources minières. "Je me débrouille chaque jour pour faire manger ma famille en vendant des fruits", explique Mme Camara, mère d'une famille "nombreuse", assise sous une véranda dans le quartier central de Kaloum. Elle regarde cinq de ses petits-enfants vider un bol de riz à la sauce d'huile de palme à côté d'une table bancale, avec des ustensiles usés. "Je suis entretenu par ma mère malgré mes 36 ans et mon diplôme d'ingénieur en froid industriel", confie Ibrahima, un de ses enfants. A Ratoma (banlieue de Conakry), Mohamed Lamine Kaba, étudiant de 22 ans, estime que depuis l'arrivée au pouvoir du président Alpha Condé en 2010, "la situation ne s'est pas améliorée". "Nous sommes déçus mais nous gardons espoir", dit M. Kaba qui va voter pour la coalition formée autour du parti présidentiel, le Rassemblement pour le peuple de Guinée (RPG, théoriquement socialiste), parmi la trentaine de partis ou groupes présentant des listes aux législatives du 28 septembre. Ce scrutin, repoussé plusieurs fois depuis trois ans, sera organisé après la présidentielle âprement disputée en 2010 entre M. Condé et son principal opposant, l'ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo, chef de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). "Nous avons été confrontés à une situation catastrophique avec des caisses de l'Etat vides, un endettement exponentiel et un taux d'inflation de 29%" à l'arrivée au pouvoir de M. Condé, explique à l'AFP le porte-parole du gouvernement, le ministre Albert Damantang Camara. Alpha Barry Sadio, chauffeur dans le privé, dit vivre "difficilement avec un salaire mensuel de 800.000 francs guinéens (GNF, 83 euros)". "Je donne 600.000 GNF (41,6 euros) à ma femme et je lui dis de se débrouiller. Nous ne mangeons presque que du riz. Le kilo de viande coûte cher, 32.000 GNF (3,3 euros)", dit-il. En Guinée, le sac de 50 kg de riz, aliment de base national, coûte 200.000 GNF (62,4 euros) et le salaire minimum garanti est de 400.000 GNF (41,6 euros).
“Le courant, c'est comme des jeux de lumière“
"Le courant en Guinée, c'est comme des jeux de lumière: il part et revient sans cesse", explique Ibrahima. "Notre plus grand défi, c'est l'électricité. Pour l'eau, tout est à refaire", reconnaît M. Camara. Diplômé en banques-finances contraint à gagner sa vie comme chauffeur de taxi, Ousmane Cissé estime que "c'est (devenu) difficile en Guinée" depuis l'arrivée au pouvoir de M. Condé, qui a "serré la ceinture" pour faire face aux engagements internationaux de l’État comme le paiement de la dette. Pour Moussa Donzo, autre transporteur, "Alpha (Condé) dépense l'argent judicieusement". "La gouvernance a changé. Les recettes au lieu d'aller dans les poches de certains soutiennent l'économie", affirme M. Camara. Selon un responsable du patronat, Chérif Mohamed Abdallah, "près de 1.000 commerçants ont été victimes des casses et ont perdu depuis 2007, 80 milliards de GNF (plus de 8,3 millions d'euros)". Il évoque les récurrentes contestations de l'opposition pour une meilleure organisation des législatives. "Quand la sécurité n'est pas au top, l'économie est au ralenti", affirme-t-il. Le ministre Camara met en avant "le taux d'inflation" actuel de "13%", en baisse. "La vie est certes chère en Guinée" mais elle l'aurait été davantage "si nous n'avions pas subventionné le riz et le carburant", dit-il. Pour l'opposant Sidya Touré, "la situation est désastreuse en Guinée". "Alpha Condé a réussi à décourager les investisseurs, par des tracasseries douanières et l'augmentation des droits de douane", dans ce pays doté d'immenses ressources dans le domaine des mines, dit-il. Premier pays exportateur mondial de bauxite, la Guinée possède des gisements de minerai de fer très convoités, mais aussi de l'or, des diamants et du pétrole. Cependant, selon les Nations unies, plus de 50% de ses 11 millions d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté.