Fil d'Ariane
La réélection définitive du président Alpha Condé validée par la Cour Constitutionnelle symbolise l’échec du vaste mouvement de contestation contre un 3e mandat. Mais le pays divisé se trouve dans une impasse politique. Confrontés à une vague d'arrestations, ces opposants jouent désormais leur avenir et leur survie.
Sans surprise, la proclamation de la victoire définitive d’Alpha Condé par la Cour constitutionnelle le 7 novembre n’a pas mis un terme à la contestation de l’élection présidentielle en Guinée. La Cour a validé les résultats donnés par la CENI le 24 octobre, proclamant l’élection d’Alpha Condé au premier tour avec 59% des suffrages contre 33 % pour son rival Cellou Dalein Diallo. Ce dernier a immédiatement rejeté ces « faux résultats ». Dès le lendemain du scrutin du 18 octobre, il avait revendiqué la victoire. Neuf autres candidats sur 12 candidats ont également rejeté les résultats officiels, même si certains comme Ousmane Kaba ont ensuite félicité Alpha Condé. Sur la scène internationale, un message de félicitation est venu de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui juge « l’élection régulière » relayé par celui de l’Union africaine saluant la « maturité du peuple guinéen ». En revanche, la France, l’Union européenne et les Etats-Unis ont fait part de leurs doutes et préoccupations.
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C’est un coup dur pour les forces citoyennes et politiques guinéennes qui depuis plus d’un an se sont mobilisées pour éviter que ne se concrétise un tel scénario : celui d’un troisième mandat du président Alpha Condé. En tête, le Front National pour la Défense de la Constitution, une organisation rassemblant à la fois la société civile et des partis politiques qui a dénoncé le référendum constitutionnel du 22 mars, et l’UFDG de Cellou Dalein Diallo, principal rival d’Alpha Condé à la présidentielle. Mais aujourd’hui, ces forces se retrouvent dans une situation critique face à un régime guinéen qui selon les mots du président réélu, veut mettre fin à la « pagaille ». Dans un communiqué lu à la télévision nationale le 10 novembre, le procureur du tribunal de première instance de Dixinn a délivré un message clair : des arrestations et des poursuites à l’endroit de cadres et dirigeants du FNDC et de l’UFDG. 78 personnes ont déjà été présentées devant le juge. Et d’affirmer que des armes ont été saisies.
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« Nous avons décidé de ne plus nous rendre aux convocations, vu que c’est une chasse aux sorcières. On ne va pas se jeter dans la gueule du loup », explique Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du FNDC. Il avait été arrêté plusieurs jours en octobre 2019 avant d’être relâché : « Tous les membres de la coordination du mouvement mais aussi nos antennes à la base sont l’objet de séquestrations et de menaces », dénonce-t-il. « Leur dernière trouvaille, c’est d’envoyer des armes chez les personnes ciblées». Plus grave, cette coalition affirme que 2 de ses coordinateurs ont été assassinés les 21 et 22 octobre 2020 dans la préfecture de Pita et à Conakry.
Ne pas se jeter dans la gueule du loup, c’est peut-être l’attitude de Sekou Koundounou le responsable des stratégies et planification du FNDC. Absent de chez lui lors de la descente d’éléments de force de l’ordre, il aurait d’autant plus de raisons d’être méfiant que dans une autre affaire il avait porté plainte pour violation de domicile et destruction des biens contre des responsables de la Direction Centrale de la Police Judiciaire, celle là-même qui est en charge de l’instruction de l’enquête. D’ailleurs, dans son communiqué qui a suivi la déclaration du procureur de Dixinn, le FNDC conditionne désormais la coopération de ses membres avec la justice à l’exécution des mandats d’arrêt émis par un juge contre le Commissaire et le Commandant impliqués. En attendant, ceux qui sont recherchés « vivent dans la clandestinité. Nous ne sommes plus dans un Etat de droit », conclut Abdoulaye Oumou Sow.
A l'inverse, plusieurs cadres de l’UFDG se sont eux présentés volontairement devant la direction de la police judiciaire à Conakry. Cités par le procureur, ils sont interrogés pour « avoir proféré des menaces de nature à troubler l’ordre et la sécurité publics ». Ibrahima Cherif Bah, vice-président de l’UFDG, a lui été arrêté chez lui. Il est désormais en détention sous mandat de dépôt. Cellou Dalein Diallo voit dans ces arrestations et interrogatoires une volonté de décapiter son parti. « Nous sommes très inquiets, cela ressemble à des kidnappings, renchérit sa porte-parole et directrice de cabinet Nadia Nahman. Après avoir barricadé temporairement le domicile de Cellou Dalein Diallo, puis occupé le siège de l'UFDG, « ils veulent éliminer le parti de leur adversaire ». L’UFDG va plus loin. Il dénonce au moins 46 morts dans les violences qui ont suivi la présidentielle. Un bilan contesté par les autorités qui parlent de 21 victimes dont des membres des forces de l’ordre.
En Guinée, les tensions et violences remontent à bien avant l'élection présidentielle. Un an après le début des manifestations contre le maintien d’Alpha Condé au pouvoir, le FNDC déplore un bilan de plus de 90 personnes tuées. Pour Abdoulaye Oumou Sow, la situation s’est dégradée après la présidentielle. « Ce qui a changé c’est l’obstination d’Alpha Condé de rester au pouvoir par les armes. Des citoyens sont traqués comme des bandits. Aucune manifestation n’est autorisée, pas de meeting politique. Les gens sont obligés de se retrancher dans la clandestinité ». Fait nouveau, l’annonce faite par les autorités de la réquisition de l’armée. « La rue est extrêmement militarisée, estime Nadia Nahman. Nous sommes dans une sorte de guerre asymétrique, car nous avons le droit de notre côté celui de manifester et celui des urnes, eux ont l’armée, la Banque centrale, toute l’administration territoriale, la Ceni ou encore la Cour constitutionnelle ». Malgré tout, elle ne désespère pas. « C’est une question de temps. Ils ne pourront pas tenir longtemps en militarisant la capitale et une partie du pays. Cela coûte cher financièrement. »
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Reste que ces contestataires du 3e mandat du président Alpha Condé ne présentent plus un front uni. Il s’est fissuré avec la présidentielle « L’UFDG était membre du FNDC, une organisation citoyenne. Mais quand l’UFDG, tout comme le PADES et le FDG, ont décidé d’aller à l’élection présidentielle, ils se sont auto-exclus du mouvement. Nous les avions prévenus que ce serait une nouvelle mascarade », rapporte Abdoulaye Oumou Sow. Le Front National pour la Défense de la Constitution est lui resté fidèle à son nom et à son mot d’ordre de boycott observé lors du double scrutin du 22 mars, couplant les législatives à un référendum constitutionnel. A cette époque, tous s’étaient battus contre la modification de la Constitution craignant que cela ne serve de prétexte pour faire sauter le verrou de limitation à 2 mandats. Selon les résultats officiels, le oui l’emporte à 91% avec un taux de participation de 61%.
« Cela nous a couté 37 sièges et fait basculer dans l’opposition extra-parlementaire. Il y a un manque à gagner important, observe Nadia Nahman. Mais on ne dit pas que c’était une erreur, on assume notre choix et on ne le reproche pas au FNDC ». Du moins pas officiellement. La porte-parole de Cellou Dalein Diallo ne cache pas une certaine critique contre « le mouvement du FNDC qui s’est essouflé ». Elle met plutôt en exergue l’alliance électorale scellée moins d’un mois avant le scrutin entre l’UFDG et l’ANAD (l’Alliance nationale pour l’Alternance et la Démocratie) qui regroupe une quarantaine de formations politiques unies derrière la candidature de Cellou Dalein Diallo.
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La divergence de point de vue est conséquente. L’UFDG dénonce un « coup d’Etat électoral du 18 octobre », le FNDC un « coup d’Etat constitutionnel du 22 mars ». L’UFDG réclame la victoire de Cellou Dalein Diallo à la présidentielle, le FNDC le départ du président Alpha Condé. « L’élection du 18 octobre, c’est un blanchiment de la Constitution, des institutions illégales et légitimes », renchérit Abdoulaye Oumou Sow. Pour sa part, Nadia Nahman se félicite de la campagne présidentielle : « la tournée des candidats dans le pays a été démonstrative ».
Pour atteindre leur objectif, Cellou Dalein Diallo appelle ses partisans à défendre leurs suffrages « par tous les moyens légaux », cela signifie manifester, c’est un droit constitutionnel précise Nadia Nahman. Mais « le sens des responsabilités commandent une trêve. A l’évidence, il fallait surseoir les manifestations ». Les raisons sont multiples. L’appel à une journée ville morte du 9 novembre n’a pas été suivi d’un grand effet. « Les gens ont faim, ils vivent au jour le jour », justifie-t-elle. De plus « quand ils sortent dans la rue, c’est des balles qu’il y a en face ». « Pour nous il s’agit de reculer pour mieux sauter. Il faut nous réorganiser, nous réinventer ».
Même constat pour le responsable de la communication du FNDC Abdoulaye Oumou Sow. « Il est nécessaire de repenser la stratégie. Nous sommes en pleine réorganisation et menons des concertations larges avec les forces vives de la nation, mais aussi la société civile ouest-africaine comme le mouvement Y en a marre au Sénégal ou le Balai citoyen au Burkina Faso ».
Autre axe de travail. « Nous documentons les violences, nous avons déjà porté plainte devant la Cour africaine des Droits de l’Homme, devant la Cour de la Cédéao et nous avons fait des signalements devant la Cour Pénale internationale ». Tout comme le FNDC, l’UFDG se tourne aussi vers la justice internationale. Mais cela prend du temps.
La priorité du moment, c’est de faire face aux arrestations. « Le pouvoir veut nous occuper à notre propre survie », résume la directrice de cabinet de Cellou Dalein Diallo. Cette même image de gravité est reprise par Abdoulaye Oumou pour le FNDC qui n’exclut pas le risque de disparition de certains de ses membres. « Des gens sont tombés, d’autres vont tomber, c’est une lutte de longue haleine qui se poursuit, c’est un combat du peuple guinéen ».