Fil d'Ariane
Après la crise d’Alger de mai 1958 et le retour au pouvoir du général de Gaulle, un référendum constitutionnel est organisé en France métropolitaine et dans les colonies françaises d’Afrique subsaharienne, auxquelles est soumis un projet de communauté franco-africaine. Il s’agit alors, pour l’essentiel, d’un processus de « décolonisation» destiné à réunir les futurs pays indépendants dans une large communauté avec la Métropole. Sous la houlette d’un jeune syndicaliste aussi charismatique qu’ambitieux, Ahmed Sékou Touré, la Guinée est le seul territoire du vaste empire colonial français d’Afrique à voter « non ». Dans la foulée, le pays proclame son indépendance, le 2 octobre 1958.
A l’époque, la France n’avait pas encore digéré sa défaite à Diên Biên Phu, et elle redoutait des révoltes en Algérie ou encore au Cameroun. Afin que la Guinée ne serve pas d’exemple, Paris adopte contre elle des mesures de rétorsion politiques et économiques, parmi lesquelles son exclusion de la zone franc, au sein de laquelle avait cours le CFA, le franc des colonies françaises d’Afrique, créé quelques années plus tôt, le 25 décembre 1945. Pourtant, l’un des premiers gestes que pose Ahmed Sékou Touré, peu après son accession à la magistrature suprême, c'est l’envoi au chef de l’Etat français d’une lettre datée du 15 octobre 1958, dans laquelle il demande le maintien de son pays dans la zone franc.
Très vite, Sékou Touré comprend qu’il devra faire sans l’ancienne puissance coloniale, qui, du reste, rappelle tout son personnel en poste en Guinée. Dans un contexte marqué alors par la Guerre froide, la plupart des pays occidentaux s’alignent sur la position française, tandis que ceux du bloc de l’Est soutiennent Sékou Touré. Conséquence : de nombreux experts issus des pays socialistes et même de certains partis de gauche européens, affluent à Conakry. Et ils vont notamment travailler sur un projet de création d’une nouvelle monnaie. En attendant, le franc CFA continue d’être utilisé dans le pays.
Plus que jamais résolue à punir la Guinée, et craignant qu’elle ne devienne un moyen pour le bloc de l’Est de déstabiliser la toute nouvelle Communauté française d’Afrique, la France décide, début 1959, de faire tomber le pouvoir en place. Baptisée « Persil », du nom d’une lessive vantée alors par toutes les publicités, le QG de cette opération est installé à Dakar, au Sénégal. Dans un livre d’entretiens intitulé Maurice Robert, « ministre » de l’Afrique, paru en 2004, voici ce qu’en dit Maurice Robert, qui était à l’époque chef du service Afrique au SDECE, le service de documentation extérieure et de contre-espionnage : « Nous devions déstabiliser Sékou Touré, le rendre vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l’opposition […] Parmi ces actions de déstabilisation, je peux citer l’opération « Persil », par exemple, qui a consisté à introduire dans le pays une grande quantité de faux billets de banque guinéens dans le but de déséquilibrer l’économie. »
Malgré les coups, très rudes, portés par l’ancienne puissance coloniale, le régime de Sékou Touré résiste, soutenu en particulier par la Chine et l’Union soviétique. Au fil des mois, il devient socialiste. Le courage du jeune président lui attire sympathie et rayonnement international. Le 1er mars 1960, soit dix-sept mois après l’indépendance, le franc guinéen est créé, en même temps que la BRG, la Banque de la République de Guinée, le nouvel institut d’émission. L’année suivante, la BRG devient BCRG, Banque Centrale de la République de Guinée. Désormais, le pays exerce pleinement sa souveraineté monétaire, et une partie des populations en fait un motif de fierté nationale.
Avec le choix d’un régime socialiste, l’économique guinéenne se centralise. La production est faite par l’Etat, et la monnaie est essentiellement destinée à financer les entreprises publiques. Or ces dernières étaient mal gérées et structurellement déficitaires. Pour les financer, la BCRG fait fonctionner la planche à billets, créant ainsi une inflation importante. Au désastre économique du régime de Sékou Touré, s’ajoute la répression politique. Durant ces années, un franc guinéen vaut officiellement un franc CFA. Dans les faits, la parité était passée de 1 à 5. Afin de redresser la situation, le pouvoir crée une nouvelle monnaie en 1972 : le syli. Mal accueillie par la population, cette réforme n’aura aucun effet notable sur l’économie guinéenne.
A la mort de Sékou Touré, le 26 mars 1984, et après la prise de pouvoir, quelques jours plus tard, par les militaires, sous la houlette du colonel Lansana Conte, le pays est en crise. Sur le plan économique, le nouveau pouvoir fait le choix de l’option libérale. Autrement dit, l’Etat ne doit plus être le principal acteur de la production, qui incombe au secteur privé. Parmi les nombreuses réformes structurelles engagées dès le 25 décembre 1985, il y a la fin du syli et le retour au franc guinéen. Cependant, la corruption endémique et l’explosion des dépenses extrabudgétaires vont continuer de plomber l’économie guinéenne. Car, comme l'a souligné l’économiste guinéen Ousmane Kaba, lors d’une conférence à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en 2009 : « En Guinée comme dans la plupart des pays africains, mais pas seulement, le risque de la politique monétaire vient de l’indiscipline budgétaire. »
Dans le sillage des réformes conduites par le régime de Lansana Conte, des banques privées sont créées, en partenariat notamment avec des groupes français comme la BNP, la Société Générale ou encore le Crédit Lyonnais. Cette privatisation du système bancaire, qui en réalité avait débuté sous la première République, n’a cependant pas l’effet escompté sur l’économie du pays. C'est l'une des raisons pour lesquelles l’économiste français Benoît Lootvoet écrit, dans un article de la revue Economies et sociétés, paru en 1996 : « Les banques de Conakry ne financent pas la production économique nationale arguant tout à la fois de cadres juridiques trop précaires en Guinée, de l’échec général des banques de développement en Afrique […] »
Avec le décès du président Lansana Conte, le 22 décembre 2008, et l’arrivée au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara dans la foulée, la Guinée rentre dans une période d’instabilité politique. A l’époque, une étude de l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce, constate un accroissement de la pauvreté dans le pays, ainsi que la place sans cesse croissante du secteur minier dans l’économie nationale. L’OMC note également une déliquescence des infrastructures, qui se traduit notamment par des difficultés d’approvisionnement en énergie électrique, des problèmes de fourniture d’eau ou encore le manque criant de routes. Le gouvernement d’alors se fixe un objectif, toujours valable aujourd’hui : asseoir les bases d’un développement économique à travers l’essor d’un secteur privé dynamique.
Après l’arrivée au pouvoir du professeur Alpha Condé, en novembre 2010, les responsables de la BCRG s’emploient à assainir le système bancaire et à dompter l’inflation, en réduisant notamment le recours à la planche à billets. Résultat : selon les chiffres du FMI, le Fonds Monétaire International, depuis 2016, le taux d’inflation varie entre 8 et 10%. Cependant, le franc guinéen s’est considérablement déprécié. En 2002, un euro valait deux milles francs guinéens ; à l’heure actuelle, il en vaut dix milles. Aujourd’hui, avec ses treize millions d’habitants, la Guinée reste classée au 175ème rang – sur 189 pays – en termes d’IDH, l'indice de développement humain. Mais dans le même temps, comme le souligne une analyse du ministère français des Finances : « Après une période difficile due à la crise Ebola (croissance moyenne de 1,8% par an sur 2012-2015), l’économie guinéenne a renoué avec une croissance soutenue depuis 2016.» Pour les autorités guinéennes, l'enjeu à présent, c'est de rendre cette croissance inclusive.