Arrêtés avant même de pouvoir organiser une manifestation. C'est le sort qui est échu à plusieurs journalistes qui projetaient ce 18 janvier de protester contre les sévères restrictions que la junte inflige à leur liberté d'action. Ils ont été interpellés par des gendarmes dans la banlieue de Conakry.
Le centre ville de Conakry, septembre 2021 où l'on peut voir une publicité pour un des réseaux mobiles en Guinée, Tecno. La junte contrôle étroitement l'accès à internet et restreint le travail des journalistes.
Des journalistes s'étaient retrouvés à la Maison de la presse, où la profession tient d'ordinaire des rencontres ou des conférences de presse, en vue d'une journée de manifestation, a constaté un correspondant de l'AFP sur place.
Deux pick-ups de gendarmes sont arrivés et ont embarqué de force environ cinq journalistes, a-t-il rapporté. Deux responsables de la presse ont fait état sous le couvert de l'anonymat d'une dizaine de journalistes interpellés au total à la Maison de la presse et ailleurs en banlieue. Tous ont été conduits à la gendarmerie.
"L'escalade sans fin des attaques contre la presse en Guinée doit cesser" et les journalistes arrêtés doivent être libérés, a réagi Reporters sans frontières (RSF) sur X.
Ces opérations de gendarmerie ont été précédées d'une vigoureuse mise en garde adressée la veille par le ministre de l'Administration du territoire Mory Condé.
"Je rassure le peuple de Guinée (quant à) la détermination du gouvernement à mettre hors d'état de nuire ces individus et à poursuivre les auteurs et les commanditaires de tout acte de violence qui surviendrait suite à ces appels à manifester", a-t-il prévenu le 16 janvier, dans la soirée, sur la télévision d'État.
Le Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG) a appelé à manifester "pour libérer les médias et réseaux sociaux". Il a reçu le soutien d'organisations de la société civile.
Le "droit à l'information et à la connectivité est bafoué depuis bientôt deux mois", disait le SPPG le 7 janvier. Il invoquait le blocage de l'accès à internet, le retrait de certaines chaînes de télévision des principaux bouquets de distribution, le brouillage de fréquences radio. Les autorités veulent "obliger l'ensemble des médias du pays à changer de lignes éditoriales", affirme le Syndicat.
Mais le ministre de l'Administration du territoire a assimilé les incitations à manifester à des "messages d'appel à la violence". Il a rappelé l'interdiction de toute manifestation édictée en 2022 par la junte qui a pris le pouvoir par la force l'année précédente.
En Guinée, pays dirigé pendant des décennies par des régimes dictatoriaux ou autoritaires, les manifestations dégénèrent souvent en violences.
Le porte-parole du gouvernement Ousmane Gaoual Diallo avait présenté récemment les mesures contre certains médias comme la réponse "à des pratiques telles que l'apologie de la haine communautaire" ou "la propagation de discours divisifs".
Après avoir nié toute implication, le gouvernement a justifié la semaine dernière les restrictions d'accès à internet par un "problème sécuritaire", sans plus de précision.
En dépit des engagements initiaux de la junte, "un climat de répression des médias d'information indépendants s'installe depuis plusieurs semaines", s'alarmait en décembre RSF. "Les médias concernés ont tous en commun de suivre une ligne éditoriale libre et critique", disait RSF.
Les restrictions à internet et notamment l'impossibilité d'accéder sans VPN à des réseaux sociaux très populaires restent en vigueur, a dit à l'AFP le service de surveillance d'internet Netblocks. Quant à leurs initiateurs, les perturbations sont "cohérentes avec des restrictions imposées par le gouvernement par le passé", a-t-il dit.
Les autorités ont suspendu le 17 janvier pour neuf mois le site d'information "dépêcheguinée" et pour six mois l'auteur d'un article sur des fonds publics guinéens considérables qui pourraient avoir été détournés et qui seraient bloqués à Dubaï selon lui.
Le syndicat français SNJ-CGT a fait état, avec d'autres, de l'interpellation et de l'expulsion ces derniers jours du journaliste Thomas Dietrich, en Guinée pour une enquête sur la Société nationale des pétroles et le patrimoine de son directeur général selon le syndicat.
Un responsable d'une radio très écoutée, Espace FM, a indiqué sous le couvert de l'anonymat avoir découvert avec surprise ce matin que les programmes avaient été piratés et remplacés par de la musique militaire.