Fil d'Ariane
28 septembre 2009, les forces militaires tirent sur la foule des manifestants au stade de Conakry, tuant au moins cent cinquante sept personnes. Plus d’une centaine de femmes sont violées et un millier de victimes grièvement blessées. Huit ans plus tard, les victimes attendent encore que justice soit faite.
Photographié au stade national, où il a été blessé par les forces de sécurité le 28 septembre 2009. "Je suis une victime des autorités guinéennes. Le matin du 28 septembre, la police m'a tiré dans le ventre. La balle est encore là. Je la sens encore parfois, qui me brûle. Je ne supporte plus de me trouver dans des endroits où il fait chaud. Je veux que les coupables soient arrêtés."
En ce jour de fin septembre 2009, les opposants au régime militaire de Conakry se rassemblent dans le plus grand stade de Conakry pour réclamer que le président autoproclamé depuis décembre 2008, Moussa Dadis Camara, ne se représente pas à la prochaine élection présidentielle. Soudain, les militaires de la garde présidentielle ouvrent le feu à l’arme automatique sur la foule. Les forces de défense et de sécurité du gouvernement guinéen tirent, battent, poignardent et violent sans retenue.
Ce massacre constitue un "crime contre l'humanité", affirmait dans un rapport publié le 21 décembre 2010 la Commission d'enquête internationale nommée par l'ONU. Elle en imputait la responsabilité au Capitaine Moussa Dadis Camara, mais le rapport cite aussi parmi les plus directement impliqués dans ces crimes, le lieutenant Aboubacar Sidiki Chérif Diakité (Toumba), le commandant Moussa Thiegboro Camara, chef des services spéciaux, le capitaine Claude Pivi.
Des centaines de victimes ont déposé plainte devant les tribunaux guinéens, représentées par la FIDH qui mène depuis des années un travail de documentation, recueillant systématiquement les témoignage et portant devant la justice l’ensemble des informations recueillies.
Aujourd’hui, les victimes attendent encore que justice leur soit rendue.
Le point sur le procès avec Antonin Rabecq, responsable Afrique adjoint de la FIDH :
Antonin Rabecq : En mars dernier, Cheik Sako s’engageait, devant le Conseil des droits de l’homme à Genève, à ouvrir le procès avant la fin de l’année. Fin juillet, il s’est même engagé devant nous sur une fin d’instruction ce 28 septembre. Promesse non tenue, pour différentes raisons d’ordre procédural qui sont protégées par le secret de l’instruction.
Mais hier, nous l’avons rencontré à Conakry et il s’est engagé à clôturer l’instruction ce 31 octobre 2017. Et ce quoi qu’il arrive, quels que soient les éléments encore en attente. Si cela ne permet pas d’envisager l’ouverture du procès d’ici la fin de l’année, la clôture de l’instruction permettrait de passer aux prochaines étapes, dont le renvoi des personnes inculpées devant la justice.
AR : Inédit et historique en Guinée, ce procès requiert des infrastructures suffisantes, alors que les salles d’audience, ici, sont de taille réduite. Entre autres problèmes logistiques, il faut trouver un endroit sécurisé, ainsi que des dispositifs de communication pour que les 450 victimes puissent suivre les audiences.
Notre mission consiste à recueillir le plus de témoignages et d’information possible pour établir les responsabilités des uns et des autres, même si toutes les victimes ne sont pas entendues par les juges – certaines sont décédées, d’autres vivent loin ou ne veulent pas témoigner.
Quelle est l’importance de ce procès ?
AR : Il s’agit de rétablir une vérité judiciaire, mais aussi une vérité historique : que s’est-il passé au stade et dans les quartiers environnante ce 28 septembre 2009 et les jours suivants ? Ce procès répond à un devoir de vérité - et de réparation - pour les victimes, mais il s’inscrit aussi dans un processus de réconciliation nationale. Les victimes du 28 septembre ne sont pas les seules victimes en Guinée. Le massacre au stade est l’un des derniers épisodes d’une longues séries d’atteintes aux droits de l’homme en Guinée – on peut aussi parler du camp Boiro, des répressions de 1985 ou de 2007. Ce cas est emblématique, mais il faut une approche globale des victimes de la volonté politique et militaire de l’Etat.
AR : Le temps de la justice est long. Il y a des délais légaux à respecter, dans tous les pays. Ici encore plus, car la justice guinéenne vient de très loin. Elle a longtemps été soumise à l’arbitraire politique. Un vrai effort a été engagé en 2010 de rompre avec l’impunité qui a prévalu, mais les choses se font progressivement. Il est trop tôt pour dire si le procès durera 3, 6 ou 9 mois. Tout dépend des juges.
Huit ans, c’est beaucoup pour les victimes, mais pour une procédure de cette complexité, avec des gens qui ont fui la Guinée ou qui ont continué à occuper des postes de responsabilité, le résultat, au bout de huit ans, est sérieux, surtout si l’on considère les conditions matérielles dans lesquelles travaillent les magistrats.
C'est le titre de l'exposition photographique que la mairie de Paris et la FIDH consacrent aux victimes du stade en 2009, entre autres. Du 28 septembre au 5 novembre 2017, cette exposition met en scène des visages et témoignages d’hommes et de femmes victimes des principaux épisodes de violence et de répression qui ont émaillé l’histoire de la Guinée depuis 1958.
► Allez sur le site de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH)