Fil d'Ariane
« De toutes les consultations engagées à tous les niveaux (…), il ressort une proposition médiane d’une durée consensuelle de la transition de 39 mois », déclare le colonel Mamady Doumbouya, à la télévision guinéenne le 30 avril. Le militaire, au pouvoir depuis le putsch du 5 septembre 2021. Antoine Glaser, journaliste et écrivain spécialiste de l’Afrique, n’est pas surpris par la durée de la transition annoncée. « Quand les sociétés sont aussi implosées, il faut trouver des consensus nationaux, plutôt que de chercher à organiser des élections à tout prix », analyse-t-il.
La Cédéao, c’est uniquement une question de principes, mais elle ne tient pas par rapport aux réalités du pays.Antoine Glaser, journaliste et écrivain
Dans ce cas, pourquoi la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a-t-elle insisté « pour que la transition soit très courte » et que les élections soient organisées dans un délai ne dépassant pas « six mois » ? « La Cédéao, c’est uniquement une question de principes, mais elle ne tient pas par rapport aux réalités du pays », estime Antoine Glaser.
Afin d’illustrer son argument, il rappelle la situation du Mali, en 2013 : « Pour avoir de l’aide de l’extérieur, la France a poussé par exemple à ce qu’il y ait des élections au Mali très rapidement, alors que le Nord était encore en sécession. » Selon lui, cela servait aussi à tenter de légitimer la présence militaire française au Mali. Or, il estime que l’organisation d’élections n’est pas représentative d’un système démocratique sain. « Il faut de la justice, des contre pouvoirs et un pays qui tourne correctement », énumère-t-il.
La Guinée n’est pas le seul pays d’Afrique de l’Ouest où la junte militaire au pouvoir doit mettre en place un processus de restitution du pouvoir aux civils.
« Il se passe beaucoup de choses dans le secteur minier », constate Antoine Glaser. Déjà, « la junte a renégocié un certain nombre de contrats ». Par exemple, un accord-cadre de 15 milliards de dollars a été signé entre l’État guinéen, Winnipeg Consortium et Rio Tinto Simfer afin d’exploiter l’immense gisement de fer de Simandou, dans le sud-est du pays.
Cet accord prévoit que « 15% des rails, du port, des mines » reviennent à l’État guinéen, selon Moussa Magassouba, ministre des Mines et de la Géologie. Au total, cela représente plusieurs milliers d’emplois directs. Cependant, Simandou est victime de la corruption chronique réputée en Guinée. Cette corruption représente le plus grand combat du colonel Doumbouya.
Selon les experts, la Guinée pourrait disposer des plus importantes réserves mondiales non-exploitées de fer à haute teneur, parmi d’autres ressources naturelles et minières considérables. Parmi ces minerais, il y a la bauxite, l’or, les diamants et le capital hydrologique. Cependant, ces ressources n’empêchent pas le pays d’être très pauvre. La junte militaire espère-t-elle redorer le pays avec l’industrie minière lors de cette période de transition ?Antoine Glaser rappelle aussi que contrairement au Burkina Faso « où il y avait vraiment une adhésion des jeunes au putsch », les avis sur la junte militaire guinéenne sont plus divisés. « Il y a un vrai problème ethnique dans ce pays », rappelle le journaliste. En effet, de nombreux actes de violences entre les ethnies peules et malinkés surviennent régulièrement dans le pays.
La junte pourrait organiser des élections, mais à mon avis, elle ne veut pas qu’il y ait une contestation sociale.Antoine Glaser, journaliste et écrivain
« Les Peuls ont toujours été écartés du pouvoir », précise Antoine Glaser. Aussi « le fait que [le lieutenant-colonel Doumbouya] soit un Malinké, ce n’est pas un hasard », ajoute-t-il. De par son origine ethnique, Mamady Doumbouya se prive du soutien d’une grande partie de la population du pays. Selon le commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, les Peuls représentent 40% de la population guinéenne.
« La junte pourrait organiser des élections, mais à mon avis, elle ne veut pas qu’il y ait une contestation sociale », estime Antoine Glaser. Par ailleurs, le colonel Doumbouya était un proche d’Alpha Condé, le président déchu de Guinée. L’écrivain considère que de voir un ancien compagnon de route de l’ancien dirigeant du pays peut provoquer une certaine lassitude de la part de la population. « Avant d’organiser des élections en Guinée, il faut d’abord trouver un consensus national », conclut-il.
Mais pour le Front National pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de partis politiques guinéens, cette transition de 39 mois est « inadmissible. » Dans un communiqué, la coalition écrit que ce choix est « inopportun dans un contexte où les acteurs socio- politiques exigent la mise d'un place d'un cadre de dialogue inclusif sous la supervision de la communauté internationale. » Le consensus pourra-t-il être atteint ?