Guinée : qui est le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, nouvel homme fort du pays ?

Ancien légionnaire français, le colonel Doumbouya était un proche d'Alpha Condé. Il vient de renverser le régime dont il devait assurer la sécurité. Le nouvel homme fort du pays vient de promettre «un gouvernement d'union nationale» et une transition pacifique.  Qui est cet homme à l’ascension fulgurante? Portrait.
 
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Doumbouya
Le leader de la junte guinéenne, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, lors de son allocution à la télévision nationale, à Conakry, en Guinée, le 06 septembre 2021.
© Radio Television Guineenne via AP
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« Je viens de perdre mon conseiller militaire. » Ces mots que l’ancien président Alpha Condé aurait prononcé à son retour à Conakry, juste après la mort de son ami et homologue tchadien Idriss Déby Itno, étaient sans doute prémonitoires. Le maréchal Idriss Déby avait conseillé à Alpha Condé de créer une force spéciale, afin de parer à d’éventuelles menaces terroristes sur son territoire. L’ex-chef d’Etat guinéen va suivre en effet les conseil du maréchal tchadien. Il va mettre en place cette nouvelle unité chargé de protéger le régime. Le commandement de cette force va être confié en 2018 à un homme, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, l’un de ses chefs militaires de confiance. Le parcours de l'officier guinéen inspire alors confiance. Formé par les Français, l'homme est perçu comme ayant un solide parcours militaire derrière lui.

L'appel du président Alpha Condé

La première partie de sa carrière, Mamady Doumbouya l’effectue au sein de la légion étrangère, en France. Il est alors Caporal-chef au sein de ce corps d’élite de l’Armée de terre française. Il participe alors en bon légionnaire à plusieurs opérations militaires extérieurs en Afghanistan, en Côte d’Ivoire ou encore en République centrafricain. Et comme de nombreux légionnaires, il passe également par les forces françaises stationnées à Djibouti. L'homme se marie avec une Française, une gendarme. il est père de trois enfants.

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L'homme est originaire de Kankan, dans l’est du pays, et appartenant au groupe malinké comme Alpha Condé, Mamady Doumbouya s’impose rapidement comme un élément important de sa stratégie militaire. Entre 2012 et 2013, il est envoyé à l’Ecole d’Application de l’infanterie, à Thiès, au Sénégal, afin d’y suivre le cours de formation des futurs commandants d’unité.  À son retour en Guinée, il est promu au grade de lieutenant.

Formé en France, en Israël et au Gabon

Dès lors, ce colosse au physique d’athlète de haut niveau, entame un véritable ballet de formations qui le conduit notamment à l’Académie de sécurité internationale en Israël, ou encore à l’Ecole d’Etat-major de Libreville, au Gabon. Et en 2017-2018, il  intègre la 25e promotion de l’Ecole de guerre française. « Comme beaucoup d’officiers de sa génération, c’est un militaire qui est passé par des formations très éclectiques », confie Emmanuel Dupuy, président de l’IPSE, l’Institut Prospective et Sécurité en Europe.

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Mais surtout, lors d’un colloque organisé en novembre 2017, à Paris, par l’EMSOME, l’Etat-major Spécialisé pour l’Outre-mer et l’Etranger, Mamady Doumbouya, qui représente alors l’ensemble des stagiaires africains, fera un discours très remarqué.

Les Blancs détiennent un pouvoir inaccessible pour nous. Par exemple, j’ai demandé l’année dernière des munitions pour entraîner mes troupes au tir, mais ne les ai jamais reçues. En revanche, le Français qui viendra dispenser une formation à notre attention recevra immédiatement tout ce dont il a besoin de la part de notre gouvernement

Mamady Doumbouya, devant des militaires français à Paris

Evoquant la propension des dirigeants africains à privilégier les Occidentaux par exemple, au détriment des enfants du continent, il déclare : « […] Les Blancs détiennent un pouvoir inaccessible pour nous. Par exemple, j’ai demandé l’année dernière des munitions pour entraîner mes troupes au tir, mais ne les ai jamais reçues parce que mes dirigeants craignent que je m’en serve pour provoquer un coup d’État. En revanche, le Français qui viendra dispenser une formation à notre attention recevra immédiatement tout ce dont il a besoin de la part de notre gouvernement […] »

Durant ce même colloque, si Mamady Doumbouya se réjouit de la coopération avec la France par exemple et du soutient dont bénéficie les armées africaines, il n’en dénonce pas moins l’arrogance et les préjugés de certains de leurs frères d’armes. A cet effet, il précise que : « […] Les officiers blancs possèdent un défaut majeur : la plupart du temps, ils sous-estiment les capacités humaines et intellectuelles des Africains, ce qui est particulièrement irritant puisque les officiers africains et français sortent des mêmes écoles, dont l’École de guerre. Mais une fois arrivés en Afrique, les Français se croient souvent plus intelligents et estiment qu’ils maîtrisent mieux le sujet que nous, ce qui n’est que rarement le cas. Nous déplorons leur attitude hautaine. Nous ne sommes pas aussi incompétents qu’ils le croient […] »

La création des forces spéciales et le début des dissensions

À  son retour en Guinée, en 2018, Mamady Doumbouya est non seulement promu lieutenant-colonel, mais il se voit également confier la création et la direction du bataillon des forces spéciales.

Cette année-là, il participe à une formation organisée au Burkina Faso par l’armée américaine, et réservée en particulier aux commandants des forces spéciales de la région. « C’est à cette occasion que le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya et l’actuel leader de la junte malienne, le colonel Assimi Goïta, se sont liés d’amitié », nous confie Mamadou Aliou Barry, directeur du Centre d’analyse et d’études stratégiques de Guinée.

Toujours en 2018, à l’occasion de la fête nationale du pays, les populations guinéennes découvrent avec stupeur le bataillon des forces spéciales, avec à sa tête le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, lors du défilé militaire au stade du 28 septembre. Un peu plus d’un an après, les protestations nées de la volonté du président Alpha Condé de modifier la Constitution afin de briguer un troisième mandat consécutif, le poussent à dévier les forces spéciales de leurs missions originelles.

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« En principe, affirme Mamadou Aliou Barry, cette unité était chargée de lutter contre le terrorisme et les actes de piraterie maritime. Malheureusement, Alpha Condé l’a ensuite transformée en instrument de répression des manifestations politiques. C’est ce qui s’est passé à Conakry durant le processus électoral de l’année dernière. Les hommes cagoulés des forces spéciales entraient dans les quartiers pour réprimer les manifestations. »  

  Le président Alpha Condé craignait un coup de force des militaires. On lui prêtait d’ailleurs l’intention de se débarrasser de Mamadou Doumbouya. C’est sans doute la raison pour laquelle il a pris les armes avant que son sort ne soit scellé

Emmanuel Dupuy, président de l’IPSE, l’Institut Prospective et Sécurité en Europe

Malgré cette apparente fidélité du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya au président Alpha Condé, des dissensions seraient apparues entre les deux hommes après l’arrivée au pouvoir du colonel Assimi GoÏta, au Mali. Au sein du régime, des personnalités telles que Mohamed Diané, le ministre de la Défense, ne cachent pas elles aussi, leurs craintes vis-à-vis de ce tout puissant commandant des forces spéciales. « Au moment où le putsch a eu lieu, affirme Emmanuel Dupuy, il faut avoir à l’esprit que le président Alpha Condé craignait un coup de force des militaires. On lui prêtait d’ailleurs l’intention de se débarrasser de Mamadou Doumbouya. C’est sans doute la raison pour laquelle il a pris les armes avant que son sort ne soit scellé. »