Alors que s’ouvre aujourd’hui, au palais du peuple, à Conakry les rencontres consensuelles organisées par le CNRD, le Comité national pour le rassemblement et le développement, dirigé par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, les populations guinéennes ont également à leur disposition, depuis ce week-end, un numéro vert, le 100, accessible chez tous les opérateurs de téléphonie mobile, pour dénoncer les éventuelles exactions des forces de défense et de sécurité.
Depuis la chute du régime du président Alpha Condé et l’arrivée au pouvoir de la junte militaire le 5 septembre dernier, les annonces destinées à rassurer les populations se multiplient. Après avoir interdit la création de mouvements de soutien en sa faveur, le CNRD a donc lancé ce numéro vert, d’ores et déjà opérationnel auprès de tous les opérateurs de téléphonie mobile présents en Guinée, et en principe disponible 24 heures sur 24.
Une initiative appréciée par les citoyens, mais aussi par les organisations de la société civile. « C’est une initiative salutaire, nous a confié Abdoul Sacko, coordinateur général du réseau CoJeLPaiD, Convergence des Jeunes et Leaders pour la Paix et la Démocratie. C’est important parce que d’une manière générale, les services de sécurité s’adonnent parfois à des abus qui passent inaperçus. J’espère simplement que ce numéro sera opérationnel à tout moment, et que les appels ne resteront pas vains. »
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Même son de cloche du côté de l’OGDH, l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen. Pour Alseny Sall, son chargé de communication, « c’est une très belle initiative, parce que parfois, les forces de défense et de sécurité agissent dans une totale impunité. » Les résidents étrangers jugent aussi favorablement cette nouvelle mesure. « Pour moi qui vis en Guinée depuis trois ans et demi, affirme ainsi le jeune camerounais Gervais Moussongo, consultant en intelligence économique et fondateur de Advalys consulting group, la création du numéro vert n’est pas du tout superflue. Pour nous les étrangers, ça nous rassure, et en principe, ça nous permet de sortir sans craindre d’être victime d’abus de la part des forces de l’ordre. »
Cet optimisme tient également à l’annonce il y a quelques jours, toujours par voie de communiqué lu à la télévision nationale guinéenne par un membre du CNRD, de la radiation de deux soldats accusés de vandalisme, et mis par ailleurs à la disposition de la justice. Une séquence très commentée dans les médias privés guinéens, certains observateurs estimant même qu’il s’agit là d’un « abus de pouvoir ». A leurs yeux, la radiation des deux militaires s’apparente à une condamnation, alors même que la justice n’a pas encore effectué son travail.
Aux yeux d'une bonne partie de la population, la mise en place de ce numéro vert et le calme qui prévaut à Conakry, la capitale guinéenne, depuis l’arrivée aux affaires du CNRD, tranche avec les exactions que le pays avait connues en 2009, après la prise de pouvoir par un groupe d’officiers dénommé le CNDD, le Conseil national pour la démocratie et le développement, alors dirigé par le capitaine Moussa Dadis Camara.
A l'époque, arrestations et détentions arbitraires, actes criminels impunis perpétrés par l’armée et autres restrictions imposées sur les activités politiques, avaient culminé avec le massacre du 28 septembre 2009. Ce jour-là, alors que l’opposition manifestait au stade de Conakry contre la candidature à la présidentielle du chef de la junte, les forces de sécurité avaient tiré à balles réelles sur les manifestants, causant de nombreux blessés et un nombre toujours indéterminé de morts.
Aujourd’hui, les organisations de la société civile se réjouissent de ne pas connaître pareille situation. Elles rappellent cependant la nécessité d’un véritable suivi des éventuelles dénonciations à venir. « L’essentiel ce n’est pas seulement d’avoir un numéro vert, précise ainsi Alseny Sall de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen, il faut aussi prendre les dispositions nécessaires pour mener les enquêtes, poursuivre et juger les personnes qui sont responsables des abus. »
Quant à Abdoul Sacko, coordinateur général du réseau CoJeLPaiD, Convergence des Jeunes et Leaders pour la Paix et la Démocratie, il affirme que certaines expériences de numéros verts leur ont laissé un goût amer. « Quand on prend par exemple la question des mutilations génitales sur laquelle nous travaillons, souligne-t-il, les numéros verts qui ont été mis en place n’ont pas fonctionné correctement. Nos animateurs qui ont relayé des informations n’ont jamais eu de suite. »