"En public, ils se donnent du 'grand frère', mais ce sont avant tout des rivaux". Voici résumée dans les colonnes de Jeune Afrique la relation entre IBK et Soumaïla Cissé. Et cet homme qui les connaît bien d'ajouter qu'"ils ont gardé une certaine rancune l'un envers l'autre".
Les deux hommes qui s'affrontent ce dimanche pour le second tour de la présidentielle malienne ont un certain nombre de points communs.
Leur parcours scolaire ? Le Sénégal et la France pour les deux (voir plus bas).
L'un et l'autre "naissent" ensuite politiquement au sein d'une même formation : l'ADEMA, alliance pour la démocratie au Mali. Créée au début des années 1990, cette organisation contre la dictature de Moussa Traoré est un vivier politique.
"IBK" et "Soumi" se fréquentent aux côtés d'un homme, Alpha Oumar Konaré, élu président de la République malienne en 1992.
A la fin des années 1990, leurs chemins s'éloignent. En 1999, Ibrahim Boubacar Keïta est Premier ministre. Il refuse que son ministre des Finances, Soumaïla Cissé, entre au bureau politique de l'ADEMA. C'est pourtant Cissé qui sera choisi pour prendre la tête du parti... IBK claque la porte.
Bras de fer
En 2001, Keita fonde le RPM, Rassemblement pour le Mali. Et c'est donc sous de nouvelles couleurs qu'il se présente à la présidentielle de 2002. Echec au premier tour. Au second, IBK appelle à voter Amadou Toumani Touré contre... Soumaïla Cissé !
Cissé perd l'élection. Et le soutien de son parti.
A son tour, il quitte l'ADEMA pour créer sa propre formation, l'URD. En 2007, à son tour d'assister à la défaite de son rival : IBK perd la présidentielle contre ATT.
Ce face à face en 2013 semble presque naturel tant l'un et l'autre visent depuis si longtemps le palais de Koulouba.
Cette fois, l'un des deux prendra les commandes du pays.
Ironie, le parti qui les a réunis voilà près d'un quart de siècle se déchire autour de ce duel. Si l'ADEMA soutient Cissé, son candidat du 1er tour Dramane Dembelé a, lui, choisi IBK. Comme l'immense majorité des candidats d'ailleurs...
Portraits
10.08.2013Avec AFP
Ibrahim Boubacar Keïta, candidat de la réconciliation Selon son entourage, IBK croit enfin à sa victoire et cette troisième tentative sera la bonne. Il est resté très discret au moment du coup d'Etat du 22 mars 2012 qui a renversé le président Amadou Toumani Touré et précipité le nord du Mali aux mains de rebelles touareg et de groupes jihadistes, contrairement à Soumaïla Cissé qui avait fermement condamné ce putsch.
Durant sa campagne pour le premier tour, IBK avait affirmé que son objectif prioritaire était la "réconciliation" d'un Mali profondément divisé et il a été le premier des candidats à se rendre à Kidal, chef-lieu de région à plus de 1 500 km au nord-est de Bamako. Considérée par des Touareg comme leur berceau, cette ville du désert a été le théâtre de violences entre communautés ethniques. "Je ramènerai la paix et la sécurité. Je renouerai le dialogue entre tous les fils de notre Nation", avait-il dit durant un de ses rassemblements électoraux, qu'il commençait en récitant des versets du Coran. Cela lui vaut un autre surnom, "Ladji" (pour El Hadj, titre de ceux qui ont accompli le pèlerinage à La Mecque). Mais certains de ses adversaires, qui font état de consignes de vote en sa faveur données par des organisations islamiques de ce pays musulman à plus de 90%, en sourient. Ils rappellent qu'IBK a mené "la belle vie" dans le passé, lorsqu'il était étudiant en France.
Répression de grévistes
Né le 29 janvier 1945 à Koutiala (sud), Ibrahim Boubacar Keïta a fait des études littéraires au Mali, au Sénégal et en France, où il a travaillé sur des questions liées aux pays en développement. Au début des années 1980, il est conseiller du Fonds européen de développement (FED), puis chef d'un projet de développement dans le nord du Mali. D'anciens collaborateurs affirment qu'il est un gros travailleur et un homme à poigne.
Il a milité dans des organisations qui contestaient le pouvoir du général Moussa Traoré, renversé en mars 1991 par un coup d'Etat militaire après 23 ans à la tête du Mali.
Elu président en 1992 après la transition, il se voit confier par Alpha Oumar Konaré plusieurs postes à responsabilités : conseiller, ambassadeur en Côte-d'Ivoire, ministre des Affaires étrangères (1993-1994), puis Premier ministre de 1994 à 2000.
Chef du gouvernement, Ibrahim Boubacar Keïta doit gérer une crise scolaire et des grèves qui paralysent le Mali. Il fait durement réprimer les grévistes et fermer les écoles, décrétant une "année blanche" (invalidée) pour la période scolaire 1993-1994. Il ferraille également contre les opposants au régime de M. Konaré, resté dix ans au pouvoir, de 1992 à 2002. Pour la présidentielle de 2002, il pense être le candidat du parti au pouvoir, l'Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), mais perd ce pari en raison d'une contestation interne dans cette formation. Alors, il démissionne de l'Adéma et crée le Rassemblement pour le Mali (RPM). Malgré le soutien d'une partie des membres de l'Adéma qui ont rejoint son parti, il est battu à la présidentielle de 2002 par Amadou Toumani Touré, militaire qui a pris sa retraite de l'armée pour se porter candidat et a dirigé le Mali jusqu'au coup d'Etat du 22 mars 2012.

"Soumi", économiste anti-putsch
"Je nous invite à nous tenir debout et à exiger la restauration des institutions et le respect des règles républicaines", avait déclaré Soumaïla Cissé deux jours après le coup d’Etat militaire qui a précipité la chute du nord du Mali aux mains de rebelles touareg et de groupes jihadistes. Cette prise de position et sa participation à une large coalition anti-putsch, le Front uni pour la Défense de la République et de la Démocratie (FDRD), lui ont valu d’être brutalement arrêté parmi d’autres par les hommes armés du capitaine Amadou Haya Sanogo, chef des putschistes. Blessé lors de cette arrestation, le 17 avril 2012 à son domicile de Bamako, saccagé, il a dû aller se faire soigner en France. Il a partagé sa convalescence entre ce pays et le Sénégal pendant plusieurs mois, avant de pouvoir rentrer au Mali.
Aujourd’hui, il appelle "à l’effacement" de la scène de Sanogo et de sa junte, qui ont encore une certaine influence à Bamako. Battu une première fois à la présidentielle de 2002 par le président Amadou Toumani Touré, renversé dix ans plus tard, il était candidat au scrutin qui devait se tenir en 2012, mais qui a été annulé par le coup d’Etat.
Cet homme grand et élégant est originaire de la ville de Niafunké, dans la région de Tombouctou, dans le vaste Nord malien occupé pendant près de dix mois par les jihadistes ; il est marié depuis 1978 à Astan Traoré, issue d’une famille de notables du Sud.
Soumaïla Cissé a fait des études brillantes avant un parcours professionnel et politique exceptionnel qui l’ont conduit jusqu’à la présidence de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa) de 2004 à 2011. Après un diplôme universitaire d’études scientifiques de l’Université de Dakar, en 1972, il s’inscrit à l’Université de Montpellier (sud de la France) où il obtient une maîtrise en méthodes informatiques appliquées à la gestion.
"Super ministre"
En 1977, il est ingénieur en informatique et en gestion, et major de sa promotion de l’Institut des sciences informatiques de Montpellier. Il est également titulaire d’un certificat d’aptitude d’administration des entreprises obtenu en 1981 à Paris.
En France, après ses études, il a travaillé au sein de grands groupes tels que IBM, Péchiney, Thomson, Air Inter, l’ex-compagnie française des vols intérieurs.
Il rentre au Mali en 1984 et intègre la Compagnie malienne pour le Développement du Textile (CMDT), colonne vertébrale de l’agriculture et de l’économie du pays. Il est alors considéré comme le chef du "clan CMDT", composé d’intellectuels maliens, bien décidés à jouer un rôle politique dans leur pays.
A l’élection, en 1992, d’Alpha Oumar Konaré comme chef de l’Etat, il est nommé secrétaire général de la présidence, puis ministre des Finances, poste qu’il occupera de 1993 à 2000 avant de devenir "super ministre" en charge de l’Equipement, l’Aménagement du territoire, l’Environnement et l’Urbanisme. En 2002, il est le candidat de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), formation présidentielle et plus grand parti du Mali : il arrive au second tour face à Amadou Toumani Touré, qui l’emporte. Avant de prendre la présidence de la Commission de l’Uémoa, il a créé, en 2003, son propre parti, l’Union pour la République et la Démocratie (URD), qui deviendra la deuxième force politique à l’Assemblée nationale.
Son parcours est un gage de crédibilité lorsqu’il met la jeunesse au centre de ses discours de campagne, entend créer "500 000 emplois en cinq ans" et assure : "Le Mali de demain sera un pays émergent. Voilà notre objectif".