Immigration : l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda est-il compatible avec le droit international ?

Le 14 avril, le Royaume-Uni annonce vouloir envoyer au Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement dans le pays. Des organisations de défense des droits humains dénoncent son « inhumanité. » Cet accord est-il applicable selon les dispositions du droit international ?
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La secrétaire d'état britannique à l'Intérieur Priti Patel, à gauche, serre la main du ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta, à droite, après l'annonce de l'accord entre les deux pays, lors d'une conférence de presse à Kigali le 14 avril 2022.
Muhizi Olivier/AP
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« Toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que celles qui sont arrivées illégalement depuis le 1er janvier pourront désormais être transférées au Rwanda », annonce Boris Johnson dans un discours dans le Kent, au sud-est de l'Angleterre le 14 avril.
Avec ce projet, le gouvernement britannique cherche à dissuader les demandeurs d’asile de traverser illégalement la Manche. 

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Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne et directeur de l’observatoire du Brexit va aussi dans ce sens. « Aujourd’hui, les politiques migratoires des pays occidentaux sont sur ce champ-là », estime-t-il. Par ailleurs, il estime que le choix du Rwanda se justifie pour des raisons « à la fois historiques, politiques et pratiques ». En effet, le pays fait partie du Commonwealth et l'anglais est l'une des trois langues officielles du pays.

Cet accord fait grincer les dents de nombreuses organisations de défense des droits humains. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés s’oppose vivement à sa mise en application. Selon l’organisation, les demandeurs d’asile « ne devraient pas être échangées comme des marchandises et transférées à l’étranger pour être traitées », déclare le HCR à l'AFP. 
Pour la présidente de l’association Avocats pour La Défense des droits des étrangers (ADDE) Flor Tercero, cet accord soulève deux principaux problèmes. D’abord, « il souligne le fait que le Royaume-Uni se désengage de ses propres responsabilités en matière de protection internationale. » Ensuite, « il faut aussi considérer la façon dont le Rwanda traite les réfugiés. »

« C’est un refoulement qui ne dit pas son nom » 

Avant d’être mis en œuvre, « l’accord devra être compatible avec la législation nationale », rappelle Aurélien Antoine. Pour ce faire, il faut qu’une loi soit validée par le parlement britannique pour « compléter un dispositif législatif qui s’est étoffé et est devenu de plus en plus restrictif », juge le professeur de droit public. 

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Mais au-delà de son application au niveau national, est-ce que les traités internationaux autorisent la mise en œuvre de cet accord ?
« À mes yeux, c’est une violation de l’article 33 de la convention de Genève de 1951 », fustige l’avocate Flor Tercero.  Cet article stipule que les États signataires ne doivent pas refouler ou expulser un réfugié « sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées. » 

Une première en Europe, mais pas dans le monde

  • « C’est la première fois qu’un pays européen évoque la délocalisation à l’extérieur du territoire européen le traitement d’une demande d’asile », souligne la présidente de l'ADDE Flor Tercero. 
  • Mais le Royaume-Uni n’est pas le premier pays du monde à mettre en place un tel procédé. 
  • Depuis 2013, les demandeurs d’asile en Australie étaient placés en détention sur l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. 
  • En 2019, l’île a cessé d’accueillir des réfugiés car de nombreux détenus se sont suicidés par immolation, mais certains d’entre eux étaient toujours retenus à Port Moresby, la capitale du pays. 
  • En octobre 2021, les gouvernements australiens et Papouasie ont annoncé l’abrogation de cet accord. 
  • Cela ne signifie pas que cette politique est abandonnée : l’Australie a pérennisé en septembre 2021 un accord similaire avec le micro-État de Nauru. 
(Re)lire : Australie : les réfugiés persona non grata ?

Cependant, l’avocate appuie sur l’interprétation subtile qui peut être faite de ce concept. « Le refoulement consiste à ne pas accepter les personnes en situation irrégulière arrivant dans le pays, à les renvoyer et à ne pas s’occuper de leur demande d’asile. »
Mais ce n’est pas ce que prévoit l’accord entre les deux pays. « Là, soit-disant, le Royaume-Uni va s’occuper de la demande d’asile des personnes qu’elle va renvoyer au Rwanda », explique la présidente de l’ADDE. « Cela lui permettrait de dire qu’il ne s’agit pas d’un refoulement, mais d’un traitement à distance d’une demande d’asile », conclut-elle. 

« Qui va surveiller la protection de la défense de ces personnes-là ? »

Le 1er février 2020, le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne. Cependant, « les Britanniques ne se sont pas retirés du Conseil de l’Europe », rappelle Flor Tererco. En effet, le Conseil de l’Europe, une organisation internationale rassemblant ses 46 États-membres avec des normes juridiques autour de la protection des droits de l’homme, n’est pas un organe de l’UE.
Pour Aurélien Antoine, « il y a peut-être un problème avec la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) » avec l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda. 

Ce qui est très préoccupant dans cette perspective de traitement des demandes d’asile hors du territoire, c’est la protection des droits à la défense des demandeurs d’asile.Flor Tercero, présidente de l'ADDE

« On peut penser que même un renvoi au Rwanda peut poser un problème au niveau des droits dont peut bénéficier un individu sur le sol britannique », détaille le professeur de droit public.
Flor Tercero partage cette crainte. « Ce qui est très préoccupant dans cette perspective de traitement des demandes d’asile hors du territoire, c’est la protection des droits à la défense des demandeurs d’asile. »
Dans ce mode de fonctionnement, les demandeurs d’asile sont placés dans des hotspots, avec des officiers de protection du pays en question pour examiner leurs demandes, les accepter ou non. Elle demande : « Quand on sait comme il est difficile de faire valoir sa demande de protection dans des pays comme la France ou ailleurs dans l’Union européenne sur place, avec un taux de protection qui est parfois très bas, qu’est-ce que ça va être ailleurs ? »

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Aurélien Antoine craint notamment que des minorités dans les populations exilées se retrouvent privées de droits, en raison des différences de législations entre le Rwanda et le Royaume-Uni. « On pense notamment à des populations LGBT+, qui sont évidemment moins bien protégées au Rwanda qu’au Royaume Uni. » Pour rappel, au Rwanda, il n’existe pas de protection judiciaire contre l’homophobie. Il rappelle aussi qu’il y a des questions autour de « la capacité du Rwanda à accueillir ce flux migratoire », mais aussi « dans quelles conditions ils vont être accueillis. »
« Au Rwanda, l’opposition au président actuel estime que cet accord sera difficile à mettre en place », selon le professeur de droit public. 

Y-a-t-il des recours possibles ?

« Il va certainement y avoir un certain nombre de recours juridictionnels » pour faire face à cet accord, estime Aurélien Antoine.
De son côté, Flor Tercero considère que le Conseil de l’Europe est « le dernier rempart pour la protection des droits fondamentaux dans ce pays, puisqu’ils ont quitté l’Union européenne. » Elle espère que la CEDH prendra rapidement des dispositions pour sanctionner cet accord. 

Lorsque Boris Johnson se retrouve en difficulté, le gouvernement britannique a l’habitude d’allumer des contre-feux.
Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne

« Il y a un mécanisme qui permettrait à la CEDH d’intervenir assez rapidement : les mesures provisoires », rappelle l’avocate.
« L’article 39 du règlement de la CEDH permet à la Cour de dire à un pays d’arrêter tout de suite la procédure à cause d’un risque pour la vie d’une personne », détaille-t-elle. Donc si jamais la CEDH considère qu’il y a un risque pour les demandeurs d’asile britannique de se retrouver au Rwanda, elle peut suspendre cette procédure en vertu du respect des droits fondamentaux. 

Aurélien Antoine insiste aussi sur le fait que, pour le moment, on ne connaît pas les modalités d’application de cet accord. Il rappelle aussi que « lorsque Boris Johnson se retrouve en difficulté, le gouvernement britannique a l’habitude d’allumer des contre-feux », pour détourner l’attention. « En ce moment, il est en difficulté avec le Partygate dans la mesure où il a été sanctionné par la police métropolitaine de Londres,et on voit apparaître cet accord-là, détaille le professeur. Il a quand même été discuté en amont, mais son processus s’est accéléré à un moment que l’on peut quand même trouver opportun du point de vue de son électorat. » En résumé : « On peut voir une forme d’instrumentalisation de la question migratoire. »